QUAND L’EVEQUE THOMAS MONGO RENCONTRA UM NYOBE EN PLEIN MAQUIS
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CAMEROUN :: QUAND L’EVEQUE THOMAS MONGO RENCONTRA UM NYOBE EN PLEIN MAQUIS :: CAMEROON

Monseigneur Thomas Mongo, accablé par la fatigue, avançait d’un pas lourd et balançant, tel un vieux pèlerin égaré entre les lignes du destin. La marche en pleine forêt, interminable, semblait s’étirer à l’infini depuis que l’évêque  avait pris la résolution de rencontrer le nationaliste. Ce choix, mû par un mélange de devoir et de curiosité brûlante, le poussait en avant malgré la lassitude qui pesait sur son âme et ses épaules. Son cœur, partagé entre l’impatience de la rencontre et l’étrangeté du voyage, battait au rythme incertain des haltes imposées. Par moments, il avait la singulière impression de tourner en rond, comme si les guides, muets comme des pierres, le faisaient revenir sur ses propres pas.

Les sentiers dessinés par les nationalistes serpentaient sans logique apparente, tissés comme un labyrinthe au cœur d’une forêt indomptable. Le froid s’infiltrait dans les étoffes, et les insectes, en essaims indisciplinés, tourbillonnaient autour de lui. Pourtant, l’homme de Dieu, fidèle à lui-même, semait de temps à autre quelques plaisanteries dans l’air glacé, comme pour conjurer le silence.

Ses compagnons de route, austères et disciplinés, ne rompaient le mutisme que pour chuchoter  quelques directives : « À gauche. Tout droit. Attention, un caillou… » Ils étaient les gardiens d’un rite étrange, et lui, l’invité d’un monde parallèle. Enfin, après ce qui lui sembla une éternité d’errance, il arriva en un lieu dissimulé, presque sacré dans sa rudesse – un camp isolé, austère comme une grotte d’ermite. On lui ôta le bandeau qu’il portait sur les yeux, et qu’il demanda, dans un souffle, à garder en souvenir de ce périple singulier.

Le tissu encore chaud de son front tremblait entre ses doigts. Lorsqu’il leva les yeux, ce ne fut pas le ciel qu’il rencontra, mais la canopée dense d’arbres silencieux, témoins muets d’une rencontre annoncée. Il scruta les alentours, encore un peu aveuglé, puis son regard se posa – long, grave, chargé de sens – sur Ruben. Ruben, silhouette amaigrie, visage creusé par la fièvre et les jours difficiles, tenait debout avec la dignité farouche de ceux qui ne plient pas. Dans ses yeux brillait une conviction brûlante, un regard  indomptable qui frappa l’évêque en plein cœur.

Monseigneur Mongo resta figé, le souffle court, sa pensée chavirée par la puissance muette de cette vision. La stupeur s’empara de lui, comme une marée silencieuse. Alors, doucement, le dialogue commença. Le silence est épais. Seuls les cris lointains de singes agités et les piaillements étranges d’oiseaux de nuit brisent la densité de la forêt. Un groupe d’hommes les entoure  avec précaution. Les nationalistes,  avaient exigé que Monseigneur Thomas Mongo soit amené les yeux bandés. Non par méfiance, mais pour protéger la cachette.   L’évêque ferma les yeux un instant, inspira profondément… et lui fit savoir  :

Thomas Mongo : « Ce chant de singe noir, là… et cette plainte de hibou… je les ai entendus, il y a vingt ans, dans les forêts de Ngog-Lituba. Nous ne sommes pas loin. » Un sourire discret se dessina sur les lèvres de Ruben, mais il ne répondit pas. L’évêque, serein, acceptait déjà le poids du silence. Sous un abri de fortune, une lampe à pétrole vacille.

Ruben prend la parole. « Monseigneur… vous voilà ici, les pieds nus sur la terre rouge, le souffle de la forêt sur vos joues, au milieu des âmes en lutte. Je ne vous ai pas fait venir pour une confession, mais pour une transmission. »

Avant de parler, Ruben saisit une calebasse pleine d’eau. Il la renversa lentement sur le sol. « Voici le Cameroun d’aujourd’hui. Transparent, pur… mais en fuite. Rien ne reste, si nous ne bâtissons pas un récipient qui le contienne. »

Thomas Mongo, assis sur une bois plat, entouré de compagnons silencieux, incline la tête.

Ruben déroule une longue plaidoirie, sa voix s’enfle, une un signe  étrange dans le regard : « Il viendra un temps, Monseigneur, où le peuple hurlera de faim dans les marchés pleins de vivres. On vendra du manioc, du tissu, des mots doux… mais les poches seront vides, et les cœurs plus encore. » « Il y aura des boubous somptueux traînant dans les couloirs dorés du pouvoir, pendant que les enfants de nos vallées mourront en silence, vêtus de l’air du matin. »

Alors qu’il parlait, un tam-tam résonna soudainement au loin. Un rythme lent, funèbre. Personne ne l’avait déclenché. Un garde du maquis murmura : « C’est le tam-tam du Vieux de Ndjok, mort depuis dix ans. On dit qu’il bat quand une vérité ancienne se lève… »

L’évêque se signa discrètement. Ruben, imperturbable, continua. « Le Cameroun connaîtra des mares de sang. Des frères lèveront la main contre leurs frères. Et certains, aveuglés par le pouvoir, trahiront le pacte que nous tissons aujourd’hui dans l’obscurité. » « Mais un homme viendra. Il ne naîtra pas d’un parti. Il surgira du ventre de l’oiseau. Il parlera les langues des vivants et des morts. Il ne portera ni longue robe, ni sabre, mais un court pagne blanc. Il marchera pieds nus, et partout, les arbres s’inclineront sur son passage. »

À cet instant, une chouette blanche traversa le feu de la lampe, se posa sur une branche basse, et poussa un cri long. L’évêque la suivit des yeux.

Thomas Mongo : « Même les esprits écoutent. »

Ruben, d’un ton plus bas : « Ils ne m’écoutent pas. Ils se préparent. »

L’évêque prend la parole.  « Ruben… ton discours est fort, mais il semble inviter à l’attente. Le peuple a faim d’agir. Ne faut-il pas saisir l’instant, même imparfait, pour planter la graine ? »

Ruben Um Nyobè : « Le danger, Monseigneur, c’est de semer dans un champ que le colon possède encore. Car il vendra la récolte. Ce que nous faisons ici, c’est labourer les âmes. Le vrai champ, c’est la conscience de chacun. » Un jeune combattant tenta d’allumer un feu. Les étincelles refusaient de prendre. Ruben s’en approcha, souffla doucement… et les flammes jaillirent.

Il dit alors : « Tu vois, même le feu attend le bon souffle. Notre nation aussi. »

Alors que l’aube pointait, Thomas Mongo fut de nouveau bandé. Mais avant qu’on ne serre  le bandeau, il posa une main sur l’épaule de Ruben. Thomas Mongo : « Je ne te vois pas, mais je te reconnais. Que Dieu bénisse ton verbe, même s’il brûle. » Ruben Um Nyobè, en le regardant se lever  : « Le verbe brûle, mais c’est de ses cendres que renaîtra notre Cameroun. » Alors, dans un souffle marqué de gravité,  l’évêque rompit le silence : – Puis-je t’adresser une prière ?

Ruben leva lentement les yeux vers lui, et dans un simple hochement de tête, qui montrait la modération  et le respect, il répondit sans un mot, mais avec toute l’ampleur du cœur : oui. L’évêque prononça sa prière avec ferveur, puis on lui noua  de nouveau fortement le bandeau sur les yeux pour entreprendre le chemin du retour.

(Ce récit, bien que traversé çà et là par des éclats de vérité, demeure avant tout une œuvre d’imagination. Les noms qui y apparaissent, pour certains fictifs, n’engagent que le romancier que je suis, et relèvent de la seule liberté créatrice.)

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