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© AFRIKSUESRINE : Calvin DJOUARI
- 01 Feb 2025 12:47:57
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FRANCE :: Il faut déjà enterrer Martinez Zogo
Cela fait deux ans que cet homme a été arraché à la vie, assassiné avec une brutalité qui a traversé les frontières et secoué les consciences. Sa mort, d’une violence inouïe, a fait le tour du monde. Des arrestations ont eu lieu, un procès s’est ouvert, les enquêtes se poursuivent. Pourtant, le temps s’étire, s’effiloche dans l’indifférence ou la stratégie du retard. On joue avec les jours, on dilue la vérité dans l’attente. Et pendant ce temps, Martinez demeure sous la glace, prisonnier du froid et de l’oubli. Un triste record, témoin silencieux de l’acharnement qu’il a subi, jusque dans la mort. On avait eu l’impression, qu’à travers l’acharnement sur Martinez Zogo, qu’une bête féroce plane sur le pays, avec des échappées dans le baroque et l’onirisme.
Ce fut une terreur : si un pays censé nous protéger s’habille sous une robe nocturne, brandit un marteau noir et marche avec le mal, le mal à l’état pur, alors nous devons nous battre nous-mêmes pour nous en sortir, plutôt que de compter sur l’État. Martinez a déjà trop duré dans les glaces. Nous avons des responsables qui doivent nous rendre des comptes, mais s’ils ne le peuvent plus, laissons l’Histoire les juger. Quelqu’un, quelque part, racontera spontanément ce qui s’est réellement passé. Ce corps, tant qu’il n’est pas enterré, hante les esprits, surtout ceux de sa propre famille, et les plonge dans une sorte de disette de la vie. Martinez a connu la chasse, l’arrestation, la torture, l’humiliation, et son corps a été jeté dans une carrière désaffectée, comme celui de Franz Kafka.
Le maintenir dans cette souffrance nous paraît d’autant plus ambigu que le mort est invisible, mais qu’il est un esprit qui souffre dans la maison des morts. Nous savons ce que Martinez a vécu au cours de cette traversée de l’enfer. L’atmosphère inhumaine de son assassinat restera, une fois pour toutes, glaciale. Car ce n’était pas une fiction, mais du réel. Ce procès kafkaïen nous agace. Il porte le costume imperméable, comme le pardessus de Kafka. Je ne cherche pas à remettre en question ces hommes à l’intelligence acérée, d’une culture exemplaire. Je cherche à y réfléchir. Et tout cela s’est déroulé dans notre belle capitale, aujourd’hui déliquescente, où se côtoient un monde interlope et agité sous la caste de quelques seigneurs : de petits comptables du crime, des nobles anciens et cyniques, des parvenus vulgaires, des veuves séduisantes, des escrocs… Tous continuent de parler sur la toile, d’aller à la piscine et au bistrot, de regarder la télé, sous le feu croissant des belles voitures.
Le temps paraît suspendu, au bord du vide que nous offre ce pays. Un pays devenu l’évaluateur d’une chaîne de destruction, où tout va s’activer pour adoucir un peu la condition du mort. Mais il se heurte aux obsessions purificatrices des puissants, aux visées carriéristes, à l’inertie sadique des bourreaux de terrain. Ce crime s’inscrit à la stricte intersection d’une démence collective titanesque, dont il révèle la multiplicité des ressorts, et d’une folie personnelle autodestructrice et immanente, proche du fatum latin, coupable expiatoire d’une faute commune et d’un crime qui porte une signature. Nous avons vu l’explosion de la folie humaine, dans le plus beau des pays. Je le redis : un jour, un inconnu racontera comment cela s’est passé. C’est nous qui n’aurons pas le temps, mais la vie, elle, aura le temps.
Nos démons intérieurs, nous les avons pas détruits, car la mort de Martinez est une victoire qui nous a permis de comprendre et de réfléchir sur le mal dans notre pays, et d’en tirer des leçons pour en sauver d’autres, même si certains continuent de vivre avec la tête des tueurs. Ce qui pousse ces hommes à l’acte, c’est l’angoisse du pouvoir et la haine de l’autre. C’est aussi la ferveur et l’utopie, dans lesquelles danse aujourd’hui la folie du pouvoir. « Il faut enterrer Martinez Zogo. » En l’enterrant, on enterre aussi l’esprit de ceux qui lui ont infligé cela. L’affaire Martinez nous fait voir toutes sortes de bureaucraties, et nous les voyons fonctionner.
La place de Martinez n’est plus dans les morgues, mais dans une tombe. Cette présence ne perturbe ni les assassins ni ceux qui sont chargés d’apporter des clarifications. Laissons ceux qui continuent à jouer avec cette affaire s’amuser avec la force des morts. L’épreuve ne tient plus seulement à l’écoute de ce qui s’est passé pour cet homme. Elle réside dans cette cohabitation douloureuse, pénible, souvent insupportable, que nous impose la présence d’un corps dans un lieu glacial. En le laissant là-bas, on rend hommage à ceux qui savent tuer avec volupté. Au contraire, rendez-lui sa dignité perdue en l’enterrant avec honneur. Cela vous permettra aussi d’apaiser les insomnies d’une histoire aussi éprouvante. Il y a une nécessité de comprendre un mort qui est à la morgue : on condamne son esprit à une autre douloureuse épreuve, car les morts ne sont pas morts. Les bourreaux étaient en mission. C’est à eux de faire leur propre bilan, de voir si cela augmente leur part d’humanité ou si cela les dégrade.
Le terrain est miné, mais ma démarche n’est ni sensationnaliste ni complaisante. Elle est morale et lucide. Il faut interroger la morale et ses limites. La manière détaillée dont ce crime nous a été raconté… Une telle scène a réellement eu lieu, et ceux qui tuent sont des hommes, tout comme ceux qui sont tués. Dans ce pays, il est impossible de dire : « Je ne tuerai point. » Car ici, nous voyons bien comment tout le monde peut tuer. Les mots ne servent plus ici, les bourreaux s’y abreuvent. Vivez et faites ce qui est possible, c’est nécessaire pour tous les Camerounais. Ceux qui ont tué sont comme nous, ils ne sont pas nés assassins, ils n’étaient même pas disposés à cela. Ce sont des gens normaux, mais il est difficile de savoir ce qui se passe dans la tête d’un criminel. Nous sommes des radicaux du mal.
Suivre le mal, comme Jonathan Littell, les yeux grands ouverts… Cet assassinat nous a donné la capacité de réfléchir sur la violence et l’horreur. Nous sommes en présence d’hommes saints qui se sont lancés dans une violence délirante, perverse, parce qu’ils ont perdu leur aptitude à juger. L’avènement d’une nouvelle société nécessite que nous nous débarrassions de certaines personnes dans notre esprit et que nous passions à autre chose. Martinez n’est pas seul : il y a son entourage, nombreux sont journalistes, littéraires, philosophes, juristes, écrivains. Un jour, il fera bon vivre dans ce pays. Ceux qui ont fait cela étaient des personnes très cultivées.
Ce n’étaient ni des monstres ni des fous. C’étaient des personnes très intelligentes, des chefs de famille. Ils n’étaient ni malades ni idiots. Ils savaient que l’homme en face d’eux avait, comme eux, une femme et des enfants, et pourtant, ils l’ont quand même fait. La seule loi qui comptait pour eux était celle de leur désir. Mais le jour viendra où ils comprendront qu’ils ne sont rien. Prions pour ceux qui meurent, pour ceux qui font mourir et qui vont mourir.
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