LES RELIGIONS ABRAHAMIQUES : UNE ENTRAVE MENTALE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE 
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LES RELIGIONS ABRAHAMIQUES : UNE ENTRAVE MENTALE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE  :: AFRICA

Il est maintenant clairement établi et documenté que certaines doctrines religieuses imposées en Afrique, en particulier par le christianisme, ont favorisé une weltanschauung qui incite à la résignation face aux épreuves terrestres en manipulant l’interprétation de certains passages bibliques. 

Ces textes, entre autres choses, ont été utilisés pour renforcer l’ordre colonial et décourager toute forme de critique. C’est ainsi qu’on peut lire, dans Matthieu 5:5, par exemple : « Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre. » Ce passage a souvent été utilisé pour promouvoir la soumission et la tolérance face à l’injustice, avec la promesse d’une récompense dans l’au-delà. 

Pourtant, ceux qui sont venus prêcher l’évangile en Afrique n’ont pas hésité à tout piller, y compris les objets de culte ancestraux, dans le seul but de s’enrichir. 
De plus, Romains 13 : 1-2 proclame : « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu. » Cette phrase, mentalement abrasive, a justifié les régimes tyranniques et étouffé les mouvements de révolte. Cet exposé tombe à propos car l’actualité la plus brûlante met en scène Paul Atanga Nji, ministre camerounais de l’administration territoriale, qui vient de déclarer la guerre aux églises de réveil, notamment celles en porte-à-faux avec la loi camerounaise. Pensez-vous que les adeptes de ces églises pourraient accepter de s’engager dans une quelconque révolution populaire ? 

Plus loin, dans Matthieu 6:19-20, on lit l’exhortation à « ne pas amasser des trésors sur la terre », toute chose qui détourne l’attention sur les inégalités matérielles perceptibles à travers le monde d’aujourd’hui et qui contraint de millions d’enfant d’Afrique à aller chercher de verts pâturages ailleurs, j’en fais malheureusement partie. 1 Pierre 2:18, on peut lire « Serviteurs, soyez soumis à vos maîtres avec toute crainte, non seulement à ceux qui sont bons et doux, mais aussi à ceux qui sont durs. » Ce verset, adressé aux esclaves, demande une obéissance sans faille, même envers des maîtres qui ne sont pas justes. Autant le dire, dans le contexte de l’Afrique postcoloniale et des églises de réveil, ce verset résonne souvent comme une théologie de la soumission et de la résignation face aux injustices sociales et politiques. Les catholiques et les protestants, les églises de réveil ne sont pas en reste dans l’interprétation littérale de passages comme Romains 13 : 1-2 et 1 Pierre 2:18. Ils justifient parfois les régimes autoritaires en décourageant toute remise en question de l’ordre établi. Dans Les Damnés de la Terre, Fanon observe que « la religion dans les sociétés colonisées a été utilisée pour pacifier les masses, en détournant leur attention des luttes terrestres vers des récompenses spirituelles » (1961, p. 32).

La théologie de la prospérité prônée par ces églises valorise une réussite individuelle souvent conditionnée à des pratiques religieuses intenses, au détriment des luttes collectives. Dans son ouvrage intitulé Décoloniser l’esprit, Ngugi wa Thiong’o dénonce cette dynamique affirmant que « la religion devient un outil de diversion, détournant les masses des luttes nécessaires pour l’autonomie culturelle et politique » (1986, p. 47), si l’on se réfère uniquement à l’exemple camerounais, qui oserait contredire cette affirmation aujourd’hui ?

L’accent mis sur l’humilité et la patience entrave l’esprit critique et l’engagement collectif, rendant difficile l’organisation de réformes ou de révolutions. Les adeptes, éloignés des préoccupations sociales, espèrent des solutions divines plutôt que de s’attaquer aux injustices structurelles.

Pour sortir de cette résignation, il est impératif d’analyser de manière critique les écrits sacrés de type abrahamique et de remettre au goût du jour les coutumes spirituelles africaines qui mettent l’accent sur la responsabilité collective et l’harmonie au sein de la communauté. Cela pourrait rediriger la spiritualité vers des actions tangibles en faveur de l’égalité sociale et du développement.

Tout bien considéré, cette alliance entre religieux et administratif, elle s’enracine déjà dans les vieilles collusions européennes du trône et de l’autel, était un pilier du projet colonial visant à dépersonnaliser les Africains et à mieux les asservir. On comprend ainsi pourquoi, selon Fanon (Les Damnés de la Terre, 1961), « le colonialisme n’a pas seulement voulu asservir les corps ; il a également voulu domestiquer les esprits, notamment à travers la religion » (p. 32). Les missions chrétiennes, souvent soutenues par l’administration coloniale, servaient à inculquer une obéissance aveugle en promouvant des valeurs de soumission. Ainsi, les enseignements religieux ont été intégrés aux systèmes éducatifs afin d’effacer les identités culturelles locales et de consolider une domination culturelle.
Après les indépendances, cette dynamique n’a pas disparu. En effet, les églises, parfois alliées aux élites politiques locales, ont continué d’exercer une influence sur les populations en endormant leurs consciences. Ngugi wa Thiong'o (Décoloniser l’esprit, 1986) souligne encore que « la religion a souvent été un moyen de consolider la subordination psychologique des Africains, détournant leur attention des luttes sociales nécessaires à leur émancipation » (p. 47). 

En d’autres termes, la religion en Afrique a été instrumentalisée pour préserver la hiérarchie sociale au bénéfice des élites en détournant l’attention sur les injustices et des inégalités. En promettant des récompenses spirituelles dans l’au-delà, elle a souvent incité à une acceptation résignée des épreuves terrestres. Cela a entrainé une « subordination psychologique », qui a freiné l’esprit critique et les mobilisations collectives nécessaires à l’émancipation et au développement autonome des Africains. Des enseignements qui mettent l’accent sur les récompenses célestes ont tendance à éloigner les populations des réalités terrestres et à limiter chez eux toute volonté de s’engager dans des changements sociaux.

Il faut insister sur ce point : ces interprétations trompeuses ont entravé l’esprit critique et ont empêché les Africains de revendiquer une indépendance totale. Il devient urgent d’adopter des paradigmes qui intègrent non seulement une lecture critique de ces textes, mais aussi toute l’intentionnalité derrière l’œuvre de dépersonnalisation de l’être africain. Il est également essentiel de valoriser les traditions spirituelles africaines afin de déconstruire les mécanismes de domination et de promouvoir des valeurs de justice et d’émancipation sociale. En outre, il faut noter que, dans leur quête de croissance, les nations occidentales se sont appuyées sur des schémas radicalement opposés à la conception de l’immobilité qu’elles ont imposée au peuple africain. Il n’est donc pas surprenant que, dans les pays où les Africains ont un accès relativement facile, ce soient les Africains qui soient les plus fervents dans la pratique de la religion chrétienne. 

On entend souvent, selon la rumeur sociale, que l’Occident vit une crise de vocations, tandis que l’Afrique est confrontée à des vocations de crise. Une analyse antithétique qui laisse entendre qu’en Occident, on observe une diminution des vocations religieuses, reflet d'une sécularisation croissante et d'une crise d'engagement spirituel. En Afrique, en revanche, les vocations abondent souvent dans des contextes marqués par la pauvreté, l'instabilité ou l'oppression. Ces vocations de crise traduisent moins un appel spirituel qu’un refuge face à des conditions socio-économiques précaires, où l'engagement religieux peut offrir une issue matérielle ou symbolique.
 
Qu’il nous soit permis de conclure cette réflexion avec ces propos de Jean Paul Sartre (L'Être et le Néant) : « Ce qui importe, ce n’est pas ce que l’on a fait de moi, mais ce que je fais moi-même de ce qu’on a fait de moi. » (1943 : 615), inférant par-là que les individus ne sont pas définis par leur condition initiale, mais par leurs choix et leurs actions en réponse à cette condition. L’Africain, comme tout homme, est condamné à être libre et donc à écrire sa propre histoire. 

La liberté dont parle Sartre est inévitable et totale (L'Existentialisme est un humanisme, 1946 : 39), elle condamne l’homme, africain dans le cas d’espèce, à assumer la responsabilité de tout ce qu'il fait, sans pouvoir se réfugier derrière des excuses ou des déterminismes. Cette liberté est donc à la fois un privilège et une lourde responsabilité.

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