Joseph Tchundjang Pouémi : Le Prophète de la Souveraineté Monétaire Africaine
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AFRIQUE :: Joseph Tchundjang Pouémi : Le Prophète de la Souveraineté Monétaire Africaine

Cet article puise son inspiration d’une émission diffusée sur JDC TV, au cours de laquelle le regretté Hubert Kamgang s’est confié sur la vie et l’héritage intellectuel de Joseph Tchundjang Pouémi. Après avoir attentivement visionné cette émission, j’en ai retranscrit les propos, puis leur ai apporté une réécriture afin d’en restituer toute la profondeur.

Hubert Kamgang y déclarait au cours de cette émission que c’est le 28 décembre 1984, il  se trouve à Bangui, où il est détaché au secrétariat de l’UDEAC (Union Douanière et Économique de l’Afrique Centrale). La veille, Ambroise Foualem, alors secrétaire général de l’UDEAC, lui annonce une terrible nouvelle : le professeur Joseph Tchundjang Pouémi a été retrouvé mort dans sa chambre. Cette annonce le bouleverse profondément, car cela fait des années qu’il connaît le professeur, un homme qu’il tient en haute estime. Dans une vidéo où il évoque cet épisode tragique, Hubert Kamga retrace leur relation personnelle. Il raconte qu’en janvier 1972, peu après avoir obtenu son agrégation, le professeur Tchundjang Pouémi l’avait invité à enseigner à l’université de Yaoundé.

Jeune diplômé ingénieur statisticien économiste, il avait été sollicité par le professeur, lui-même agrégé en sciences économiques, pour dispenser des cours de probabilité, de mathématiques et de statistiques aux étudiants en sciences économiques. C’est ainsi que débuta leur collaboration, et depuis ce jour, il considère Tchundjang Pouémi non seulement comme un mentor, mais comme son maître. Tchundjang Pouémi  était un économiste panafricaniste convaincu, animé par le désir de former une élite camerounaise compétente et libre de toute influence extérieure. Cependant, sa vision dérangeait. Privé de son rôle directeur dans la formation idéologique des étudiants, il quitta le Cameroun en septembre 1975 pour enseigner à l’université d’Abidjan. Mais là encore, il se heurta aux mêmes obstacles.

Désillusionné, il intégra le Fonds Monétaire International (FMI), qu’il quitta en 1979 pour revenir au Cameroun. Cette même année, il publia « Monnaie, Servitude et Liberté », un essai monumental sur la répression monétaire en Afrique, devenu un véritable best-seller malgré les nombreuses critiques qu’il suscita. Hubert Kamga, disciple dévoué, confie avoir lu et étudié cet ouvrage avec soin. Le décès de Tchundjang Pouémi, survenu de manière brutale et inattendue à l’âge de 47 ans, marqua profondément Hubert Kamga. À l’époque, il n’était pas au Cameroun, et il avoue, avec tristesse, n’avoir pu assister à l’enterrement de son maître. Pourtant, son chagrin demeure immense.

En 1983, le professeur avait été nommé directeur du Centre Universitaire de Douala par le président Paul Biya, mais cette fonction fut de courte durée. En août 1984, il fut remplacé par le professeur Njoh Mouellé. Pendant son séjour à Douala, il résidait à l’hôtel, ou parfois chez un ami proche, Nimangue Tchemaleu, le premier Camerounais diplômé de l’École Centrale de Paris. Bien qu’il ait construit une maison à Bamenda, il n’y habitait pas, préférant se consacrer à ses activités académiques et intellectuelles à Douala. Le 27 décembre 1984 reste gravé dans la mémoire de Kamga comme le jour où l’on retrouva Tchundjang Pouémi mort, dans des circonstances violentes.

Par respect pour son maître et par discrétion, il préfère ne pas s’étendre sur les causes de cette tragédie. Néanmoins, il souligne combien cette perte l’a affecté. En 1985, des universitaires camerounais publièrent un recueil intitulé Hommage au professeur Tchundjang Pouémi, une reconnaissance posthume à cet homme d’exception. Hubert Kamga rappelle que Tchundjang Pouémi fut le premier agrégé du Cameroun en 1971, précédant Georges Ngango en 1973, et d’autres figures marquantes comme Stanislas Meloné et Germain Ndjendjé. Bien que parfois qualifiés de ses collègues, ces derniers étaient ses cadets, témoins de son rôle pionnier. Le livre Monnaie, servitude et liberté, publié en juin 1980, demeure intemporel. Quarante-quatre ans après sa parution, il n’a rien perdu de sa pertinence.

À travers ses mots, Tchundjang Pouémi continue d’interpeller, de provoquer et d’inspirer, fidèle à son ambition de libérer l’Afrique de ses chaînes monétaires. Dans son ouvrage visionnaire, Monnaie, Servitude et Liberté, Joseph Tchundjang Pouémi soulève une problématique fondamentale : en Afrique, la monnaie ne remplit pas son rôle essentiel dans le développement économique.

Disciple de John Maynard Keynes, qu’il considère comme l’un des plus grands économistes du XXᵉ siècle, Tchundjang adopte une perspective keynésienne pour analyser la situation africaine. Il faut noter que  Keynes est un   brillant théoricien qui a su expliquer la grande crise boursière de 1929 et inspirer le président américain Franklin Delano Roosevelt dans l’élaboration du New Deal en 1933. À une époque où l’économie américaine sombrait dans un marasme total, Keynes proposa des mesures audacieuses : augmenter le revenu des plus démunis pour stimuler la consommation, soutenir les producteurs afin d’éviter l’inflation, et engager l’État dans de vastes travaux publics pour relancer l’emploi. Tchundjang Pouémi, fidèle à cette approche, observe l’Afrique et constate un sous-emploi massif dans la plupart des pays. Il défend l’applicabilité des principes keynésiens sur le continent, mais pointe du doigt un obstacle majeur : la souveraineté monétaire abandonnée par les anciennes colonies françaises restées dans la zone franc.

Selon lui, le franc CFA, loin d’être un levier de développement, est une monnaie autoréprimante, un terme qu’il invente pour désigner un mécanisme qui empêche l’argent de jouer son rôle dans l’économie. Il explique que la répression monétaire en Afrique se manifeste jusque dans les détails les plus anodins : la rareté de la petite monnaie, par exemple, freine les échanges économiques. Tchundjang illustre cette idée en évoquant les banques, où l’on retire 25 000 francs mais où l’on reçoit exclusivement de grosses coupures, rendant les transactions courantes laborieuses. Ces techniques de répression monétaire, qui étranglent les économies locales, sont pour lui un symbole de la dépendance imposée par l’ancien colonisateur.

Dans son livre, il analyse également le rôle du crédit, qu’il considère comme un outil essentiel de production. Il insiste sur la nécessité d’offrir des crédits aux producteurs, et critique les restrictions qui, selon lui, brident le développement. De la page 192 à la page 199, il consacre une analyse virulente au Fonds Monétaire International (FMI), qu’il qualifie de « fonds de misère instantanée ». Dès 1980, il mettait en garde les dirigeants africains contre les prescriptions du FMI, qui, partout où elles ont été appliquées, ont laissé derrière elles pauvreté et désolation. Tchundjang voyait avec lucidité les conséquences désastreuses des programmes d’ajustement structurel : réduction des financements pour l’éducation et la santé, privatisations à outrance (comme celles de la Snec, Camrail, Sonel, ou Camair au Cameroun).

Ces politiques, dictées par des fonctionnaires d’organismes internationaux, empêchent les pays sous-développés de s’émanciper véritablement. Il souligne aussi l’hypocrisie de la domination monétaire, résumée dans une phrase qui semble avoir scellé son destin : « La France est le seul pays qui impose sa monnaie à des États indépendants. » Une vérité que Tchundjang n’a cessé de dénoncer, quitte à se mettre en danger. Son opposition au FMI fut si ferme qu’il démissionna de cette institution, refusant de cautionner des politiques contraires aux intérêts des nations africaines. Sa critique acerbe de la vassalisation de l’Afrique par le franc CFA trouve un écho jusque dans les œuvres contemporaines de penseurs comme Nicolas Agboyou et Kako Nubukpo, qui poursuivent son combat.

Tchundjang, un génie reconnu par ses pairs, aurait pu recevoir le prix Nobel. Joseph Stiglitz, lauréat en 2001, aurait même rencontré Tchundjang dans les années 1970, lorsque ce dernier était au FMI et Stiglitz, conseiller à la Banque mondiale. Les idées de Tchundjang sur la répression économique ont sans doute inspiré certains des travaux primés de Stiglitz. La question de sa mort demeure cependant une énigme. Qui a tué Joseph Tchundjang Pouémi ? Cette question demeure, mais je peux évoquer  le témoignage de Maître Paul, surnommé « la boîte noire » au tribunal de Douala. Un greffier qui fut le camarade de classe de Joseph Tchundjang que j’ai rencontré de nombreuses fois à Douala.

 Ce dernier, toujours accompagné du livre de Tchundjang, se plaisait à rappeler le génie de son ancien camarade de classe et d’enfance. Ce greffier connaissait quelques pistes mais il  est mort  sans avoir rien dit. Nous intellectuels  savons que  Tchundjang Pouémi n’est pas mort pour rien. Il est mort pour l’Afrique, assassiné pour ses idées, pour avoir osé dire ce que d’autres taisaient. Son œuvre, Monnaie, Servitude et Liberté, reste un appel vibrant à l’émancipation monétaire du continent. À la jeune génération, Hubert Kamga adresse ce message : n’oubliez jamais que Tchundjang Pouémi a donné sa vie pour que l’Afrique puisse un jour se libérer de ses chaînes.

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