AFRIQUE :: Panafricanisme : Maurice Simo Djom théorise le « châtiment géopolitique » s’agissant d’Haïti
© Camer.be : Isaac Ekwalla | 27 Nov 2024 09:53:27 | 1732Dans l’ouvrage L’Etat de l’Afrique 2024 paru aux éditions Afrédit, Maurice Simo Djom revient sur les tenants et aboutissants de la résolution n°2699 du Conseil de sécurité des Nations unies (octobre 2023) instituant une force multinationale d’intervention en Haïti et placée sous le fanion du pays de William Ruto. L’analyse prend le prisme du concept de « châtiment géopolitique ».
Il est plaisant de lire une analyse aussi holistique sur l’Afrique en tant qu’ensemble transcontinental caractérisé par une métaphysique de souffrance et une aspiration à la dignité. L’Etat de l’Afrique ne voit pas l’Afrique sous le prisme réducteur. Le projet répond à l’intérêt réel des Africains qui est un mélange de solidarité transcontinentale, de quêtes de la dignité et de la prospérité. Il n’y avait qu’un Africain pour détecter cet intérêt et y donner suite par l’entremise d’une analyse aussi méticuleuse de la géopolitique haïtienne. Un territoire situé à plus de 6000 km des côtes atlantiques africaines mais que l’auteur trouve aussi proche de nous que l’est le nombril du ventre.
Dans cette géopolitique qui va au-delà du territoire et des ressources pour embrasser les imaginaires, il n’y avait pas plus juste que de consacrer deux chapitres à Haïti. Soit le dixième de cette première édition de L’Etat de l’Afrique. La première république noire a attiré l’attention de l’auteur par le drame et l’hubris qui s’y jouent. Le drame et l’hubris ? Il s’agit de deux cents ans « châtiment géopolitique », cette détermination des grandes puissances à appauvrir, déstabiliser, fragiliser cette terre où, pour la première fois, l’homme « noir » a dit non et a vaincu l’horreur de YOVODAH.
Les télescopages de l’histoire et de l’actualité offrent à voir ce drame et cet hubris. Le récit poignant détaille les épisodes tantôt héroïques tantôt dramatiques : la bravoure de Toussaint Louverture en 1791 suivi par les faits d’armes des hommes de François Capois dit Capois-la-mort en 1802 ; la double victoire, puis, la double peine : défaite militairement, la France décide de prendre sa revanche à tout jamais : « Pour avoir constitué un événement qui s’inscrit délibérément à rebrousse-poil de la cartographie des puissances, cette victoire mérita un traitement de cheval à la hauteur de l’humiliation infligée, non seulement au corps expéditionnaire, mais à l’ensemble de la France dont la diplomatie était engagée dans un récit national qui avait besoin de mythes forts pour prospérer. Blessé et dépossédé de son plus grand mythe – par des catégories que le Code noir avait identifiées comme des biens meubles –, l’orgueil national français décida de prendre sa revanche en paralysant pour toujours les bénéfices de la bataille de Vertières. »
D’où la double dette. Pour accéder au statut de république, Haïti a besoin du sceau d’une puissance. Une solution cruelle à laquelle les dirigeants haïtiens sont réticents. La France active la diplomatie de la canonnière pour l’imposer. Trop affaibli, Haïti cède et reconnaît une lourde indemnité à payer à la France. Mails il n’y a pas de ressources. Donc la jeune république s’endette auprès des banques françaises à taux usuraire pour payer cette indemnité. Les calculs effectués par les journalistes de New York Times après treize mois d’enquête et un périple mondial ont établi qu’Haïti a payé à la France la rançon de 560 millions de dollars en valeur actualisée pour échapper au chantage d’une guerre destructrice. Le New York Times est allé plus loin en calculant le déficit économique réel subi par le pays au cours de ces deux siècles : « Si elle était restée dans l’économie haïtienne et avait pu y fructifier ces deux derniers siècles au rythme actuel de croissance du pays — au lieu d’être expédiée en France sans biens ni services en retour —, elle aurait à terme rapporté à Haïti 21 milliards de dollars. Et cela, même en tenant compte de la corruption et du gaspillage notoires dans le pays. »
Quand Haïti aura achevé de payer cette lourde indemnité, les USA entrent en scène de façon tonitruante. Maurice Simo Djom écrit : « Au début du XXème siècle, à la demande de Wall Street, Washington organise un pivotage géopolitique et fait basculer Haïti dans sa zone d’influence. Ayant évincé les Français d’Haïti, les Américains y reproduisent un traitement plus féroce : vol des réserves d’or (vol de 1914) et leur déplacement à la National City Bank of New York – l’ancêtre de la Citibank – ; imposition de gouvernements pro-américains à travers la corruption électorale ; assassinats politiques ; organisation de coups d’Etat pour faire tomber des régimes anti-américains ; destruction d’archives ; création d’une branche de la CIA, la SIN (Société d’intelligence nationale)… »
Plus tard, Washington dissimule sa cruauté derrière une organisation, le Core Groupe, qui comprend l’Union européenne, le Canada, l’ONU, etc. Une organisation tout aussi criminelle qui poursuit jusqu’aujourd’hui la macoutisation de la première république « noire ».
Telle est la république faillie qui aujourd’hui ploie sous l’insécurité ; qui n’a pas de gouvernement depuis 2016 ; qui est en proie à une épidémie de choléra provoquée par les agents des Nations unies ; qui tarde à se relever d’un tremblement de terre à l’occasion duquel les Clinton ont détourné 80% de la cagnotte collectée à l’internationale... Il y a de quoi pleurer toutes les larmes de son corps. Car la géopolitique de Maurice Simo Djom ne se complait pas dans le cynisme et la malveillance. Elle se démarque de l’école du néo-réalisme pour souhaiter une complémentarité des perspectives qui est à la base de la richesse du monde.
C’est pourquoi Maurice Simo Djom salue l’initiative kényane de rétablir la sécurité en Haïti, à la tête d’une force multinationale sous l’égide des Nations unies. Car, écrit-il, « au cours de l’année 2023, le problème haïtien a pris une nouvelle tournure, avec la résolution n°2699 du Conseil de sécurité des Nations unies instituant une force multinationale d’intervention. La particularité de cette force non onusienne est qu’elle est placée sous le fanion d’un pays africain, le Kenya. »
Ce soutien est néanmoins tempéré par un bémol : la force multinationale en question est financée par les Etats-Unis et le Core Group. N’est-ce pas un nouveau déguisement ? Après le concept de châtiment géopolitique, l’auteur avance celui de « déguisement géopolitique ». Qu’à cela ne tienne, la démarche kenyane est salutaire. Voler au secours de la terre d’Afrique est en définitive un réflexe sain. Quoique lointaine géographiquement parlant, Haïti reste une partie de nous-mêmes. Nous lui devons cette fierté d’avoir dit non, d’avoir humilié et vaincu l’oppresseur. Mais cette proximité sentimentale n’a visiblement d’égal la « distance géopolitique » instaurée entre Haïti et l’Afrique continentale. Le paradigme dans lequel s’insère l’Union africaine est incompatible avec tout rapprochement avec sa fille aînée. En témoigne le refus opposé à Haïti quand, sous la présidence de Michel Martely, elle a demandé à rejoindre l’Union africaine en 2012.
L’analyse du châtiment géopolitique ne prend pas en compte la seule Haïti. Elle croise le destin funeste de la première république « noire » avec celui de la Libye. Sous le leadership de Mouammar Kadhafi, ce pays avait été ciblé par la France de Nicolas Sarkozy pour des raisons similaires : « À la faveur de la déclassification des emails de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, l’on a découvert des échanges que celle-ci a assidûment entretenus avec un conseiller du nom de Sidney Blumenthal : « A en croire le conseiller d'Hillary Clinton, les services secrets français auraient organisé et financé la rébellion contre Mouammar Kadhafi.»
Ces analyses comparatives ne sont pas stériles. Loin de là, elles sont à insérer dans une approche prospective et l’auteur se pose la question de savoir « quel est l’avenir du châtiment géopolitique ». La préoccupation ne concerne pas uniquement Haïti ou la Libye : « Tout dirigeant africain résolument révolutionnaire verra-t-il son pays soumis au traitement haïtien ? [...] En d’autres termes, que risquent le Mali, le Burkina Faso et le Niger pour avoir rompu les accords de défense avec Paris ? »
L’auteur répond à ces questions par une prospective empreinte d’espoir dans le tournant mondial vers la multipolarité. Plus les pôles concurrents à l’Occident seront forts, moins le châtiment géopolitique aura pignon sur rue.
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