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© AFRIKSURSEINE : Hélene Molina
- 25 Feb 2025 10:07:01
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AFRIQUE :: Entretien avec Roch Sosthène NEPO : Plaidoyer pour un renouvellement du narratif africain
Il y a quelques jours, paraissait aux Éditions LICHT à Paris l’ouvrage de Janvier K. LITSE, ancien Vice-président de la Banque Africaine de Développement (BAD), un livre d’entretiens mené en collaboration avec Roch Sosthène NEPO et intitulé L’Afrique dans la peau : pour une pédagogie du développement. Face à l’écho grandissant que suscite déjà cet ouvrage dans les cercles littéraires, politiques et économiques, Afrik sur Seine a souhaité, en premier lieu, s’entretenir avec Roch Sosthène NEPO afin d’approfondir la compréhension de son contenu. Plongé au cœur du débat, ce dernier a partagé avec nous, lors d’un échange à bâtons rompus, une réflexion riche et éclairante. Nous vous livrons ici l’essence de cet entretien, véritable clé de lecture d’un livre qui interroge, bouscule et nourrit la pensée sur le développement du continent africain.
Plaidoyer pour un renouvellement du narratif africain
Monsieur NEPO, c’est à vous qu’est revenu le privilège de conduire la longue interview à laquelle a bien voulu se prêter l’auteur du livre-entretien intitulé « L’Afrique dans la peau : pour une pédagogie du développement » qui vient de paraître aux Editions LICHT, à Paris. Quels enseignements tirez-vous donc de cette randonnée narrative exploratoire à travers les méandres labyrinthiques de la haute finance ?
D‘entrée, je voudrais saisir l‘occasion que vous m‘offrez, à travers votre prestigieuse tribune, pour exprimer ma gratitude à l‘endroit de l‘auteur, Monsieur Janvier K. LITSE, à qui il a plu d‘associer ma modeste personne à la réalisation de ce projet éditorial de première grandeur. Je lui en sais d‘autant plus gré que, dans le contexte particulier d‘un récit autobiographique où il est question de se dévoiler un tant soit peu, en exposant parfois (consciemment ou inconsciemment) ses vulnérabilités aux yeux du lectorat, le choix de l‘intervieweur procède, avant tout, d‘un acte de confiance manifeste. Je suis donc d‘accord avec vous, pour dire que ce fut, pour moi, un réel privilège d‘avoir joué ce rôle. Comme vous pouvez l‘imaginez, les enseignements que je tire personnellement d‘un tel exercice sont de plusieurs ordres.
En effet, cette « randonnée narrative exploratoire » (pour reprendre votre belle formule) aura été un vrai cheminement initiatique dans les arcanes des institutions financières multilatérales. Ce fut surtout une opportunité unique d‘apprentissage, de découverte ou d‘approfondissement de certains concepts-clés de la macroéconomie et des théories du développement, sous l‘éclairage singulier d‘un praticien chevronné.
Il en découle le constat selon lequel l‘engagement en faveur du développement peut parfois devenir tout simplement fusionnel, au point d‘être vécu comme une véritable vocation. Bien entendu et quand bien même la tentation serait forte à plus d‘un titre, je n‘irais pas jusqu‘à parler de sacerdoce, pour ne pas heurter certaines sensibilités ou susciter une vaine polémique à ce sujet. Suivez mon regard… (rire)
Enfin, j‘ai désormais la conviction inébranlable que les meilleures pratiques en matière de financement du développement (et de développement tout court) devraient davantage faire l‘objet d‘une large diffusion. Car, le fait que les élites africaines – c‘est un secret de Polichinelle –, n‘écrivent que très peu pour rendre compte de leur vécu personnel et professionnel, constitue assurément un énorme gâchis. Un tel état de chose n‘est certainement pas de nature à favoriser une capitalisation optimale de savoirs, savoir-faire et savoir-être au profit de la communauté. Il s‘avère donc impératif d‘y remédier, moyennant une réhabilitation systématique de la transmission intergénérationnelle, fonction sociétale majeure dont dépend la survie épistémique de tout groupe humain et, par ricochet, son développement harmonieux. Il est, certes, vrai que les sociétés négro-africaines sont réputées être des sociétés de l‘oralité. Pour autant, devrions-nous continuer à nous en enorgueillir béatement, face aux nombreux défis des temps modernes qui nous interpellent ?
Pour vous avoir personnellement suivi, depuis bientôt une décennie si ce n’est plus, à travers maintes publications à caractère autobiographique, je sais que vous n’en êtes pas à votre coup d’essai en matière d’accompagnement éditorial de dirigeants africains issus notamment du gotha économique et financier (Banque mondiale, FMI, BAD, BCEAO, OMD, FNUAP, ministres et assimilés, etc.). Peut-on savoir ce qui vous motive à persévérer dans cette voie ?
Avant de répondre à votre question, permettez-moi d‘apporter une petite clarification liminaire. En vérité, la cible à laquelle vous semblez faire allusion est beaucoup plus large que celle des seuls économistes et financiers de haut vol, même si, a priori la proportion des représentants de cette grande famille professionnelle s‘avère prépondérante, par rapport à l‘ensemble des auteurs ayant, à ce jour, fait l‘option de publier un récit-témoignage®. Mais, croyez-moi, ce n‘est qu‘une question de temps, la courbe étant appelée à évoluer en faveur d‘autres corporations.
Sont donc concernés les leaders africains de tous horizons : membres éminents de la Diaspora, cadres dirigeants seniors ou grands commis de l‘État, entrepreneurs à succès ou capitaines d‘industrie, militants iconiques de grandes causes sociétales (activistes, artistes, leaders d‘opinion, etc.), technocrates de pointe, intellectuels accomplis ou experts chevronnés ; personnalités politiques de tout bord, responsables religieux ou spirituels de toutes obédiences…
Tous les profils types ainsi énumérés sont d‘emblée éligibles au récit- témoignage®, dès lors que les personnages correspondants manifestent le désir de passer le témoin à la postérité, en partageant avec le grand public, à travers un livre-entretien, la somme d‘expériences et d‘expertises capitalisée tout au long de leurs parcours professionnels et de vie. Qu‘est-ce qui justifierait mon intérêt pour un tel accompagnement ?
Eh bien, ma seule ambition est de contribuer à une meilleure prise de conscience de l‘urgence d‘une réécriture de ce qu‘il est désormais convenu d‘appeler pudiquement le « narratif africain » et qui apparaît de plus en plus comme une tenace et légitime revendication de l‘Intelligentsia du continent, toutes tendances confondues. Au fond, il s‘agit d‘aider les leaders africains (et, parfois à travers eux, les organisations dont ils ont la charge) à raconter leurs vécus, en mode interactif et à des fins essentiellement pédagogiques, pour :
·mieux inspirer les générations montantes ;
·renouveler la narratif africain ;
·apporter un supplément d‘âme au processus de développement.
Au total, dans ce type d‘accompagnement, ce qui me passionne au plus haut point, c‘est moins les aspects ayant trait à l‘esthétique littéraire stricto sensu (même si je confesse, par ailleurs, ne pas détester l‘écriture et les belles lettres) que les dimensions « leadership », « transmission intergénérationnelle », « continuité mémorielle » et « legs à la postérité ». Toutes choses qui, en dernière analyse, relèvent d‘une certaine valorisation du capital humain.
Que faut-il entendre par « récit-témoignage® » et en quoi, selon vous, ce genre se distingue-t-il de l’autobiographie classique ?
Pour faire simple et court, le récit-témoignage® pourrait se définir comme étant le recueil de témoignages d‘acteurs majeurs d‘un domaine donné, au moyen d‘une série d‘entretiens narratifs, conduits selon les règles de l‘art et permettant de partager avec le grand public les temps forts d‘un parcours professionnel ou de vie ; ceci, dans l‘optique d‘en maximiser l‘impact sur la communauté, notamment en termes de bonnes pratiques en matière de gouvernance et de leadership.
À la différence de l‘essai classique (austère, académique et confinant au monologue insipide) ou de l‘interview journalistique (privilégiant l‘actualité chaude et parfois à caractère sensationnel), ce genre littéraire se révèle particulièrement adapté au modus operandi de certains dirigeants, porteurs d‘un projet de publication d‘envergure. Il s‘agit de ceux-là qui, quoiqu‘intrinsèquement dotés de capacités rédactionnelles avérées (avec une très belle plume, à leurs heures de grande inspiration), ont cependant du mal à vaincre le syndrome de la page blanche, du seul fait des contraintes objectives inhérentes à leurs charges, en tant que décideurs.
En outre, le récit-témoignage® a l‘avantage d‘être plus accessible au lecteur moyen, dans la mesure où il repose sur une approche pédagogique et communicationnelle qui permet de traiter des questions réputées les plus ardues, les plus abstraites ou les plus graves, en les ramenant au niveau du citoyen lambda, grâce au recours à un langage dépouillé : celui de la causerie ordinaire, empreint de légèreté, de spontanéité et de convivialité.
Last but not least, la méthodologie mise en œuvre prévoit un effet- miroir consistant à confronter systématiquement la version brute du narrateur principal (l‘auteur) avec des avis émanant de tiers acteurs. Ce qui a l‘indéniable vertu de conférer au récit une caution additionnelle en termes d‘objectivité et de crédibilité. On évite ainsi de verser dans la pure hagiographie, l‘autocélébration grotesque ou tout simplement la fiction romanesque.
En quoi consiste précisément votre accompagnement en tant que coach éditorial ?
Fondée sur une « méthodologie propriétaire » alliant à la fois personal branding, storytelling et maïeutique socratique, l‘intervention proposée a pour finalité de booster le leadership narratif de l‘auteur, lui permettant, ipso facto, d‘impacter davantage la communauté, en tant que dépositaire attitré de meilleures pratiques dans la sphère d‘expertise qui est la sienne. Il peut également être question d‘aider une organisation leader ou championne de son secteur à capitaliser les savoir-faire critiques dont sont dépositaires certains de ses membres jugés les plus représentatifs ; ceci, dans le but de renforcer la légende organisationnelle (storytelling) et d‘optimiser l‘impact d‘une telle entité, en termes de responsabilité sociétale. Dans un cas comme dans l‘autre, l‘accompagnement se déroule en trois ou quatre séquences, à savoir :
(i)phase de structuration du projet de publication, avec pour principaux livrables, le synopsis et le plan de rédaction détaillé de l‘ouvrage, assortis d‘une feuille de route du parcours de coaching ;
(ii)phase rédactionnelle, avec pour principal livrable la version définitive du manuscrit formellement validée par l‘auteur et devant être soumis à l‘éditeur ;
(iii)phase éditoriale proprement dite, avec pour principal livrable la version ultime de la maquette de l‘ouvrage, assortie du BAT (Bon à tirer) ;
(iv)phase (optionnelle) de promotion et diffusion du livre, avec pour principaux livrables un plan de communication et son rapport d‘exécution dûment validés par l‘auteur.
J’ai du mal à vous suivre, M. NEPO. Vous parlez d’organisations et de responsabilité sociétale… Où se trouve donc le lien avec le récit- témoignage® ?
À première vue, vous n‘avez peut-être pas tort. Seulement il convient de préciser que si l‘exercice de narration s‘applique, non pas à une personne physique, mais à une organisation, alors on pourra parler de livre d’entreprise, de livre institutionnel, d‘histoire d’entreprise ou encore de biographie d’entreprise… Ce ne sont là que quelques expressions consacrées qui me viennent, tout de suite, à l‘esprit, pour désigner la chose. Il n‘en demeure pas moins que, dans les deux cas de figure, le but visé est de mettre en avant, soit une célébrité (individu), soit une organisation leader de son secteur d‘activité, susceptible de servir de modèle ou source d‘inspiration. Histoire de montrer qu‘en matière d‘exemplarité, l‘Afrique qui gagne est autant celle de personnalités exceptionnelles que celles d‘institutions fortes, pour reprendre la célèbre boutade de Barack Obama.
Doit-on comprendre qu’en fin de compte, au-delà de la promotion du leadership narratif, le rêve ou si vous préférez l’émotion que vous « vendez » aux auteurs que vous accompagnez, c’est un certain sentiment d’immortalité ?
Pas forcément, n‘exagérons rien non plus. Je parlerais plutôt du sentiment d‘appartenance à une classe de dirigeants africains exceptionnels, crédités d‘une réussite professionnelle et/ou d‘un accomplissement personnel indéniables, heureux de transmettre aux jeunes générations le patrimoine de meilleures pratiques dont ils sont les dépositaires… Une façon de ne pas disparaître de la scène, habité par l‘éternel regret de n‘avoir pas su passer le témoin, accréditant ainsi l‘aphorisme bien connu du Sage Amadou Hampâté BA selon lequel : « un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle »
Auriez-vous un message à l’endroit des leaders africains ?
Je me contenterais de faire mienne une recommandation forte de feu Emmanuel GUIDIBI formulée, il y a un peu plus de 6 ans, et qui sonne, aujourd‘hui, comme un testament valant son pesant d‘or. En effet, appréciant l‘initiative d‘un de ses illustres compatriotes de publier un récit-témoignage®, celui que d‘aucuns considèrent comme le « Peter Drucker béninois » avait alors écrit :
« J’en pense tout le bien du monde, moi qui prêche, à qui veut m’entendre, le knowledge management ou capitalisation des connaissances et expériences. On nous reproche, en Afrique, d’écrire peu et surtout de mettre très peu, sous forme écrite, le fruit de nos expériences, en héritage aux générations futures.
Certains vont jusqu’à penser que c’est la principale cause du retard de l’Afrique. Ce livre donne l’exemple, le bon exemple de ce que nous devons faire désormais. On devrait désormais rendre cet exercice obligatoire : exiger des hauts fonctionnaires de notre administration de ne pas quitter leur poste, notamment pour prendre leur retraite, sans avoir couché par écrit ou transmis sous d’autres formes audio- visuelles, une réflexion sur leurs expériences, à titre de capitalisation des connaissances et expériences. D’avoir pris le temps de sacrifier à ce devoir et de nous donner un bel exemple de knowledge management est une œuvre de pionnier qui mérite d’être saluée. »
Votre mot de la fin ?
Au risque d‘être taxé de vouloir prêcher pour ma paroisse (étant donné ma posture d‘intervieweur occasionnel, apparaissant comme juge et partie), je souhaiterais qu‘un bon accueil soit réservé à ce livre qui, très honnêtement, vaut bien le détour. Ce serait déjà un signe d‘encouragement pour l‘auteur, appelé désormais à faire valoir ses talents d‘« apôtre du développement » (pour emprunter l‘expression du préfacier, le président Thomas Boni YAYI), dans un tout autre registre. En effet, cumulativement avec ses responsabilités courantes, Janvier K. LITSE vient d‘être intronisé Chef traditionnel de MBA‘AM, son village d‘origine situé au Centre du Cameroun, en pays Vouté. Une autre forme de consécration, sans aucun doute, mais aussi de nouveaux challenges en perspective…
Enfin, je m‘en voudrais de ne pas rappeler que le livre « L’Afrique dans la peau : pour une pédagogie du développement » est disponible dans les principales librairies de Yaoundé, d‘Abidjan et de Cotonou, ainsi qu‘à la FNAC, chez Eyrolles, sur Amazon et la plupart des plateformes dédiées à la promotion du livre africain. Sa version anglaise intitulée « Africa in my blood : urging a development pedagogy », est prévue pour paraître dans les semaines à venir.
Infoline/WhatsApp : +229 01 63 35 55 32
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