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© Correspondance : Propos recueillis par Latifa Bieloe
- 30 Jan 2025 08:42:54
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CAMEROUN :: LE TESTAMENT DE MON GRAND-PERE : INTERVIEW DE DANIEL NADJIBER :: CAMEROON
Les historiens nous apprennent que certains livres ont engendré, ou à tout le moins ont contribué à inspirer des révolutions. Pour exemple, « La case de l’Oncle Tom » d’Harriet Becher Stowe est souvent cité comme l’un des assaisonnements qui ont préparé le bouillon révolutionnaire de 1861 à 1865, lequel a abouti à l’abolition de l’esclavage sur tout le territoire des Etats-Unis d’Amérique, sous l’exercice du président Abraham Lincoln. « Le testament de mon grand-père », l’œuvre que vient de signer Daniel Nadjiber, bien que modeste dans ses ambitions, nous parle lui aussi de libération, de « soif de justice », des complaintes d’un peuple en souffrance. Le peuple Mbum. Dieu merci, l’auteur s’est rendu disponible pour en parler avec le collectif Reading is so Bookul de Latifa Bieloe. Latifa interroge Daniel.
« Le peuple Mbum est un peuple en soif de justice », c’est écrit dans un article consacré à votre ouvrage. Le texte en question est disponible sur la toile sous le titre « S’opposer pour exister : le testament du grand-père de Nadjiber Daniel ». Les abus de pouvoir et d’autorité que vous rapportez dans votre livre semblent en effet sortis tout droit d’un livre d’Histoire ; pourtant, vous insistez et persistez dans cette accusation, selon laquelle les Mbum sont encore victimes aujourd’hui de tortures et de sévices barbares perpétrés à leur encontre par les bourreaux de la royauté Islamo-Peule. Vous trouvez même tout à fait justifié d’utiliser des termes comme « Esclavage », « Génocidaire ». Comment comprendre que le reste du monde, à commencer par le reste du pays, c’est-à-dire le grand Sud-Cameroun, soit si peu informé de cette triste réalité ; les ONG locales et autres organisations des droits de l’homme font pourtant grand cas de faits moins graves ?
Merci de me donner l’opportunité de m’exprimer au sujet des sévices et des injustices multiformes dont sont victimes les Mbum au Cameroun. Tous les faits racontés dans le Testament de mon grand-père sont réels et adoucis pour ne pas effrayer le lecteur. Si certains camerounais du grand Sud-Cameroun font semblant de méconnaitre ce problème, je dirais que c’est par peur de représailles, par simple hypocrisie ou par un silence complice car, l’Œil du Sahel, journal futé et reconnu sérieux pour ses enquêtes et investigations sur les régions septentrionales, a traité ce dossier à maintes reprises et d’autres médias audiovisuels et presse écrite également. Beaucoup d’ONG le plus souvent de connivence avec les autorités administratives, préfèrent se taire que de faire face à la foudre du tout puissant « Lamido », très connecté au pouvoir d’Etoudi. Lequel a fait de lui la deuxième personnalité du Sénat Camerounais et Président de la Commission des droits de l’Homme au Senat. La commission nationale des droits de l’homme à laquelle vous faites allusion a été sollicitée à plusieurs reprises par le Collectif des jeunes de Touboro pour le Développement mais, aucune réaction de leur part. C’est le blackout total. Comme si le Mayo-Rey ne faisait pas partie intégrante du Cameroun, une propriété privée d’un quelconque individu. Ayant constaté la proximité de l’antenne régionale des droits de l’homme à Garoua avec le Lamidat de Rey-Bouba, nous avions par le passé saisi les responsables du siège de la Commission Nationale des Droits l’Homme à Yaoundé pour plus d’objectivité, mais on nous a fait des promesses sans suite. Pis est, nous n’appartenons pas à la classe des nantis qui disposent des moyens financiers pour commander les publi-reportages dans les medias concernant la situation d’esclavage et d’injustice criarde que nous vivons dans le Mayo Rey au su et au vu de tous.
Vous dites dans votre ouvrage que « les peuples autochtones du Mayo-Rey méritent une réparation matérielle et morale pour avoir été victimes de stigmatisation et d’esclavage des temps modernes ». Qu’entendez-vous par « réparation matérielle » ?
Les peuples autochtones du Mayo-Rey et les Mbum en particulier ont beaucoup souffert de la stigmatisation, de la discrimination, des injustices de toutes sortes et même du génocide culturel. Car, les jeunes Mbum ont été systématiquement exclus du système éducatif par une stratégie savamment organisée pour retarder leur accès dans les grandes écoles professionnelles. Des stratégies bien huilées ont été également mises sur pied pour empêcher ce peuple de parler sa langue, de pratiquer ses us et coutumes, notamment les rites d’initiation à la tradition, les rites agraires, les festivals culturels…La preuve, dans tout l’Arrondissement de Touboro qui couvre une superficie de 16 610 km2, il n’ y a aucun chef traditionnel reconnu par l’administration. Or, dans les usages administratifs, lorsque les Ministres sont en visite officielle dans les Régions et le Hinterland, ils n’accordent des audiences qu’aux chefs traditionnels supérieurs. Par conséquent, les Mbum sont exclus des consultations et des prises de décisions sur le fonctionnement et la gestion du pays. Le travail forcé non rémunéré dans les plantations du Lamido pendant des décennies et les impôts illicites ont paupérisé le peuple Mbum, les rendant aujourd’hui non compétitifs par rapport aux autres. L’accaparement des sites stratégiques dans tout le territoire Mbum par les Lamibés pour les louer aux opérateurs des télécommunications.
L’État à travers le projet Sud-Est Benoué (SEB), financé par les bailleurs de fonds et mis en œuvre par la SODECOTON a également accaparé nos terres, pour installer plus de 10.000 familles (refugiés climatiques) en provenance de l’Extrême-Nord du Cameroun sans compensation aucune.
Spoliés de leurs moyens de substances et retardés sur le plan éducatif, les Mbum se sentent lésés, abandonnés et frustrés à tous les niveaux. Ils souhaitent que leurs bourreaux reconnaissent le mal qu’ils ont subi. Le monde évolue à une vitesse vertigineuse et les bourreaux de ce peuple doivent demander pardon et apporter une réparation matérielle comme le plan Marshall en Europe après la guerre mondiale. Ce sera un pas important pour la paix sociale et le vivre ensemble.
En vertu du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », est-il envisageable que les peuples Mbum décident de ne plus être des sujets de la royauté Islamo-Peule, par voie référendaire, par exemple ?
Ce sera une très bonne occasion pour les Mbum, les Dii, les Gbaya, les Laka, les Lamé, les Dama, les Mono et d’autres peuples qui habitent le département du Mayo-Rey dont les droits sont malheureusement bafoués avec la complicité des pouvoirs publics. Dans la partie sud du Cameroun, le Chef Traditionnel est le guide spirituel d’un groupement homogène mais au Nord-Cameroun, les Chefs traditionnels Peuls ont été imposés comme Chefs Traditionnels des autres ethnies sans doute à cause du premier Président du Cameroun qui était peul d’origine et de culture. Pour nous, le peuple Mbum est en train de se mourir à l’ère de la mondialisation, où tous les peuples se livrent à une compétition culturelle et civilisationnelle. Le Mbum ne peut donc pas avoir des éléments et armes nécessaires pour affronter la mondialisation de la culture. Si le décret N°77/245 du 15 juillet 1997 portant organisation des chefferies traditionnelles est appliqué, nous n’aurons pas besoin d’un referendum.
Vous déplorez à la page 56 de votre livre les conditions de détention inhumaines dans les geôles du Lamidat. Est-il autorisé, au regard de la légalité, que les autorités traditionnelles disposent des prisons, ou même des cellules de détention ?
C’est une violation flagrante de la loi. Aucun individu ou aucune structure privée soit-elle une chefferie puissante n’a le droit d’avoir une prison en dehors de l’Etat. Le Mayo Rey est un département de non-droit. C’est une triste réalité que les jeunes de Touboro ont vécus en 2011 et que d’autres habitants du Mayo-Rey continuent de vivre jusqu’à nos jours. L’actuel Lamido de Ngaoundéré est le seul à ma connaissance, qui a transformé la geôle traditionnelle de la chefferie en Centre de soin et Centre de formation professionnelle. Les autres chefferies traditionnelles du grand-nord, conservent malheureusement ces outils de torture et d’esclavage.
Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de publier votre premier livre, qui du reste traite d’un problème dont « l’urgence se pose avec acuité » (pour vous prendre au mot) ; pourtant vous êtes dans le monde de l’édition depuis plusieurs années ?
Je suis certes dans le monde de l’édition depuis 2004 en tant qu’employé dans une autre structure sans pouvoir de décision réelle sur les choix de manuscrits, en plus je n’avais pas de temps matériel pour collecter les données nécessaires à la rédaction de cet ouvrage. Mais ne dit-on pas : « mieux vaut tard que jamais ? ». L’ouvrage est désormais mis à la disposition du grand public pour vous permettre de toucher du doigt les dures et implacables réalités que vivent les Mbum et les peuples autochtones du Mayo Rey depuis pratiquement la première moitié du dix-neuvième siècle. Et la situation s’est aggravée avec le retour du Cameroun au pluralisme politique et à l’ouverture démocratique.
La deuxième partie de l’œuvre contient « 21 clés », en l’occurrence 21 proverbes qui nous ouvrent les portes du savoir et de la sagesse du peuple Mbum. Quelle serait la « clé du succès », justement, d’après les enseignements de votre grand-père, à l’ère où tout est à vendre (y compris les diplômes) ; où tout s’achète, en espèces ou en nature ; où la méritocratie n’est plus le principal critère de réussite sociale ?
Le succès chez les Mbum est un ensemble d’actions et de décisions qu’il faut prendre pour atteindre l’objectif à une période donnée. La maitrise de toutes les 21 clés vous permettra de prendre des bonnes décisions face à une situation et de poser de bonnes actions pour relever les défis et atteindre le résultat. J’invite tous ceux qui s’intéressent à l’Afrique en général et au peuple Mbum en particulier à lire ce livre pour être mieux armé face aux réalités d’aujourd’hui.
Pourriez-vous nous dire deux mots sur la culture du peuple Mbum, dont certains auteurs (y compris vous-même) ont vanté les mérites ?
Il est difficile de présenter la culture Mbum en deux mots. Ce qu’il faut retenir c’est la diversité de son art et de sa culture, sa pharmacopée, sa pédagogie de formation à travers le mentorat et l’initiation des jeunes filles et de jeunes garçons pour les préparer à une future insertion socio-professionnelle.
Vous êtes éditeur au Cameroun depuis 2012, comment se portent l’édition et les métiers du livre en général ; avez-vous l’impression que les choses avancent dans votre pays ?
En 2004, l’industrie du livre au Cameroun comptait à peine une dizaine de maisons d’éditions spécialisée dans la littérature générale, les ouvrages de théologies et les ouvrages universitaires. Le marché du livre scolaire était contrôlé à 95.4% par les multinationales occidentales. J’avais présenté l’analyse de la liste officielle dans un journal de la place pour décrier la faible part de marché qui revenait aux nationaux. L’un des partenaires de mon employeur avait demandé mon renvoi pour avoir communiqué contre leur intérêt. Heureusement que j’avais été protégé par mon patron de l’époque qui m’avait encouragé à continuer dans mes analyses. Vingt ans après cet épisode, on dénombre plus de 418 maisons d’éditions et les éditeurs camerounais contrôlent plus de 86% de part de marché du livre scolaire. Nous déplorons cependant une faible mutation dans le secteur de l’imprimerie dominé par les asiatiques qui contrôlent à ce jour près 90% du marché des impressions. Dans l’ensemble, on peut dire que les choses avancent, même si c’est lent, il y a une lueur d’espoir.
Maintenant que vous avez signé votre première œuvre littéraire, comptez-vous rester dans l’écriture ; si oui, quelle thématique envisagez-vous pour votre prochain livre ?
Bien sûr ! Sinon, je serais en train de trahir mon peuple. Je compte rester dans l’écriture pour contribuer à la sauvegarde et à la promotion des arts et de la culture Mbum. Dans non prochain livre, la culture Mbum fera face à la culture moderne dans un dialogue entre un patriarche Mbum et un jeune Mbum lettré.
Perspective intéressante. Nous nous réjouissons à l'avance. En attendant, nous restons solidaires à votre cause, tout en espérant que les pouvoirs publics prêteront une oreille attentive aux complaintes du peuple Mbum. Merci encore, monsieur Nadjiber, d'avoir partagé avec nos lecteurs ces réflexions intéressantes.
Je vous remercie également.
Crédit photo d'illustration: Wikipedia
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