Écorchures et renaissances
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J’ai écrit cet article il y a quatre ans. Ce matin, en le redécouvrant, sa sonorité m’a inspiré l’envie de le réécrire afin de le partager avec ceux qui ne l’avaient pas lu à l’époque.Comment l’âme humaine peut-elle se fermer à la douleur d’autrui ? Il était une fois une enfant frêle, ballotée par les vagues impitoyables et le vent cruel, rejetée contre les falaises sombres du monde. Elle voyait l’exiguïté, l’ennui, les rats se glisser dans l’ombre… et pourtant, face aux tempêtes et aux humiliations, elle demeurait debout, tel un roseau ployant mais jamais brisé. On a dit  qu’elle n’avait pas connu la classe de terminale. Soit, c’est vrai. La terminale, ce passage éclairé qui, pour beaucoup, sépare l’enfance des certitudes de l’âge adulte. Mais alors, pourquoi ceux qui ont parcouru cette ultime année s’enfoncent-ils parfois dans le cynisme ?

Pourquoi des êtres en apparence normaux choisissent-ils d’écraser ceux déjà à vif, plutôt que de les relever ? Il existe des cruautés plus sournoises que la morsure du temps. La soumission aveugle est l’une d’elles, une descente inexorable dans les méandres du mal. Les hommes, lorsqu’ils s’adonnent à la méchanceté, le font avec une précision effrayante, conscients de chaque entaille qu’ils infligent. Les visages de certains peuples semblent figés dans un autre siècle, comme si le progrès ne les avait jamais effleurés. Les bêtes, au moins, dévorent par instinct, indifférentes à la souffrance du plus faible. Voyez les chats : ils sont maîtres d’un art cruel.

Ceux qui ont pris le temps de les observer comprendront cette allégorie – une leçon d’un cours de philosophie lointain. Le chat, enjoué par sa propre férocité, tue la souris et l’abandonne aux plus jeunes, qui à leur tour s’exercent sur le prisonnier mourant. Ainsi naît l’apprentissage, ainsi se perfectionne l’horreur. Et pourtant, que de froideur face à cette jeune fille, déjà éreintée par l’existence, à qui il ne fallait pas ajouter davantage de souffrance ! L’écrivain, lui, n’a peur de personne. Il ne plie ni devant les rois, ni devant les lâches. L’écrivain véritable, disait Sartre, défend la liberté humaine. Quelle honte que d’écraser les autres pour s’attirer la faveur de quelques puissants. Le temps dira un jour son mot et cela aux plus puissants qu’ils ne sont rien. Il me revient en mémoire l’image d’une femme enceinte, perdue dans l’hébétude.

Douze mois de gestation, et lorsque l’on ouvrit son ventre, ce ne fut pas un enfant de chair que l’on trouva, mais un cœur de métal. Un cœur froid, à jamais insensible, comme ceux qui jadis ouvraient des chambres de mort. Et ce fer arraché des entrailles devint son arme, frappant sans raison ceux qui n’avaient jamais été coupables. La diaspora a créé sa propre forge de spectres. N’ayant pu briser les esprits, certains voudraient maintenant assassiner les corps. Et pendant ce temps, ailleurs, un peuple se réunit dans la rue. Un chien albinos traverse la ville. C’est une chinoise, en réalité, errant à la recherche de son amant chinois. Et l’homme, amusé, se vante de cet amour singulier. Que d’absurdité. Que de bravades insensées ! Les hommes parlent, toujours. Mais qu’adviendra-t-il de cette terre lorsque les meilleurs auront pris le large, ne laissant derrière eux que des âmes ternes et des cœurs vides ? Nous devons guérir de cet intellectualisme enfiévré.

Et puis, il y a l’écriture. Il y a ce livre, RENAÎTRE. Quelle en est l’essence ? Une œuvre fascinante, un véritable roman à la française. Certainement le travail d’une plume savante, aiguisée par les lettres classiques et les feux de la passion.  Je l’ai lu. Pas une faute, pas une hésitation, seulement une voix qui s’élève, vibrante et inaltérable. Une femme qui, défiant le néant, a murmuré : « Vous avez voulu me faire disparaître. Mais je vivrai parmi vous, à ma manière. Je serai là, et ma seule présence troublera votre repos, sans jamais attaquer. » Notre patrie a soif de cette écriture-là. On a voulu tourner en dérision cette parution, et pourtant, ce n’est pas le livre qui a été défiguré, mais bien la pauvreté du discours de ses détracteurs. Et alors, le peuple du Cameroun retrouve enfin le goût de la lecture. Comme toujours, ce qui le fascine, c’est le scandale.

Depuis que les grands écrivains ont tracé leurs lignes, il n’y a jamais eu un tel engouement. Le Cameroun a rejeté dans sa diaspora certaines poubelles à ragots. Je suis l’une d’elles. Lisons, lisons encore. Et pour les autres, qu’ils passent leur chemin.

Comme le dira Satan, jadis, à celui qui avait dépassé les frontières du mal : Va-t’en.

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