J’ai lu pour vous, les Méditations de Prison (Echos de Mes Silences) de Titus Edzoa.
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FRANCE :: J’ai lu pour vous, les Méditations de Prison (Echos de Mes Silences) de Titus Edzoa.

Les Méditations de prison du professeur Edzoa Titus se présentent comme un appel poignant à la postérité, une incantation lancée depuis les tréfonds de l’âme, dans la profondeur insondable de la souffrance humaine. Telles les lamentations d’un homme au sommet de l’angoisse, ce livre se fait un miroir de son propre tourment, un jugement sévère et intime qu’il se porte à lui-même, une confession où le souffle désespéré résonne dans chaque page. Il est l’histoire secrète d’une âme tourmentée, une quête de vérité dans un monde qui semble se dérober sous les pas de ceux qui cherchent encore un sens à leur existence. C’est un texte qui, par son authenticité et sa profonde tension intérieure, ne peut que captiver tout lecteur épris de justice et d’authenticité. On pourrait, sans hésiter, dire qu’il n’existe pas d’œuvre camerounaise d’une telle ampleur ou  d’une telle profondeur.

Edzoa Titus a écrit dans une transe effrayante, comme si chaque mot, chaque phrase, était un cri arraché à son âme, un cri qui ne peut que frapper la conscience de celui qui l’approche. À la manière des rêveries du promeneur solitaire ou des Confessions de saint Augustin, il dévoile les recoins les plus cachés de l’âme humaine, s’adressant à l’humanité comme on confesse des péchés commis, non seulement contre soi-même, mais contre la société tout entière. Ce livre s’impose comme une catharsis, une libération de l’esprit, une plongée dans l’introspection qui apaise la conscience, car  cette confession  touche l’essence même  de Dieu. Un cri étrange nous est adressé, et ce cri, à la fois douloureux et libérateur, ne peut que nous inviter à un retour sur nous-même, à une introspection nécessaire.

Les Méditations de prison se dressent alors comme une œuvre capitale, peut-être la seule tentative philosophique véritablement originale dans le paysage littéraire camerounais. Issue d’une réflexion méthodique, elle interroge les sciences humaines et, plus particulièrement, le langage, ce véhicule de la pensée. La pensée d’Edzoa, en cela, s’inscrit dans les grands courants philosophiques des périodes de grande tourmente, comme celles des grandes guerres. Dans ce livre, tout commence par un cri de liberté à la page six où on peut lire : « Pour magnifier leur dignité à toutes ces femmes, à tous ces hommes qui, quelque part dans le monde, pour quelque raison ou de quelque manière que ce fut ont été privés de leur liberté… » Cette citation, placée au commencement, donne la tonalité du texte, un appel universel et intemporel à la liberté, à l’humanité et à la rédemption. Ainsi, dans Les Méditations de prison, Edzoa Titus nous invite à une réflexion profonde, à une exploration des abîmes de la condition humaine, tout en nous offrant la promesse d’une possible élévation, comme un phare guidant l’âme vers la lumière après l’obscurité.

 Le ton de cette citation est  un ton soutenu, porté par un vocabulaire valorisant et solennel. Des termes comme « magnifier » et « dignité » soulignent une approche respectueuse et emphatique. Et il a bien fait d’utiliser une longue phrase, complexe et construite de manière réfléchie, ce qui créé  une musicalité qui invite à une réflexion sérieuse et solennelle.  Dans cette phraséologie les mots utilisés sont bien ciblés  « pour magnifier leur dignité » ;  ils sont suivies d’une série de compléments circonstanciels et relatifs enchâssés. Ces expansions ajoutent des nuances tout en étendant le propos. « à toutes ces femmes, à tous ces hommes » : Ces compléments introduisent les destinataires, en insistant sur l’universalité et l’inclusion par la répétition. Ils utilise la subordonnée relative : « qui, quelque part dans le monde, pour quelque raison ou de quelque manière que ce fut » : Une proposition relative complexe enrichie par des circonstants détaillant les conditions et la portée universelle du propos. « ont été privés de leur liberté » : Une relative explicative qui explique le contexte d’oppression des individus concernés.

Le lexique utilisé s’organise autour de thèmes clés : Dignité, liberté : Ces termes appartiennent au champ de la justice et des droits fondamentaux. Aussi l’homme veut être rehausser « magnifier ». L’usage de locutions comme « quelque part », « pour quelque raison », et « de quelque manière que ce fut » met en avant l’universalité et la diversité des contextes évoqués. Le choix de mots met en lumière une intention respectueuse et solennelle de rendre hommage à ceux qui ont souffert en même temps sensibiliser sur l’importance de la liberté et de la dignité humaine. Si  La phrase débute avec l’idée centrale « magnifier leur dignité », qui sert de pivot thématique, le professeur se met dans une posture valorisante et honorifique. Il conclut :  « ont été privés de leur liberté »  ancre l’idée dans un contexte concret et poignant. L’anaphore « à toutes ces femmes, à tous ces hommes » structure le rythme et donne de la force au propos.

Le contraste entre « magnifier leur dignité » et « privés de leur liberté » souligne la noblesse du propos malgré la dureté de la situation décrite. Ah, la liberté ! Cette douce illusion que l’on croit éternelle jusqu’à ce qu’elle nous soit arrachée… Être privé de liberté, voilà le tourment suprême. Le professeur, homme de savoir et de force, ressent cette privation avec une intensité décuplée. Car lui, qui a sculpté son corps par les arts martiaux et atteint leur sommet, qui a affûté son esprit par des études prestigieuses jusqu’à devenir agrégé de médecine, se retrouve dépossédé. Lui, cet érudit, cet homme puissant baigné d’ésotérisme, se découvre soudain impuissant, réduit à une condition qui trahit tout ce qu’il a construit. Quant à la préface, signée de Madame Tobner, il suffirait d’évoquer son nom, lié à celui de son illustre époux, pour que tout un univers s’ouvre à nous. Mais faisons grâce de cet exercice, pour nous tourner directement vers l’avant-propos, là où l’essence du texte s’offre dans un début pugnace. Le texte de l’avant-propos emploie un vocabulaire riche et imagé, oscillant entre le registre soutenu et familier.

Les termes comme « bagnard », « chiourme », « taulard » appartiennent à un lexique argotique ou familier, contrastant avec des expressions plus recherchées telles que « décadence et déchéance sociétales » ou « influence fatidique et maléfique des divinités chtoniennes ». L’écriture se caractérise par une alternance de phrases nominales (sans verbe conjugué) et de phrases longues et complexes. Cette variation crée une musicalité et une tension dramatique. Les répétitions telles que « Bagnard, chiourme, taulard ! » renforcent un effet incantatoire et insistent sur l’identité stigmatisée des personnages évoqués. Ces phrases nominales brèves et percutantes jouent sur une anaphore pour créer un effet rythmique et dramatique. Les interrogations telles que « À quel prix ? Et pour cause ? Qu’importe ! » rythment le texte et invitent à une réflexion, tout en soulignant un ton indigné et ironique. Les mots « bagnard, chiourme, taulard » sont utilisés comme des synonymes quasi-parfaits, inscrivant le texte dans une logique d’accumulation et d’insistance sur une idée centrale à cause de la chute morale. Il apprivoise très vite la métonymies et la  métaphores dans  : »Race humaine tout de même aussi universelle qu’hétéroclite » : la notion de « race » est utilisée métaphoriquement pour désigner un groupe stigmatisé.

Puis il ajoute : « Des ordures dans la poubelle » : Métonymie associant les prisonniers à des déchets rejetés par la société. « Sous l’influence des divinités chtoniennes » : métaphore mythologique pour désigner des forces invisibles et maléfiques qui oppressent. Dans cette début du livre, on observe des oppositions implicites ou explicites, comme « un monde hors du monde » ou « universelle qu’hétéroclite », qui soulignent la marginalisation des sujets évoqués. C’est un avant-propos critique. Les termes comme « hypocrisie », « acronymie », et l’assimilation des prisonniers à des « ordures » traduisent une dénonciation de la manière dont la société perçoit et traite les marginaux. L’hyperboles intervient comme dans  « malédiction éternelle », « gnomes si redoutés » afin d’amplifier la critique. Revenons encore sur le début. L’anaphore « Bagnard, chiourme, taulard ! » structure le texte en trois parties distinctes : Une description de leur condition sociale et morale (décadence, déchéance).Leur appartenance à une « sous-espèce » privée de droits. Une évocation mythologique et métaphorique de leur sort. Puis il clôture  « celle des damnés de se savoir ensemble » marque une résolution tragique, soulignant la solidarité forcée dans la souffrance.

Il rappelle la lettre qui engagée toutes les hostilités uniquement pour rappeler le cadre temporel. Pour démissionner il écrit :   « Il y a environ 15 ans je m’engageais en politique pour un idéal , pour un système de valeurs sociales bien définies, j’y consacrais ma vie professionnelle et privée, avec foi sans regret m’impliquant nuit et jour avec générosité quelquefois même avec obstination, fier de servir mon pays. »  L’homme des mots, des pensées complexes, Les termes comme « idéal », « valeurs sociales », et « générosité » indiquent un engagement moral et des aspirations nobles pour préciser les motivations de son engagement, il en donne les modalités, pour cette fierté personnelle, à cause d’un engagement profond, il s’assure éventuellement une fierté positive. Le fait qu’il dise que c’est  « nuit et jour avec générosité quelquefois même avec obstination » est une accumulation qui illustre l’intensité et l’acharnement. Il y a aussi le contraste entre « foi » et « obstination » suggère une dualité dans l’expérience de l’engagement, entre noblesse et entêtement. Cette lettre détonatrice l’enverra en prison.

Mais dans une deuxième lettre qui rappelle son parcours de vie, il écrit : « scrutant l’horizon du passé, me voilà enfant de New-Bell, quartier populaire de Douala par excellence, fils d’un papa « boy cuisinier », partageant avec mes amis et camarades, toutes les tribus confondues, les joies et les angoisses des ruelles fébriles, les repas conviviaux de telle ou telle maman, sans protocole aucun, sinon celui d’appartenir au groupe, les matches de football, pieds nus, avec une tissball… jeune homme, soutenu par la seule volonté divine j’étais destiné à une carrière professionnelle particulière. La chirurgie. Celle-là même qui doit allier science, art, et humanisme …»  Le registre familier apparaît dans les expressions spécifiques comme « tissball », renforçant l’authenticité et l’ancrage culturel. La lettre est enrichie par un vocabulaire à forte charge émotionnelle et imagée « ruelles fébriles », « repas conviviaux », « volonté divine». Le texte adopte une tonalité autobiographique, mêlant souvenirs personnels et réflexions sur des valeurs universelles (solidarité, humanisme). Il est écrit avec une densité descriptive qui donne vie aux scènes évoquées. « Me voilà enfant de New-Bell » introduit le sujet central (l’auteur) dans un cadre spatio-culturel précis (« New-Bell, quartier populaire de Douala »).

Cette introduction est suivie par une série d’anecdotes et de descriptions qui tissent un portrait vivant de l’enfance. Laissons les descriptions et les portraits et allons en prison, ;  « dans ce décor de dépouillement total, quelquefois mes nuits se sont ennuyés de leur silence ; elles se sont aliénée sans mon préalable consentement, de compagnons peu amènes, dans un  théâtre surréaliste, sans toutefois perdre leur caractère ludique tantôt de minuscule souris aussi espiègles que gracieuses de leurs petites oreilles pointues constamment aux aguets, tantôt de gros rats impavides et méprisants, farcis d’orgueil, au pelage hirsute et répugnant. Leur intelligence a défié ma témérité, donnant lieu à des combats nocturnes épiques avec des victoires et des défaites alternativement des deux camps : tantôt des cafards aussi résistants à l’anéantissement que leurs fines pattes sont dévoreuses de matière plastique dans un bruissement nocturne aussi délétère que des coups de tonnerre dans un ciel serein. Ils m’ont fait découvrir que les cafards aussi se cachaient pour mourir ! le moustique ! le moustique ! aussi frêle qu’agile, aussi téméraire que nuisible ; courageux et implacable guerrier ils vous fonce à l’oreille…impitoyable. » les mots usités ici  créent chez  l’homme une tension stylistique, oscillant entre le sérieux et l’ironie.

Les éléments du texte sont décrits avec un réalisme surréaliste : des créatures (souris, rats, cafards, moustiques) incarnent des rôles dans un « théâtre » où les attributs et comportements sont exagérés pour véhiculer des sentiments d’angoisse et de fascination. Un décor austère établi le ton introspectif. L’expression « mes nuits se sont ennuyées » est une personnification qui traduit une solitude oppressive. Les nuits, personnifiées, deviennent les protagonistes d’un théâtre où interviennent des « compagnons peu amènes ». Ces compagnons (souris, rats, cafards, moustiques) sont décrits avec précision. Le prisonnier se distrait avec eux, il ne se sent plus seul, il ne les tue pas, il est chanceux par une telle présence, ils les acceptent bien qu’ils restent des compagnons nuisibles. Ce ne sont pas ses semblables mais comme Wole Soyinka, l’angoisse d’être en prison avec eux est un moyen de communiquer avec d’autres êtres. « Le moustique ! le moustique ! » :Cette exclamation en anaphore renforce la mise en lumière du moustique comme présence redoutable qu’il n’avait plus vécu pendant longtemps. L’homme fut ministre dans les plus hautes sphères.  Dans ce chapitre, Edzoa Titus parle d’un coq majestueux, élégant, superbe  qui lui rendit visite. Mais dans le livre il ne décline pas l’identité de ce dernier. On pourrait imaginer qu’il s’agissait de Mongo Beti, mais non, comme il l’a clairement affirmé dans ses interviews après sa libération. Pour ma part, à travers mes recherches, j’ai forgé une idée sur l’identité de cette personne, restée anonyme, bien qu’elle ait confié  à sa maîtresse.

Et pourtant, lorsque l’auteur évoque Socrate par la suite, on est tenté de penser avec insistance à  Mongo Beti, tant les références sur le personnage de Socrate semble  lui correspondre. Mais laissons de côté les conjectures et plongeons dans l’œuvre. Tour à tour, elle explore des questions politiques et s’attarde sur le thème de la prison. « Ma prison, » écrit-il, « ce cercueil de béton aux longues journées avares de soleil, où la vie n’avait plus de saveur ni de sens. » Quant à la politique, il la décrit comme une nébuleuse insaisissable, aussi diffuse que l’univers, aussi ancienne que l’histoire, et aussi complexe que l’humanité elle-même. L’expérience carcérale pourrait être interprétée comme une métaphore de l’impact négatif d’un système politique oppressif, insaisissable et écrasant.  Nébuleuse », « insaisissable », « diffuse ». la politique est décrite  comme une entité inaccessible, presque mystique, difficile à cerner. La prison est décrite de manière tangible et physique (« cercueil en béton », « longues journées ») tandis que la politique est abstraite et cosmique (« univers », « histoire »). par la suite il évoquera les questions de nombres, il parlera de l’amour, il définira la chose mystique, il convoquera, la vie et la mort, le destin, le bonheur, l’argent ou encore le problème de  Dieu tous des mots qui ont des fortes tonalités.

Le tournant du livre c’est bien ce chapitre onze

« Boire tout frais du sang humain, c’est particulièrement excitant pour les caprices des démons ; lassé des langoureuses divines sirènes, trop exigeantes et jalouses, l’on se fait incube, pour priver de leur virginité des nymphettes aussi lascives que naïves, cela procure de la jouvence à perpétuité ; pratiquer comme rituel de purification et d’allégeance l’homosexualité c’est une haute distinction discriminatoire pour l’honorabilité et la confrérie supposées prestigieuse, engager en astral des combats nocturnes épiques et suicidaires sur des « avions-tapis volants »bourrés de missiles incendiaires, l’ennemi redouté ne s’éliminant que de nuit ; déguster de la chair humaine faisandée à l’étouffée, c’est de l’ambroisie pour l’éternité ; livrer en sacrifice à la confrérie et, tour à tour, le plus aimé de ses proches, c’est renforcer la solidarité et la respectabilité du groupe ; organiser des messes sabbatiques, très noires en couleur pour défier le dieu, tout puissant entouré de la cohorte de saint, de bienheureux, et consorts, pactiser avec Lucifer, le diable doublement cornu, le plus redouté parce que le plus redoutable, en signe de fierté d’être son flambeau de l’incarnation du mal. »

Ce texte, marqué  d’une densité sémantique et stylistique remarquable, s’inscrit dans un registre à la fois symbolique, fantastique et provocateur. Il explore des thèmes liés à la transgression, au pouvoir, et à l’absolu, tout en mettant en scène des figures mythiques et imaginaires. L’écriture, riche en images et métaphores, invite à une réflexion sur les pulsions humaines et les systèmes de croyance. Voici une analyse approfondie. Le texte repose sur une série d’actes transgressifs : boire du sang humain, pratiquer des rituels de purification, déguster de la chair humaine, ou pactiser avec le diable. Ces actions, à la fois violentes et subversives, incarnent des formes de rébellion contre les normes morales et divines. Ces transgressions ne sont pas gratuites : elles sont présentées comme des moyens d’atteindre un pouvoir surnaturel, une jouissance ou une forme de reconnaissance sociale au sein d’une confrérie élitiste. Cela suggère une critique implicite de la soif de domination et des sacrifices qu’elle implique. L’auteur évoque des pratiques qui promettent la jouvence éternelle « cela procure de la jouvence à perpétuité », l’immortalité spirituelle, ou la puissance absolue. Ces aspirations rappellent les mythes de Faust ou des vampires, où le désir d’immortalité conduit à la damnation.

La relation avec Lucifer est centrale : pactiser avec lui, c’est embrasser une incarnation du mal absolu pour accéder à un pouvoir redoutable, mais au prix d’une soumission totale. Les références aux « messes sabbatiques » et aux défis lancés à Dieu inversent les codes religieux traditionnels. Le texte met en scène une parodie blasphématoire des rituels chrétiens, où Lucifer devient une figure à la fois fascinante et terrifiante. Cette inversion souligne un désir de subvertir l’ordre divin et moral, en réinterprétant le mal comme une source de fierté et de pouvoir. Aussi  s’ancre-t-il  dans l’imaginaire fantastique en mobilisant des figures mythologiques et surnaturelles : les démons, les incubes, Lucifer, les sirènes. Ces éléments confèrent une dimension irréelle au récit, mais servent aussi de métaphores pour explorer des pulsions humaines (soif de pouvoir, jouissance, violence). Les « combats nocturnes épiques », les « avions-tapis volants », et les « missiles incendiaires » ajoutent une touche anachronique et décalée, renforçant le caractère onirique et surréaliste. Ce qui caractérise cette partie, C’est l’effet d’accumulation, qui reflète l’intensité et la démesure des actions décrites.

On se trouve en face d’une action soutenue et amplifié par les énumérations et les répétitions « boire », « pratiquer », « déguster », « organiser », « pactiser » Ce style haletant donne l’impression d’une liste infernale, où chaque acte est plus transgressif que le précédent. Ce qui implique que « Boire tout frais du sang humain »  donne une  image brute et choquante, évoquant le vampirisme. « Avions-tapis volants » : Fusion d’éléments fantastiques (tapis volants) et modernes (avions), symbolisant une lutte cosmique ou astrale. « La chair humaine faisandée à l’étouffée » : Métaphore macabre qui intensifie l’horreur de l’acte cannibale. Et une fois ces faits réussissent on peut « défier le dieu, tout puissant entouré… et pactiser avec Lucifer »  ce qui oppose la divinité bienveillante à Lucifer, incarnant le mal absolu. Bien que le texte se situe dans un registre fantastique, il peut être interprété comme une métaphore des systèmes de pouvoir.

Les sacrifices décrits (y compris celui des proches) et les rituels d’allégeance renvoient à des dynamiques réelles, où l’ambition pousse à des actes immoraux pour appartenir à une élite ou à une confrérie. Les « hautes distinctions discriminatoires » et la « respectabilité supposée prestigieuse » évoquent une critique de la quête d’élitisme, souvent fondée sur des actes exclusifs et destructeurs. Le professeur, en décrivant avec une précision presque sensuelle les pratiques diaboliques, le texte illustre la séduction exercée par le mal. Cette fascination rappelle des œuvres littéraires comme « Les Fleurs du Mal » de Baudelaire, où le mal devient une source d’esthétisme et de contemplation. On se demande est-il neutre ou c’est une histoire qu’on lui a conté ? Disons qu’il soit neutre. Cette neutralité narrative laisse au lecteur le soin d’interpréter : s’agit-il d’une dénonciation, d’une fascination ou d’un simple exercice stylistique ? Finalement je conclus que c’est un écrit à la fois provocateur et poétique,  car il explore des thématiques universelles liées à la transgression, à la quête de pouvoir et à l’inversion des valeurs. Sa richesse stylistique repose sur des images saisissantes, des métaphores audacieuses et un rythme haletant qui captivent le lecteur.

En mêlant fantastique, grotesque et symbolisme, il interroge les pulsions humaines et la fascination exercée par le mal, tout en laissant une marge d’interprétation qui stimule la réflexion. Je m’arrête ici, pour poser une question : le professeur Titus Edzoa est-il est un écrivain ? Je me presse de dire non. C’est un célébrant, car  son livre est  la rencontre d’une  écriture lyrique et méditative ; dans ce livre,  il célèbre l’art comme la plus haute expression de l’idée divine. Ses écrits sont, à la croisée de la philosophie, de la poésie, de la spiritualité et de la théologie. Ce qui  invite à une réflexion profonde sur le rôle de l’écriture  et de l’art dans l’histoire humaine. J’ajouterai que ce livre est le témoignage d’une personne révoltée qui écrit sur elle-même à un moment pénible de sa vie. Ce témoignage  traduit l’espoir romantique d’un progrès spirituel et intellectuel dans une cellule. Nulle part le livre ne précise s’il s’agit d’un récit, d’un roman, d’un essai ou d’un recueil de poèmes, mais on retrouve un peu de tout cela dans les 160 pages.

Cela montre que, pour le professeur, à un moment donné, les idées bouillonnaient dans sa tête. Il traversait alors une crise profonde en tant qu’intellectuel et faisait tout pour que son esprit ne s’enferme pas dans les limites de son corps. Son  passage en prison a donné naissance à ce livre, car c’est souvent dans les prisons, par exemple, que ceux qui sont condamnés écrivent leurs meilleurs textes pour retrouver leur humanité perdue. À travers cet ouvrage, il guérit son âme. Cela me fait penser à Dostoïevski dans La Maison des morts ou à Soljenitsyne dans L’Archipel du Goulag, où l’écriture devient une quête de guérison. Le professeur a certainement été inspiré par les Méditations poétiques de Lamartine, avec ses longues nuits passées au Bourget ou au bord du lac, où le poète venait dissimuler les turbulences constantes de son esprit, accablé qu’il était par la mort d’Elvire. Tout compte fait, ce livre est une œuvre sur la vie, et pour quiconque le lit, il peut servir de leçon.

L’écriture de cet ouvrage a sauvé la vie de son auteur. En tant qu’homme spirituel, l’œuvre a fait ressortir sa dimension quasi-mythique. Et seule  la  philosophie peut  illustrer  la réflexion et faire entrer l’homme dans le  panthéon de la vie. Personnellement, Edzoa Titus m’a toujours impressionné. Cependant, les souvenirs de la réforme universitaire qu’il avait imposée dans les universités  qui touchaient  les plus pauvres me semblait  marquée  de cynisme. Sa manière de parler et d’agir, à cette époque, était souvent perçue comme dure et froide. La prison lui aura probablement permis de retrouver l’humanisme qu’il décrit dans son livre avec emphase, comme pour affirmer que, au-delà du matérialisme et des ambitions terrestres, il existe quelque chose de supérieur. Je pourrais le critiquer avec la rage de tout étudiant victime de ses réformes, mais l’écriture ne devrait pas être utilisée pour des règlements de comptes. Il a passé 17 ans en prison, ce qui, à côté d’une seconde,  utile à la vie d’un être vivant,  représente une éternité. Être emprisonné seul pendant 17 ans, c’est peut-être aussi, une justice comme les autres.

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