CAMEROUN :: L’INTELLECTUEL DANS UN ÉTAT EN CRISE: En réponse au Prof Édouard Bokagné :: CAMEROON
© Correspondance : Dr Jean Emmanuel Etegle MEKA | 15 Apr 2025 13:07:42 | 1141Postulat de départ : On ne peut décemment se revendiquer intellectuel tout en militant ou en apportant sa caution à un régime politique obscurantiste et régressif comme celui qui gouverne le Cameroun depuis plus de quatre décennies. Je vais m’expliquer.
Dans un contexte où la défense des valeurs universelles se heurte à la montée des autoritarismes, il est impératif de rappeler que l'intellectuel ne peut se contenter de savoir : il doit également être porteur de conscience. Science sans conscience n’étant que ruine de l’âme. À ce titre, il est incompatible de se revendiquer intellectuel tout en soutenant, en défendant ou en justifiant un système politique qui, comme celui en place au Cameroun depuis 1982, incarne le délabrement institutionnel, la faillite éthique et le recul civilisationnel.
1. Le Cameroun : une République de l’absurde
Depuis 43 ans, le régime camerounais s’est enraciné dans un modèle politique où l’obscurantisme administratif, la mise sous le boisseau de la pensée critique et l'absence de perspective de développement tiennent lieu de gouvernance. Il est pourtant établi que le sous-développement du pays ne résulte pas d’un déficit de ressources naturelles ou humaines, mais bien d’un système verrouillé par une élite prédatrice, qui privilégie la conservation du pouvoir, de leur pouvoir, à tout prix, sans jamais se demander où se trouve la place du bonum commune dans leur mode de fonctionnement.
* L’administration publique camerounaise fonctionne comme une machine obsolète : lente, inefficace, favorisant le clientélisme et le clanisme, sous toutes ses accpetions, au détriment de la compétence. Au Cameroun l'administration publique est un appareil archaïque, déconnecté des standards modernes de gouvernance. Les missions de service public sont instrumentalisées à des fins personnelles ou partisanes.
Le système éducatif, quant à lui, est massivement désarrimé des réalités socio-économiques du pays. Le professeur Jacques Evouna et des politiciens comme Michel Ndoki i et Hamilcar Cabral Libii l’ont maintes fois dénoncé : il s’agit d’un système « fossile », qui reproduit une citoyenneté désarmée, attentiste et allergique à l’innovation. En substance, nous avons affaire à un système éducatif qui peine à répondre aux défis contemporains. L'université camerounaise forme davantage pour le chômage que pour l'innovation ou, à tout le moins, fait des Camerounais des forces en attente. Les mémoires s'empilent sans impact, les formations sont déphasées, et les établissements supérieurs s'enlisent dans la politisation et le favoritisme. Jacques Èvùnà , régulièrement, dénonce cette crise dans les politiques éducatives, appelant à un renouveau de la gouvernance universitaire centrée sur les compétences et la méritocratie. Pourtant, ce portrait ne remet pas en question le génie camerounais, capable de créer de l’or avec des babioles.
* La démocratie camerounaise n’existe que de nom. Les élections sont perçues comme de simples rituels, où la tricherie est institutionnalisée, comme l’ont analysé Achille Mbembe (De la postcolonie : Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, 2000) ou François Bayart (L’État en Afrique : La politique du ventre. Paris : Fayard, 1989) en parlant d’« État néo-patrimonial ». Un artiste s’est même risqué à dire que, au Cameroun, lors des élections, particulièrement pour la présidence, le résultat est connu bien avant le jour du vote.
* L’économie, dirigée par des logiques de rente, dépourvue de toute politique industrielle cohérente, alimente l’informel et l’extraversion du pays, comme le montrent les travaux de Jean-Marc Ela (L’Afrique à l’ère du savoir : Science, société et pouvoir, 2006) et Célestin Monga (Sortir du piège monétaire. Coécrit avec Jean-Claude Tchatchouang, 2001).
* Les politiques publiques sont souvent pilotées sans vision, dictées par des injonctions extérieures ou de circonstance, sans dialogue structurant avec les besoins réels des populations.
2. Qu’est-ce qu’un intellectuel dans ce fatras anomique ?
L’intellectuel, dans son acception classique, n’est pas simplement celui qui détient un savoir, mais celui qui met ce savoir au service de la vérité, de la justice et de la transformation sociale. Edward Saïd le résume bien dans son ouvrage « Des intellectuels et du pouvoir » (Paris : Le Serpent à plumes, 1996) : « l’intellectuel est celui qui refuse le confort de l’indifférence ». Il est une conscience critique, un gardien de la rationalité, un veilleur debout dans la nuit de l’oppression.
En Afrique, Jean-Marc Ela (1998), Ngugi wa Thiong’o (Decolonising the Mind, 1986) et Achille Mbembe (2000) ont mis l’accent sur le fait que l’intellectuel ne peut être complice de la tyrannie, même par son silence. L’intellectuel doit ainsi raisonner et résonner comme Aimé Césaire dans Le discours sur le colonialisme « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. », et non un simple ornement dans les colloques officiels ou les cabinets ministériels.
3. L’intellectuel face à la tyrannie : dénonciation ou silence scientifique
Face à une gouvernance aussi délabrée que celle du Cameroun, un véritable intellectuel a deux choix légitimes :
Soit il dénonce, à l’instar de Mathias Eric Owona Nguini Nguini Guinarou durant sa période dite de « l’Ancien Testament », où il refusait d’habiller la honte du pouvoir avec les vêtements de l’érudition. En réalité, un intellectuel qui adhère à une dictature se déshumanise lui-même. Il abdique sa capacité à penser librement, à questionner l'ordre dominant et à porter la voix des sans-voix. Dans sa revue, Les temps modernes, le philosophe Jean-Paul Sartre (1972) estimait d’ailleurs que « l'intellectuel est celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas », en ce sens qu'il refuse de se cantonner à l'observation muette et stérile du monde. Il désigne les injustices, décrypte les abus, et les dénonce, au nom du bien commun.
Transposé en littérature, il parlait alors de l’écrivain engagé qui « sait que dévoiler c’est changer, et qu’on ne peut dévoiler qu’en projetant de changer. » (Qu’est-ce que la littérature?, 1948)
Cela dit, lorsqu'un intellectuel appuie des idéologies destructrices fondées sur le « brutalisme », pour reprendre un titre d’Achille Mbembe (2020), il devient un complice actif d'un projet de déshumanisation. Hannah Arendt, dans sa réflexion sur la « banalité du mal » (1963), montre comment des individus cultivés peuvent participer à l'horreur par conformisme ou carriérisme. Un intellectuel qui excuse l'inexcusable abdique sa mission de témoin critique. Il ne transmet plus la lumière de la raison, mais propage l'opacité du dogme, c’est le cas de Owona Nguini du « Nouveau Testament », de Mouelle Kombi, Nkolo Foé, ils sont d’ailleurs nombreux.
En ce sens, ceux qui ont refusé de collaborer avec le système, tels Mathias Eric Owona Nguini, « de l'Ancien Testament », Abah Oyona, Alain Fogué, Guy Parfait Songue , et parfois même Dieudonné Essomba , quand il est lucide, s'inscrivent dans la tradition du refus. Ils démontrent qu’un intellectuel ne saurait être un serviteur du pouvoir. Il doit plutôt incarner son opposant moral, un miroir reflétant les dérives, au risque d'être exclu ou même persécuté.
* Soit il s’abstient, mais demeure fidèle à la rigueur scientifique, refusant toute récupération politique, à l’image des professeurs Viviane Madeleine Ondoua Biwolé Biwolé, Flora Alda Amabiamina, Armand Leka , Nji Ibrahim Mouiche , Édouard Bokagne, etc. Leurs engagements se situent dans l’excellence académique et l’indépendance intellectuelle.
Ceux-là ne chantent pas les louanges d’un régime ruineux ; ils travaillent en silence à la préservation de l’intégrité du savoir, même si le risque est grand qu’ils tombent dans le péché du poncepilatisme.
4. Conclusion : L’imposture intellectuelle
Soutenir un régime obscurantiste, même sous couvert d’objectivité ou de prétendue neutralité politique, est une imposture intellectuelle. On ne peut pas prétendre penser dans l’intérêt public en ignorant les échecs répétés de l’État, la misère sociale et l’échec de toutes les politiques publiques depuis plusieurs décennies. Dans un tel contexte, l'intellectuel authentique ne peut être ni neutre, ni silencieux, ni complaisant.
Il doit être le gardien d'une conscience critique, un artisan de la vérité. Il ne peut pas s’accommoder du mensonge et de la violence sans perdre son âme. Il est difficile de comprendre comment des personnes peuvent rester silencieuses face à l’oppression au Cameroun ou même l'approuver, car cela revient à commettre une faute morale et à trahir l'esprit de leur nation. Comment est-il possible de voir un pays devenir une décharge d’ordures à ciel ouvert et trouver des circonstances atténuantes au système gouvernant?
Mon avis sur la question est donc tout tranché : le Cameroun n’a pas besoin de courtisans du pouvoir mais de lumières lucides et courageuses, capables de dire non à la barbarie d’État, de tracer des pistes de sortie et de restaurer l’éthique dans la vie publique. C’est la condition sine qua non pour que le Cameroun ne soit plus dominé par un régime fondé sur la peur, la tromperie institutionnalisée, le clientélisme et le rejet de toute critique constructive. C’est à ce seul prix qu’on fera mentir Achille Mbembe (2000), qui s’est convaincu que « le pouvoir postcolonial transforme la souffrance en une norme sociale, où la banalisation du mal devient routine ».
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