Suspension de Parfait Ayissi : le CNC punit l’humeur
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La suspension de Parfait Ayissi par le Conseil National de la Communication (CNC) est le symbole d’une dérive grave dans le traitement de l’information et de la justice médiatique au Cameroun. Ce journaliste chevronné, connu pour sa rigueur, sa modération et son esprit d’équilibre, paie aujourd’hui le prix d’une décision qui relève plus du désir de plaire à une certaine opinion que de l’application juste et impartiale de la loi. Ce verdict n’est pas seulement injuste, il est symptomatique d’une instance régulatrice qui juge l’intention et l’esprit au lieu de se fonder sur les faits et la lettre de la loi.

Une sanction injustifiée et incohérente

Il est essentiel de revenir sur les faits. Au cours d’une émission sur la chaine Info TV l’intervention controversée de Elimbi Lobé  sur le nationaliste Ernest Ouandié a suscité un tollé. Pourtant, Parfait Ayissi n’est en rien l’auteur de ces propos. Il les a clairement recadrés à plusieurs reprises, allant jusqu’à exprimer son propre malaise en direct. Homme posé et professionnel, il a su conserver son calme, là où d’autres auraient choisi d’agresser Elimbi verbalement. En aucun cas, Ayissi n’a encouragé ni soutenu les propos de son invité. Il a pris le soin de poser des questions pour nuancer et interroger, ce qui est précisément le rôle d’un modérateur. Lorsque Ayissi demande : « Et il était bandit comment ? » ou encore « On ne dirait peut-être pas qu’il était un bandit », il ne soutient pas l’opinion de son invité ; il cherche au contraire à le pousser à justifier, à préciser, à assumer – ce qui est un travail journalistique légitime. La phrase « peut-être pas » n’est pas anodine : elle est le signe d’un doute, d’une réserve, d’un refus de s’aligner.

Recadrer l’éthique ou punir le débat ?

La position du CNC devient inquiétante lorsqu’elle se met à interpréter les intentions au lieu de juger les actes. On reproche à Parfait Ayissi de ne pas avoir suffisamment condamné en direct, de ne pas avoir été assez ferme, de ne pas avoir giflé verbalement son invité. Mais où commence et où s’arrête la liberté éditoriale ? Qui peut fixer la mesure exacte de ce que devrait être un « bon » recadrage ? En vérité, le CNC se trompe de cible. Au lieu de sanctionner les propos de l’invité, elle s’en prend à celui qui les a canalisés avec professionnalisme. Pire encore, cette décision semble répondre à une volonté d’apaisement opportuniste face à un débat devenu viral, plutôt qu’à une démarche équitable. La sanction glissement allègrement sur un terrain politique.

Toutefois, j’ai été surpris lorsque le lendemain le même Elimbi repassait sur la même chaine. C’est ça qui  est  troublant et qui serait à l’origine de la sanction.  Le comportement d’InfoTV elle-même, qui, tout en condamnant les propos de l’invité,  organise une seconde émission le lendemain, avec le même panéliste, relançait  la polémique au lieu de l’éteindre. On pourrait interpréter comme une  stratégie claire de récupération médiatique, visant à capitaliser sur le scandale. Cela révèle aussi une autre vérité dérangeante : l’instrumentalisation de la question ethnique. En jouant sur des tensions communautaires bien connues, certains acteurs cherchent à orienter le débat vers des lignes éditoriales vers les anti ceci ou anti cela, ce qui est non seulement irresponsable mais dangereux. Le traitement réservé à la mémoire d’Ernest Ouandié, héros réhabilité de l’histoire camerounaise, en est une preuve flagrante.

Ernest Ouandié : le vrai sujet

Il est essentiel de rappeler que l’âme d’Ernest Ouandié, réhabilitée officiellement mais encore ignorée dans les faits, a été mise en lumière grâce à cette émission. Loin de le salir, l’échange télévisé a réaffirmé sa place dans la mémoire collective. C’est précisément en suscitant ces débats que l’on redonne vie aux figures historiques. Elimbi Lobé, en interpellant les consciences, a peut-être manqué de forme, mais il a révélé une chance qu’on doit donner à cet héros perdu : nous n’avons pas encore rendu justice à ce grand homme. Si monument il doit y avoir, ce moment médiatique en a été le point de départ. Il faut saisir cette chance.

Quand l’exil devient la seule voie

Quant à Parfait Ayissi, nous sommes vraiment désolé pour ce qui lui arrive,  nous le soutenons et nous disons ceci : c’est à travers de telles injustices que l’on pousse les consciences droites à l’exil. Lorsque la rigueur est condamnée et que la modération devient un tort, les esprits les plus brillants finissent par s’éloigner. Ce sont toujours les meilleurs qui partent, las de combattre un système qui punit la probité. Nous prendrons attache avec lui, car un talent tel que le sien ne saurait rester en silence ; son travail doit continuer même ailleurs. De grandes chaînes, au-delà des frontières, ont besoin d’hommes comme lui – lucides, mesurés, profonds. Parfait Ayissi, reconnu pour son éthique et son sens de la mesure, n’est pas un agitateur. Il est un journaliste de dialogue, de construction, de lucidité. L’injustice dont il est victime est le genre de blessure qui pousse tant de professionnels à quitter le pays pour exercer librement leur métier ailleurs.

 L’erreur du CNC est historique

Le CNC vient de poser un acte grave : condamner un journaliste pour avoir fait son travail. Cette suspension, loin d’être une mesure disciplinaire, est une gifle à la liberté de la presse, à la rigueur journalistique, à la démocratie elle-même. En jugeant l’intention au lieu de la lettre, le CNC ne remplit plus sa mission de régulation : il devient un arbitre partial, un organe au service des émotions populaires plutôt que de la justice. Nous, citoyens, écrivains, journalistes, observateurs, devons dénoncer cette dérive. Car aujourd’hui, Parfait Ayissi est suspendu – demain, ce pourrait être n’importe qui.

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