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- 05 Feb 2025 13:43:20
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AFRIQUE :: J’ai perdu le Nord de Didier Ntamag ou l’Europe à tout prix :: AFRICA
« J’ai perdu le Nord », c’est l’histoire de Dany Make. Depuis que son père a perdu son travail à la suite d’un licenciement abusif, sa famille plutôt nombreuse rencontre de sérieuses difficultés financières. Dany et ses frères ont été contraints d’arrêter les études et de se consacrer à des petits boulots pour aider quelque peu à subvenir aux besoins de la famille. Seuls les plus petits de la fratrie vont à l’école. C’est dur, mais Dieu n’oublie personne. Un jour de galère comme les autres, le vent tourne en faveur de Dany : un « flash-cash » d’une valeur de UN MILLION de francs CFA atterrit entre ses pieds, littéralement poussé par le vent, justement. Quelle histoire ! C’est l’euphorie à la maison. Même le père de Dany n’avait jamais gagné autant d’argent d’un coup. Le voilà millionnaire alors qu’il est au chômage, passe ses journées alangui dans le canapé à lire et relire les vieux journaux, ou à regarder la télé au bar (le poste de la maison était mort). Dany en bon fils a en effet confié le pactole à son père. Le chef de famille décide d’investir l’argent dans une affaire de trafic de bois de chauffage… qui fait un flop au premier essai. Homme d’affaires, ça ne s’improvise pas. Comme disent les anglo-saxons, « Luck is when preparation meets oppotunity ». La chance a (mal) tourné. A peine entrée, elle est repartie. Manque de bol. La déveine du père de Dany était décidément intraitable. C’est là que Dany Make, qui porte bien son nom, décide de prendre la route ( : Make signifie « Je pars » dans une certaine langue, comme nous l’apprend l’auteur en parlant de ces cars de transport urbain baptisés « make-mazou », entendu « je pars-je viens »).
Partir. Au départ, Dany se convainc qu’il prend la route pour aller « se chercher » chez les Blancs (i.e. qu’il s’en va à la recherche d’une vie meilleure). Mais voilà qu’à mi-chemin, de nouveau la chance lui sourit, et cette fois c’est vraiment la baraka : un roi africain que le destin a placé sur sa route lui propose de lui offrir tout ce dont il a besoin, à condition d’arrêter là son périple et de retourner chez ses parents, ou alors de vivre à ses côtés, comme un fils, comme un prince. Dany Je-Pars décline la générosité du roi africain, et c’est alors qu’il réalise qu’il ne sait peut-être pas lui-même ce qu’il veut. Peut-être voulait-il simplement aller chez les Blancs, en fin de compte : « Tout ce que je savais, c’est qu’il fallait que j’atteignisse l’Europe tôt ou tard et à tout prix. »
Ici, l’auteur Didier Ntamag appelle le lecteur à méditer sur un paradoxe que l’on n’a souvent pas compris : comment peut-on avoir réussi à épargner des centaines de mille, parfois un ou deux millions de francs, en Afrique, et décider d’investir toutes ses économies dans un long voyage clandestin pour se rendre outre-Atlantique, alors même qu’avec autant d’argent on aurait pu monter une petite affaire florissante et faire tranquillement sa vie dans son pays, auprès des personnes qui nous sont chères ? Sans parler des multiples dangers et risques encourus par les voyageurs clandestins qui se lancent dans cette aventure sans garantie ; les chances d’arriver (vivant) de l’autre côté de l’Océan sont plutôt minces. Racket, agression, kidnapping, esclavage (sexuel), noyade en méditerranée ; la mer méditerranée, le tombeau, la fosse commune de ces nombreux voyageurs clandestins qui n’ont toujours pas compris que le bonheur peut être vécu partout, et encore mieux chez soi. En tout cas, Dany Make a pris la route de l’Occident, mais il a vraisemblablement perdu le Nord. Il se pourrait qu’il ait embarqué dans le mauvais navire, comme Jonas, le messager malgré lui qui voulait s’éloigner le plus possible de sa destinée. Dany arrivera-t-il à bon port ou finira-t-il dans le ventre du poisson ? C’est là tout le suspense de « J’ai perdu le Nord ».
L’autre charme du livre de Didier Ntamag, c’est le plaisir que l’on prend à voyager aux côtés du héros, Dany Make. Une belle expérience d’évasion qui va changer le lecteur de son environnement immédiat. Une invite à la découverte de nouveaux paysages, à la rencontre des hommes d’ailleurs, de nouvelles cultures, de nouvelles façons de vivre. C’est en quelque sorte le Beatnik revu par Didier Ntamag ; vous savez, ce courant littéraire qui a magnifié l’insouciance rebelle et les voyages sans le sou des jeunes gens dans les années 50-60. Chemin faisant, on en apprend aussi des choses, dans les rencontres de Dany Make avec de nouveaux horizons, de nouvelles personnes. « Quiconque a beaucoup vu peut avoir beaucoup retenu », disait Lafontaine. Voyageons donc dans le livre de Didier Ntamag, pour le plaisir de voyager.
« J’ai perdu le Nord » de Didier Ntamag était en lice à l’édition 2018 des Grands Prix des Associations Littéraires (GPAL), catégorie Belles-Lettres.
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