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© AFRIKSURSEINE : Calvin DJOUARI
- 05 Jan 2025 13:27:12
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FRANCE :: Cameroun-Sénégal : ce n’est pas le même modèle politique
Cette chronique est née d’une nécessité : celle de répondre à une vidéo où un sénégalais commente la vie politique camerounaise. Dans son élan, il a cru formuler des observations pertinentes, mais il est essentiel de lui rappeler ce qui a échappé à son analyse. Car il ne suffit pas de parler pour toucher la vérité. Comprendre la complexité d’un peuple, la profondeur de ses luttes et les contours de son histoire exige bien plus qu’une opinion formulée à la volée. Ainsi, je me dois de revenir sur ses propos, non pour les réfuter dans leur entièreté, mais pour combler les lacunes qu’ils révèlent et rectifier les jugements trop hâtifs. Il y a des histoires qui ne s’appréhendent qu’à travers une connaissance approfondie, et le Cameroun, dans sa richesse et ses contradictions, mérite d’être exploré avec davantage de rigueur et de respect.
Sénégal et Cameroun : des trajectoires politiques et nationalistes divergentes
Permettez moi de clarifier publiquement une vérité fondamentale : le Sénégal et le Cameroun ne partagent ni la même essence nationaliste, ni la même dynamique politique. Le Cameroun, dans son parcours historique, a traversé les feux de la lutte pour l’indépendance. Certes, cette lutte n’a pas toujours abouti à des victoires tangibles, mais elle a révélé l’âme camerounaise, audacieuse et résolue, incarnée par ses héros intellectuels. Ces derniers, hier comme aujourd’hui, portent un héritage de contestation et de résistance. Ce que nous observons aujourd’hui sur les réseaux sociaux, cette effervescence intellectuelle, n’est qu’une continuité de l’esprit des années 1950-1960, lorsque des esprits éclairés s’élevaient pour libérer leur peuple. Au Cameroun, cette culture de révolte et de quête de justice est restée vivante, intacte. À l’opposé, le Sénégal, marqué par son histoire coloniale, a bénéficié d’un statut privilégié.
La colonisation y a cultivé l’idée que ce pays représentait la quintessence de la « civilisation africaine », une notion profondément enracinée dans la conscience collective sénégalaise. Ce mythe du « pays civilisé » a longtemps été consolidé, notamment par des figures comme Blaise Diagne, qui, pendant la Première Guerre mondiale, a mis en exergue les tirailleurs sénégalais, ignorant pourtant la participation massive des autres régions de l’Afrique noire. Dakar, centre administratif pendant la colonisation, illustre cette position de privilège, mais aussi une certaine docilité face à l’ordre colonial. La rue sénégalaise, aujourd’hui, est portée par une homogénéité linguistique : le wolof. Cela crée une unité nationale, mais également une vulnérabilité aux manipulations. Cette homogénéité linguistique contraste avec la réalité camerounaise, où la diversité des langues et des identités a conduit à des luttes internes pour la construction d’une identité nationale. Au Sénégal, la contestation reste souvent confinée à un jeu d’alternance politique, tandis qu’au Cameroun, la persévérance face aux répressions et aux systèmes de torture des années 1960 a forgé une conscience collective plus profonde.
Lorsque le Cameroun élève sa voix, il le fait avec force et persuasion. C’est ce que l’on entend aujourd’hui : un peuple qui s’affirme et réclame son pouvoir. En revanche, au Sénégal, l’histoire semble plus marquée d’un jeu d’ombres orchestré par des élites, souvent à la merci de schémas intellectuels imposés. Sous Senghor, par exemple, la France a érigé une figure d’intellectuel modèle, le « premier grammairien », destiné à représenter toute l’Afrique francophone. Mais ce choix était avant tout une stratégie de soumission, un outil pour diviser et contrôler. Senghor, malgré son prestige, ne pouvait rivaliser avec des figures intellectuelles camerounaises telles que Guidjol, Georges Ngango, ou Engelberg Mveing, dont les contributions restent des monuments de la pensée africaine. Aujourd’hui encore, les médailles accordées, les agrégations imposées, ne sont que des instruments de domination intellectuelle. La France, lorsqu’elle est en position de faiblesse, utilise la culture comme levier pour opposer un peuple ou une tribu à une autre.
Cette stratégie d’aliénation par la valorisation ciblée est visible dans les relations entre le Cameroun et les pays d’Afrique de l’Ouest. En fin de compte, il s’agit d’une question de fond : le Cameroun, avec ses cicatrices, continue de construire une identité(une nation). Le Sénégal, pour sa part, semble encore enfermé dans les récits flatteurs d’un passé colonial qui entrave son émancipation véritable.
Cameroun et Sénégal : une confrontation des trajectoires intellectuelles et politiques
Les figures comme Franklin Nyamsi et Nathalie Yamb sont des modèles d’élite intellectuelle au sens noble du terme. Leur éloquence tranchante, leur sens de la répartie et leur capacité à animer la pensée collective les distinguent nettement. Ils ne se contentent pas d’exposer, ils décortiquent, éclairent, éduque et provoquent des réflexions profondes. Ces penseurs sont des balises pour quiconque aspire à une lutte véritable, car toute révolution commence par une idéologie forte et une avant-garde structurée. Au Sénégal, cependant, qui peut prétendre rivaliser avec ces figures intellectuelles camerounaises ? Depuis l’ère Senghor, le Sénégal a cultivé une politique centrée sur ses intérêts propres, souvent au détriment d’une solidarité panafricaine. Senghor lui-même, bien que célébré comme un poète et un homme de lettres, fut également l’architecte de la division du grand peuple du Soudan occidental. Il a posé les jalons d’une pensée qui, aujourd’hui encore, ne s’ouvre pas à des enjeux politiques comme ceux que le Cameroun affronte.
Le Cameroun, quant à lui, est marqué par un contexte politique et tribal complexe, où les luttes pour le pouvoir révèlent une répression sans pitié. Maurice Kamto, figure marquante de l’opposition, est face à cette difficulté. Tout jeune sérieux qui se démarque à l’heure actuelle au Cameroun sera réprimé de façon implicable. Le sort réservé à des intellectuels comme Franklin Nyamsi, contraint à l’exil, illustre la brutalité de ce système. S’il revenait au Cameroun, il risquerait torture et persécutions. Et pourtant, malgré cette répression, le peuple camerounais se distingue par son esprit frondeur et sa résilience. Mais il manque une organisation solide pour canaliser cette énergie dans une lutte cohérente. En comparaison, le Sénégal jouit d’une stabilité relative grâce à une démocratie installée depuis Senghor, même si celle-ci reste empreinte de jeux d’alternance superficiels. Cette démocratie sénégalaise, qui semble fonctionnelle, a souvent masqué des réalités plus sombres.
Au temps de Senghor, la répression frappait durement : Mamadou Dia et d’autres figures politiques furent emprisonnés, parfois pendant des décennies. Depuis, les présidents sénégalais se succèdent, souvent à la merci d’une jeunesse agitée. Mais qui, au Sénégal, a marqué l’histoire comme Paul Biya au Cameroun ? Malgré ses critiques, Biya reste un sage politique, érigée presque héroïquement. Au Sénégal, seul Senghor conserve une place durable dans la mémoire collective, tandis qu’Abdoulaye Wade ou Abdou Diouf semblent aujourd’hui oubliés. Cette fragilité des dirigeants sénégalais reflète une incapacité à affronter durablement les défis nationaux. Par ailleurs, la rue sénégalaise, bien que souvent agitée, révèle une homogénéité linguistique et culturelle qui contraste avec la diversité complexe du Cameroun.
Les mendiants que l’on croise dans les rues de Dakar rappellent que la stabilité politique n’efface pas les inégalités sociales profondes. Le Cameroun, pour sa part, a payé un prix fort. Les sacrifices consentis dès 1955, sous le joug colonial, ont forgé une conscience politique marquée par la répression et la violence. Ces cicatrices restent présentes, car le système oppressif instauré par les colons perdure sous d’autres formes. Pourtant, malgré tout, les Camerounais ne se trompent pas dans leurs combats : ils savent que le changement politique, pour être véritable, ne peut être un simple jeu d’alternance. En fin de compte, il faut comprendre le Cameroun pour en parler. Et il faut reconnaître que les intellectuels camerounais, qu’ils soient à l’intérieur ou en exil, marquent la pensée africaine par leur audace et leur capacité à redéfinir les enjeux. Ces voix, bien que parfois éloignées, résonnent comme des preuves de l’esprit libéré d’un peuple en quête de justice et de vérité. Voilà ce que je peux réagir devant ce monsieur qui a volé bien bas.
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