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© AFRIKSURSEINE : Erivain,Romancier Calvin DJOUARI
- 11 Mar 2025 10:47:35
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FRANCE :: Note de Lecture sur l’ouvrage: Trajectoire d’un Homme en Avance sur Son Temps
Eugène Njo Léa : L’Hommage à un Héros Méconnu du Football Africain
L’ouvrage consacré à Eugène Njo Léa, écrit à quatre mains par Jean-Célestin Edjangue et Serges Ngounga, s’inscrit dans une dynamique de mémoire et de reconnaissance. À travers cet hommage, il ne s’agit pas seulement de retracer le parcours d’un footballeur d’exception, mais aussi de mettre en lumière un intellectuel engagé, un juriste visionnaire et un acteur majeur du dialogue entre l’Afrique et l’Europe. Figure symbolique du football africain, Njo Léa ne s’est pas contenté de briller sur les terrains. Il a également œuvré pour l’amélioration des conditions des footballeurs professionnels, notamment en France, en participant à la création d’un syndicat à une époque où le droit des joueurs était encore balbutiant. Son itinéraire singulier, marqué par la quête de justice et le combat contre le sous-développement, dépasse ainsi largement le cadre du sport. Cependant, malgré les traces ineffaçables qu’il a laissées, son nom demeure largement méconnu des nouvelles générations, aussi bien en France qu’au Cameroun et en Afrique.
Cet ouvrage se veut donc un acte de transmission et de réhabilitation, un lien entre le passé, le présent et l’avenir, qui redonne à Eugène Njo Léa la place qu’il mérite dans l’histoire du sport et de la pensée africaine. Le titre Trajectoire d’un homme en avance sur son temps peut évoquer une biographie ou une étude sur Eugène Njo Léa. Toutefois, il convient de souligner que ce livre marque une grande première dans la réhabilitation des figures du passé, au même titre que Mbappé Leppé dans le football ou Joseph Bessala dans la boxe. Le choix du mot Trajectoire dans le titre est particulièrement pertinent. Utilisé ici de manière métaphorique, il désigne l’évolution d’une personne dans sa vie, sa carrière et son engagement. Ce terme évoque un mouvement, une progression, et suggère ainsi un parcours significatif. L’expression d’un homme, qui constitue le sujet central, met en avant une individualité, soulignant que l’ouvrage porte sur une seule personne : Eugène Njo Léa. Quant à la partie en avance sur son temps, elle est essentielle, car elle indique que cette personnalité possédait des idées, des réalisations ou une vision dépassant celles de son époque. Cette expression idiomatique renforce l’image d’un esprit pionnier et visionnaire, tout en accentuant l’exceptionnalité du personnage.
Eugène Njo Léa : Trajectoire d’un Héros, du Football à la Diplomatie
Le titre, bien construit, adopte un ton sobre et académique, ce qui évite tout excès de dramatisation ou d’emphase. Il capte immédiatement l’attention et valorise implicitement la figure d’Eugène Njo Léa. Si des termes comme vie ou parcours auraient pu être utilisés, le choix de Trajectoire confère une dimension quasi scientifique ou analytique, ceci laisse entendre une étude approfondie. Ce terme allie clarté, dynamisme et valorisation du sujet et rend l’ouvrage plus engageant et incitant à la découverte du personnage et de son impact. À son époque, le football n’était pas une priorité absolue. Il occupait la troisième place dans l’ordre des préoccupations. Avant d’envisager une carrière sportive, l’enfant devait d’abord répondre aux attentes de ses parents : réussir brillamment ses études, obtenir un diplôme, passer un concours professionnel et s’établir dans une carrière stable. Ce n’est qu’après avoir rempli ces exigences qu’il pouvait, peut-être, se tourner vers le ballon rond.
L’ouvrage s’ouvre sur des images frappantes d’Eugène Njo Léa. L’observation de ces photographies révèle un homme à la fois beau et élégant. Celles où il apparaît en tant que footballeur mettent en avant un athlète dans toute sa puissance physique, en pleine action sur le terrain. Son regard perçant trahit une intelligence intuitive, tandis que son corps, viril et héroïque, se dessine dans le mouvement. La musculature saillante, l’intensité du regard et la concentration de l’effort incarnent la discipline et la rigueur du sportif. Cette virilité pourrait symboliser le refoulement des émotions intérieures au profit de la construction d’une image sociale forte. En revanche, les photos de Njo Léa en tenue de ville, vêtu d’un costume impeccable, révèlent un tout autre aspect de sa personnalité : celui de l’homme de diplomatie et de négociation. Son regard réfléchi et sa posture mesurée traduisent la retenue et la sagesse, signes d’un passage de l’athlète à l’homme de pouvoir et d’influence. La distance qu’il semble établir avec le monde extérieur, renforcée par le port de l’uniforme officiel, souligne cette évolution. Dès lors, on peut voir dans ce basculement du sport vers la diplomatie ou l’action syndicale une forme de sublimation de ses énergies primitives. Alors que le football exalte un corps en mouvement, agité par l’adrénaline de la compétition, la diplomatie exige au contraire un contrôle total du corps et des émotions. Dans cette nouvelle posture, Njo Léa cherche à être perçu comme un homme sage et pondéré, mettant de côté l’aspect plus brut et instinctif de sa première identité. Ce changement traduit un effort d’adaptation à des attentes sociales plus sophistiquées et intellectuelles. Il reflète aussi une transformation de la confrontation physique du sport en une forme plus raffinée de puissance : celle de la diplomatie et du raisonnement.
Il est impossible d’avancer dans cette lecture sans évoquer un plaidoyer essentiel formulé par Eugène Njo Léa lui-même à la page 8 de l’ouvrage : « Pour nous autres Africains, le football n’est pas un objet de contemplation, mais un instrument de combat contre le sous-développement et pour l’affirmation de notre personnalité. » Cette pensée, riche de significations, mérite une analyse approfondie. L’expression « Pour nous autres Africains » insiste sur l’appartenance collective et renforce la dimension identitaire du discours. Le terme « Africains », mis en évidence, montre que l’auteur parle au nom d’un groupe précis et revendique une identité partagée. Ensuite, l’opposition entre « Le football n’est pas un objet de contemplation » et « mais un instrument de combat » illustre la vision engagée de Njo Léa. Le premier membre de phrase rejette l’idée d’un football passif, réduit au simple plaisir de la spectature. L’emploi du terme « instrument » introduit une dimension pragmatique, suggérant un outil ayant une fonction précise. Quant au mot « combat », il confère à la phrase une tonalité militante, traduisant une lutte ou une résistance active. Enfin, la dernière partie « contre le sous-développement et pour l’affirmation de notre personnalité » ancre le propos dans une réalité historique et politique. D’un côté, Njo Léa fait référence au sous-développement, enjeu économique et social majeur pour l’Afrique. De l’autre, il insiste sur la nécessité d’affirmer une identité et une dignité collectives. Cette déclaration, finement sélectionnée par les auteurs de l’ouvrage, illustre parfaitement la vision du football comme un levier d’émancipation et de développement.
Par ailleurs, des dates marquantes jalonnent la vie d’Eugène Njo Léa, suivant une progression chronologique qui structure son parcours : nous choisirons quelques unes.
1931 : sa naissance, marquant le point de départ de son existence.
1954 : son intégration à l’AS Saint-Étienne, où il devient un footballeur reconnu.
1963 : son passage à la diplomatie, qui marque un tournant décisif dans sa carrière.
2006 : son décès, qui clôture définitivement son parcours.
« Njo Léa, dit Just Fontaine, avait une idée toutes les dix secondes. »
L’avant-propos, rédigé par Abdelaziz Moundé et Dieudonné Ngoumou, débute par une citation frappante de Just Fontaine : « Njo Léa, dit Just Fontaine, avait une idée toutes les dix secondes. » Cette hyperbole, bien que volontairement exagérée, traduit l’extrême rapidité de réflexion et la fertilité intellectuelle de Njo Léa. L’image d’une pensée bouillonnante et toujours en mouvement dépeint un homme curieux, créatif et dynamique. Just Fontaine, en utilisant cette expression, ne se contente pas d’un simple éloge : il dresse en une seule phrase un portrait vivant d’un esprit toujours en éveil. L’utilisation du rythme « toutes les dix secondes » accentue cette impression d’effervescence intellectuelle, presque mécanique, propre aux esprits les plus brillants. Le fait qu’une telle déclaration soit formulée par une légende du football comme Just Fontaine lui confère d’autant plus de poids et de crédibilité. L’avant-propos adopte un style dense et lyrique, marqué par une richesse lexicale et une construction syntaxique sophistiquée.
Les auteurs utilisent un champ lexical lié à la persévérance et à la vision : « affûter », « voir plus loin », « horizon », « écrire l’histoire », « idée-force », « donner corps ». Ces termes traduisent une trajectoire hors du commun, une projection vers l’avenir et une volonté de dépassement. La métaphore du football est omniprésente et dépasse le simple cadre du sport : « affûté ses jambes », « but adverse », « lucarne », « buteur prolifique ». Cette mise en parallèle entre ses qualités de joueur et ses ambitions intellectuelles ou politiques enrichit le récit. La phrase « voyait plus loin que la lucarne de buts adverses » est particulièrement évocatrice : elle suggère que son ambition ne se limitait pas au terrain de jeu, mais s’étendait à l’histoire elle-même. L’usage d’un vocabulaire institutionnel et juridique souligne également son engagement syndical et politique : « syndicat », « désert judiciaire », « Organisation de l’Unité Africaine », « politique étrangère », « système professionnel », « standards internationaux ». Ces termes ancrent sa trajectoire dans une perspective plus large, montrant qu’il ne se contentait pas de briller sur les terrains, mais aspirait à des réformes structurelles profondes.
Quant à la préface d’Eugène Ebodé qui adopte un ton solennel et élogieux, ce dernier met en exergue la double carrière sportive et intellectuelle de Njo Léa. Il le qualifie de « personnalité particulière » et de « souverain », affirmant : « La personnalité d’Eugène Njo Léa est particulière, car il fut souverain sur les terrains de football, où ses qualités athlétiques et son jeu décisif marquèrent les esprits, et en dehors de ceux-ci, où sa prescience le distingua en matière de ballon rond. » Cette phrase illustre la singularité d’Eugène Njo Léa, un homme à la fois maître du jeu sur le terrain et fin stratège en dehors. Elle met en évidence l’étendue de son influence, tant dans le domaine sportif que dans la sphère intellectuelle et politique. Ainsi, l’ouvrage Trajectoire d’un homme en avance sur son temps ne se limite pas à la biographie d’un footballeur d’exception : il raconte l’histoire d’un homme dont l’héritage dépasse largement le cadre du sport, pour s’inscrire dans la mémoire collective africaine et mondiale.
L’importance de cet ouvrage réside dans son ouverture à d’autres disciplines sportives, notamment à travers la vision d’Abdelaziz Moundé, qui insiste sur le caractère mondial et fédérateur des Jeux Olympiques. Il emploie des termes tels que « planétaire », « communion », « monde », « écrans », « milliards de personnes », illustrant ainsi l’idée d’une humanité rassemblée autour d’un événement unique. C’est dans cette optique qu’il dresse une galerie de portraits de professions variées à travers le monde : « le pêcheur de saumon sur l’île de Jan Mayen », « l’artisan des falaises de Bandiagara au Mali », « le torero de Madrid », « le cow-boy du Texas », « le tapissier de Téhéran », etc. Cette énumération riche et diversifiée met en exergue la portée universelle de l’événement sportif et son ancrage dans des réalités culturelles distinctes.
Reconnaître l’Inoubliable : Edjangue et Ngounga, Témoins de la Grandeur d’Eugène Njo Léa
En ce qui concerne les auteurs de l’ouvrage, à savoir Jean-Célestin Edjangue et Serge Ngounga, ils amorcent leur introduction par la citation : « Aux grands hommes… la patrie reconnaissante. » Cette formule honorifique souligne la reconnaissance collective envers ceux qui ont marqué leur époque par des actions exceptionnelles. Loin de référer à une grandeur physique, elle met en avant une stature morale, intellectuelle ou héroïque. Elle implique que ces « grands hommes » partagent un héritage commun, une vision qui les élève au sommet de l’admiration collective. La notion de « patrie » dans cette citation renvoie à une appartenance profonde, un lien indéfectible entre l’individu et sa nation, qui devient le gardien de la mémoire collective. Ainsi, les auteurs construisent progressivement la grandeur d’Eugène Njo Léa avant de souligner que son nom est « sans doute ignoré » aujourd’hui. Ce contraste entre reconnaissance et oubli met en lumière la nécessité de réhabiliter sa mémoire. Cet hommage s’inscrit dans un programme de distinctions initié par la Maison des Camerounais de France. Le parcours unique d’Eugène Njo Léa illustre parfaitement cette exigence de mémoire.
L’importance du livre se manifeste également à travers l’hommage rendu par Prosper Abega, avocat résidant à Marseille. Son témoignage met en évidence non seulement une reconnaissance personnelle, mais aussi les liens humains qui se tissent au-delà des interactions ordinaires. Lorsqu’il affirme qu’il « doit » à Eugène Njo Léa, il exprime une dette morale et affective, bien loin d’une obligation financière ou matérielle. Cette déclaration traduit un sentiment profond de gratitude et de reconnaissance envers l’impact que Njo Léa a eu dans sa vie. De plus, cette dette morale peut être perçue comme une forme de libération psychologique. En exprimant publiquement sa gratitude, Prosper Abega se défait d’un poids émotionnel, reconnaissant ainsi l’influence positive de son mentor.
L’interview de Joseph-Antoine Bell est particulièrement précieuse car elle met en lumière le rôle de Njo Léa en tant que passeur d’opportunités. L’ancien gardien de but raconte : « Eugène Njo Léa me recommanda au directeur technique national français de football, Georges Boulogne. On était dans les années 79-80. Je suis allé voir ce monsieur de la part d’Eugène Njo Léa. Il m’a reçu, car Eugène était respecté et écouté. » Cette recommandation illustre parfaitement l’importance des réseaux et des relations dans le monde du football. Elle montre comment Njo Léa, en facilitant l’accès à des opportunités décisives, a joué un rôle central dans l’épanouissement des talents africains. Parmi les nombreux témoignages marquants de cet ouvrage, celui d’Éric Fabre et de son neveu résonne avec une poignante ironie.
Son neveu raconte : « Ce footballeur qui, toute sa carrière, résistait stoïquement aux assauts violents des défenseurs, sans jamais broncher, venait tout juste d’être vaincu par une simple chute. » Cette déclaration met en exergue un contraste saisissant entre la force physique dont Njo Léa faisait preuve sur le terrain et la fragilité inhérente à l’existence humaine. Le paradoxe est frappant : l’homme qui affrontait sans faillir les défenseurs les plus rugueux succombe à un incident anodin. Cette chute devient alors une métaphore de la vulnérabilité humaine face à l’imprévisible. Enfin, cette citation souligne l’inéluctabilité de la fin, même pour ceux qui paraissent invincibles. Eugène Njo Léa ne se résume pas à un héros du football, mais à un homme confronté aux aléas de la vie. Son héritage ne se limite pas à ses exploits sur les terrains : il est un modèle de persévérance, de dignité et de résilience. Son influence durable va bien au-delà du sport, touchant à la solidarité et à la reconnaissance des droits des footballeurs. Dans cet esprit, le souhait de Philippe Lafont de créer une compétition portant son nom et d’instituer un trophée en son honneur s’inscrit dans une dynamique de pérennité. Une telle reconnaissance permettrait de maintenir vivante la mémoire d’un homme d’exception, dont l’impact transcende largement les frontières du sport.
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