Feymania : Un mirage aux conséquences désastreuses
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FRANCE :: Feymania : Un mirage aux conséquences désastreuses

J’ai rédigé cet article il y a quatre ans, affirmant déjà à l’époque que le Fey n’avait aucun avenir. L’actualité du jour me pousse à le republier.

Une balle a été tirée, un homme est tombé. On ne connaît pas encore les raisons. Les mobiles d’un crime peuvent être nombreux : la jalousie, les vieilles rancœurs, la revanche… Qu’il ait été fêtard ou autre, il demeure un homme. Il ne faut pas juger. Aujourd’hui, ils sont partout, présents dans de nombreux pays. Chaque nation a formé les siens. Ce n’est plus une particularité d’un pays.  Mais comment les reconnaît-on ? Quand ils  exhibent des voitures de luxe et organisent des soirées extravagantes qui attirent les curieux.  Quand ils célèbrent la fête dans une opulence démesurée, accompagnée de cuvées prestigieuses et d’un décor carnavalesque.

Ils aiment le faste et les univers de rêve. Lorsqu’ils réalisent un « coup fumant », la période qui suit est marquée par une succession de festivités endiablées. Ils dépensent sans compter, s’achètent des bijoux en or et s’entourent de femmes éblouissantes, collées à eux comme des sangsues. Tels sont les fêtards, encore appelés Feymen dans nos cités. Ces hommes, qui créent eux-mêmes leur propre hit-parade, sont toujours sous le feu des projecteurs. Ils refusent de passer inaperçus dans les boîtes de nuit et ne fréquentent que les salons VIP.

Il faut marquer son passage en faisant sauter des bouteilles de champagne hors de prix. Mais souvent, pour impressionner, il faut être accompagné d’une femme de luxe, une diva connue de tous, symbole de prestige. L’exhiber, c’est affirmer son apogée. Cependant, malgré cette façade dorée, ils ne possèdent pas réellement de châteaux somptueux. Ils sont plutôt experts en mise en scène, orchestrant eux-mêmes des scénarios pour se donner une importance. Partout où ils passent, ils veulent briller. Ils s’attribuent de nombreux titres : apporteurs d’affaires, directeurs de projet, VIP de luxe. Pourtant, leur fortune ne dure généralement que trois ans, puis vient la descente aux enfers. Lorsque l’argent s’évapore, la misère s’installe, les querelles éclatent avec leurs compagnes, qui ne supportent pas longtemps cette précarité. Pris au piège, ils doivent vite repartir à la conquête d’un nouveau coup, sous peine de perdre leur statut et les femmes à la « peau de lune » qui gravitent autour d’eux.

Ces hommes sont considérés comme « supérieurs », non pas par leur intelligence ou leur culture, mais parce que la société les idolâtre. En réalité, beaucoup sont incultes et cherchent à compenser ce vide en quête de considération et d’honneur. Depuis trente ans, les fêtards font couler beaucoup d’encre et de salive. Ce sont des stars, mais sans art précis. Capricieux, ils le sont. Quand ils veulent quelque chose, ils la veulent immédiatement. Ils ont opéré au Brésil, au Guatemala, en Arabie Saoudite, au Yémen, en France, en Angleterre. En Afrique, leur passage a marqué des pays comme le Cap-Vert, l’Angola, la Guinée équatoriale. En Afrique du Nord, ils ont fait la fête en Algérie et au Maroc. Leur présence est signalée jusqu’au Vietnam. Au Gabon, leurs activités avaient pris une telle ampleur que cela était devenu une question de sécurité nationale. Lors d’un conseil ministériel, le défunt président Omar Bongo avait ordonné à la police et à la gendarmerie de lutter contre ce fléau. Pourtant, dans la même semaine, un fêtard réussissait à escroquer un commissaire de police. Même un membre de la garde présidentielle s’était retrouvé pris dans leurs filets.

Un phénomène qui interroge

La « Feymania » a longtemps préoccupé les autorités. À l’époque, au Gabon, l’un des numéros un de cette mouvance se nommait Raymond Barre. Ils sont devenus incontournables dans les organisations et associations. On les courtise, car ils paient tout cher et en premier. Dans les réunions familiales et les fêtes publiques, on attend souvent leur arrivée pour débuter les festivités. Ils sont adulés et traités comme des artistes de premier ordre. Le phénomène a été exporté en Côte d’Ivoire, où il s’est amplifié avant de se répandre dans les pays voisins. Au Sénégal, cependant, il n’a pas pris la même ampleur, car la culture sénégalaise repose sur la consultation systématique des marabouts. Ces derniers, par sagesse, déconseillent à leurs disciples de s’engager dans de telles pratiques. Les fêtards ont un mode de communication bien particulier : ils exhibent leur argent dès qu’ils en ont. Contrairement aux véritables riches, qui cherchent la discrétion, eux veulent briller de mille feux. Mais au fond, ils savent qu’ils ne sont rien. Il y a quelques années, je l’avais déjà proclamé : il n’y a pas d’avenir dans le Fey.

La Feymania aujourd’hui

La Feymania n’est pas un acte gratuit, fortuit, voire inconscient. Elle est assurément le fruit d’une réflexion sur une certaine crise des valeurs dans notre société, sur une dégradation des mœurs qui constitue une grande menace. Le pouvoir public n’en est pas responsable. On dit que c’est dans les années 80 que cela a démarré, mais le phénomène existait déjà au Nigeria avant de gagner les villes voisines de ce pays. Les villes où l’on trouve les fêtards fascinent par leur côté hétéroclite, leur aspect baroque. Ce sont des villes où les contradictions se mêlent, des villes de mouvement et d’effervescence, des lieux de débordement, mais pourtant paisibles, où l’on peut se promener à loisir. Ce sont aussi des villes historiques qui rappellent un passé agricole, avec leurs champs de café. Des villes de garçons calmes qui intriguent rarement, mais qui ne lèvent la tête que pour frapper.

Les Villes de montagnes nourrissant l’imaginaire de tout enfant en quête d’identité face à ces paysages verdoyants. Je connais des enfants qui ont volontairement abandonné l’école pour poursuivre des aventures en Asie, soi-disant pour « faire le Fey ». Le Fey a pris son essor avec des personnages comme Donatien (surnommé Donateur) et sa clique de frères et sœurs, tous ayant connu des fins tragiques. Ils ne sont pas très intelligents. C’est pourquoi, à la moindre erreur, ils sont traqués et abattus comme de petits chiens. Ils n’arrivent jamais à démêler le vrai du faux. En Algérie, un fêtard raconte comment un « Mougou » l’a piégé sur son lit d’hôpital. Ils ont les histoires les plus incroyables en matière d’aventures humaines. Il ne faut pas s’imaginer que, lorsqu’ils sortent de prison, ils arrêtent.

Lorsqu’ils en sortent, ils deviennent résolument criminels et ne quittent plus ce domaine, puisque c’est en prison qu’ils complètent les connaissances qui leur manquaient en matière de fraude. Le Fey, c’est comme une secte : il n’y a pas d’espoir. On peut avoir des joies temporaires, mais la fin est la vraie misère. Il est difficile de faire comprendre cela aux femmes qui courent derrière eux. Ce qui est ironique, c’est qu’ils prennent cela pour un travail honorable. Difficile de leur faire admettre qu’un mauvais sort les attend. Beaucoup d’artistes de renom dans le Makossa s’y sont essayés discrètement. Ils y sont toujours et, quand c’est possible, ils frappent au cours de leurs tournées musicales.

La musique les couvre, comme c’est le cas pour beaucoup d’influenceurs et influenceuses. Je ne veux pas parler des érudits qui se sont aussi mêlés à cette sale pratique. Si les gens pouvaient imaginer le nombre de personnages étranges que l’on croise dans ces milieux… On y trouve des docteurs, des intellectuels fêlés, des médecins perdus ou pervers, des bricoleurs de génie et une masse d’analphabètes sortis des cavernes noires. Ils croient en ce qu’ils font et considèrent cela comme une profession. Si tu veux leur faire comprendre que ce qu’ils font est un crime, qu’ils en paieront le prix tôt ou tard, ils te regardent comme un idiot, un moins-que-rien, un homme sans ambition. Mais l’histoire vient toujours leur rappeler la réalité lorsque, croupissant en prison, leurs familles sombrent dans la misère.

Quelle éducation pour prévenir la Feymania ?

Quelle éducation doit-on promouvoir au sein de la société camerounaise si l’on veut préparer l’avenir de notre jeunesse et inculquer l’éthique ? Je les ai vus jeûner pour préparer un « travail » en cours. La Bible à la main, ils lisaient les Psaumes pour attirer un client. Des filles les suivent dans cette mésaventure, espérant qu’une fois l’argent obtenu, elles auront payé leur ticket pour l’Europe, où elles atterriront avec une grossesse qu’elles utiliseront comme prétexte pour demander l’asile. Qu’est-ce qui pousse les jeunes vers le Fey ? Diverses contraintes : familiales, économiques, géographiques, générationnelles, professionnelles, morales. Le sentiment de revanche sur des conditions de vie misérables les pousse parfois à se lancer dans la Feymania. Aujourd’hui, les jeunes veulent paraître, briller dans un milieu où ils ont grandi et qu’ils veulent impressionner par le spectacle d’une réussite hypothétique. Ils ont vécu des situations atroces. Certains ont été découpés comme du gibier et mangés en Asie.

D’autres ont été enfermés dans des cages, enchaînés, réduits en esclavage dans des maisons, humiliés dans leur chair pour payer leurs forfaits. Mais tout cela, on ne peut pas toujours l’exprimer. La fête de l’argent peut être aussi une fête de la mort. Ils ont sali l’image des Camerounais. Si l’on veut insister sur l’éthique dans toutes les relations humaines, et particulièrement chez les jeunes, c’est offrir une chance au pays. Une bonne éducation est indispensable : elle procure une vie paisible et le bien-être, même lorsque les temps sont durs. Au-delà de l’éthique, c’est une question de devoir moral et de conviction.

Nous devons être des hommes et des femmes de valeurs. La société attend de nous de l’exemplarité, qui commence au sein de la famille. Réfléchir à l’éthique suppose un attachement profond aux valeurs qui rendent les individus plus humains, plus sociables, plus civilisés. Le refus de se lancer dans ces aventures à la recherche de l’argent facile prive peut-être de certaines opportunités immédiates, mais il faut apprendre à tenir bon. Même si le chemin est difficile, sinueux et rocailleux, il vaut mieux l’emprunter que de se vautrer dans des clichés dégradants. C’est un témoignage de respect vis-à-vis des autres. Si l’on commence à se comporter de manière honnête et intègre, cela procure du respect à la communauté qui nous entoure. Un acte maladroit commis par un Camerounais rejaillit sur tous les autres.

L’impact de la Feymania sur la société

En 2002, une ressortissante sponsorisée par un Feyman avait ouvert un cabaret. Pendant son séjour, le fêtard était gardé par un officier de police. Le jeune en quête d’avenir ne doit jamais perdre confiance en lui-même ni croire qu’un fêtard lui est supérieur. Ce monde est une illusion, et ils disparaîtront par les effets de leur artifice précaire. Un pays doit préserver sa réputation. L’application des vertus et de la morale est essentielle. La Feymania a terni l’image de certains peuples à l’étranger. Souvent, on caricature et on se méfie des Africains sans raison.

Tous ne sont pas des fêtards. Il existe des personnes travailleuses et persévérantes, qui ont toujours été respectées pour leur intelligence et leur savoir-faire. Aujourd’hui, tout Africain qui voyage dans un autre pays africain est surveillé de près. Parler d’éthique dans nos sociétés actuelles est un défi crucial pour l’avenir du pays. L’absence d’éthique a un coût élevé, surtout dans un pays en développement. Il faut que cette valeur retrouve sa place au premier plan.

La Feymania, c’est du vol. Il faut que les gens en prennent conscience. Tous ceux qui la pratiquent ont les caractéristiques des voleurs : superstition, mensonge, envie, fausse solidarité, violence, règlements de comptes. D’autres se sont tournés vers la politique pour dissimuler leur passé. Comment des personnes avides d’argent et impliquées dans des crimes peuvent-elles prétendre œuvrer pour le bien-être des citoyens ? Dans la société camerounaise, cela représente la première désagrégation des valeurs. Il existe une corrélation entre l’analphabétisme et le mal. Il est essentiel de renouer avec les valeurs morales afin de favoriser l’émergence des jeunes. L’éthique régit les comportements humains. On ne peut bâtir une société, un État, sans éthique. Il est impératif que les jeunes sortent de cette déchéance morale.

Le Fey n’a pas d’avenir. Dans le sud de l’Algérie, où un fêtard était venu pour arnaquer, un vieil homme lui dit après son Exébio : « Mon fils, tu as choisi un beau métier… Regarde à quel âge je viens de le découvrir. » Mais sache que c’est un peu comme si tu me demandais de pêcher du poisson sur une route goudronnée. Un autre jeune de 18 ans, qui venait de se faire escroquer par un fêtard, réalisa 15 minutes après son départ la supercherie. Submergé par la douleur, il le rappela en criant : « Mon ami, mon ami ! Reviens, reviens avec mon argent… Pourquoi tu as fait ça ? »

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