-
© Correspondance : Kand Owalski
- 14 Jan 2025 09:50:19
- |
- 720
- |
ALTERNANCE POLITIQUE AU CAMEROUN : POURQUOI LE PROBLÈME NE DOIT PAS ÊTRE L'ÂGE DE PAUL BIYA :: CAMEROON
Ceux qui, il y a quelques mois encore, murmuraient que 2025 serait l’année de tous les basculements ne mesuraient pas, dans leur lucidité involontaire, à quel point leur intuition touchait juste. En effet, l’année qui commence porte en elle une certitude : elle scellera la fin d’un règne, celui d’un homme et d’un système qui aura figé le Cameroun dans un éternel présent de stagnation.
Mais il est un fait troublant : ce basculement, tant espéré, semble englué dans des débats erronés. Depuis les récents appels de l’Église catholique, exhortant tantôt Paul Biya à se retirer au nom de l’âge, tantôt les Camerounais à voter pour l’alternance, une obsession singulière s’est imposée dans les discours publics : celle de l’âge du dirigeant. Comme si les malheurs d’un pays tenaient à la décrépitude physique d’un homme.
Mais il faut ici défaire l’illusion. À 92 ans, l’on pourrait se demander si Paul Biya est encore capable de gouverner. Mais au fond, l’a-t-il jamais été ? Gouverner n’est pas simplement occuper un siège ou signer des décrets. C’est porter une vision, insuffler un souffle à la destinée collective, bâtir un avenir commun. Et sur ce plan, l’échec du président à vie n’a jamais été une question d’âge.
Car Paul Biya, ce monarque par accident, est d’abord un symbole : celui d’un pouvoir qui ne bâtit rien, qui ne se conçoit que dans l’inertie et la conservation. Arrivé au sommet de l’État en 1982, il n’a ni hérité de ce pouvoir par mérite, ni fait l’effort de l’investir d’un sens. Il a simplement laissé faire, déconstruisant pierre par pierre l’édifice qu’Ahmadou Ahidjo avait érigé, jusqu’à ce que les Camerounais, pris dans la désillusion, en viennent à regretter le temps du régime autoritaire d’avant.
Ce règne s’est construit sur une médiocrité systémique, une désinvolture qui n’a d’égale que la méchanceté d’une élite coupée du peuple. Et cette médiocrité, soyons clairs, ne date pas de la vieillesse du chef. Déjà, jeune technocrate dans les ministères, Paul Biya était décrit comme un employé lent, hésitant, incapable de prendre des décisions. Il n’a pas vieilli en médiocre : il l’a toujours été.
Aujourd’hui, l’héritage est là, sous nos yeux, dans toute sa violence muette : des routes dévastées, des écoles sans enseignants, des hôpitaux où l’on meurt de maladies bénignes, des jeunes qui ne rêvent que d’exil. Tout cela ne résulte pas de l’âge du dirigeant, mais d’un système ancré dans l’incompétence, la corruption, et une profonde indifférence envers ceux qu’il est censé servir.
Ainsi, poser le problème de l’alternance politique en termes d’âge est une erreur stratégique. En fixant notre regard sur les années du président, nous risquons de légitimer une nouvelle génération de prédateurs, drapés dans la jeunesse, mais porteurs des mêmes pratiques. Car, il faut le dire avec force : la jeunesse n’est pas un programme politique, et le changement de génération n’est pas une garantie de progrès. Ce que le Cameroun exige, ce n’est pas un simple rajeunissement des figures du pouvoir, mais une révolution de l’imaginaire politique, une rupture avec la logique prédatrice qui structure l’État depuis quatre décennies.
Que Paul Biya se représente ou non en 2025 importe peu, au fond. Ce qui importe, c’est que 42 ans ont suffi pour démontrer que cet homme n’a jamais eu les capacités, ni même la volonté, de gouverner ce pays. Et les sept prochaines années, s’il venait à s’offrir un énième mandat, ne seraient qu’une prolongation de ce vide.
Cela dit, la tâche qui nous incombe, en tant que Camerounais est d’aller au-delà de cette figure désormais spectrale qu’est Paul Biya, pour interroger la nature même du système qui l’a produit et qui continue de prospérer sur son immobilisme. Ce n’est pas l’âge qu’il faut congédier, mais l’idée même qu’un homme, quel qu’il soit, puisse incarner à lui seul la destinée d’un peuple.
L’alternance ne doit pas être, au demeurant, une question de personnes, mais une réinvention radicale du sens même de la politique. Il est temps de tourner la page, non pas pour recommencer le même chapitre avec d’autres acteurs, mais pour écrire une nouvelle histoire, où le Cameroun, enfin, se remettrait à rêver.
Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE
Les + récents
Alice Nkom absente à la convocation de la gendarmerie : polémique et droits humains en jeu
Calixthe Beyala : Les Camerounais veulent un changement après 42 ans de règne de Paul Biya
Laurent Esso évacué en France : État de santé critique du ministre camerounais de la Justice
Dr Christian Foulefack : Incarcération, procès et parcours politique du leader du PTN
Gabriel Koueni chercheur engagé soutiendra une thèse de doctorat en Business Administration (EDBA)
POINT DE VUE :: les + lus
Cameroun,33 ans de pouvoir: Les 33 péchés de Paul Biya
- 10 November 2015
- /
- 102665
LE DéBAT
Afrique : Quel droit à l'image pour les défunts au Cameroun ?
- 17 December 2017
- /
- 187555