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- 26 Dec 2024 14:19:58
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AFRIQUE :: S’opposer pour exister: Le testament du grand-père de Nadjiber Daniel :: AFRICA
Quand on s’appelle Nadjiber, il faut mériter son nom. Parce que dans Nadjiber, il y a Nadji, qui est une divinité, et pas n’importe laquelle : le dieu de la Justice chez les Mbum, un peuple semi-soudanais et semi-bantou qu’on trouve principalement en Afrique centrale. Le peuple Mbum est un peuple en soif de justice (nous verrons pourquoi) ; c’est un grand peuple constitué d’une mosaïque de tribus ayant en commun les mêmes us et coutumes (environ une vingtaine, d’après l’historien Olivier Bourmane). Dans son ouvrage, « Le testament de mon grand-père », Daniel Nadjiber nous apprend que les Mbum occupent au Cameroun une assez grande superficie, qui s’étend de la Région administrative du Centre aux confins de l’Est, jusqu’aux Régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord. La présence Mbum est aussi réelle dans les pays environnants, en République Centrafricaine, au Sud du Tchad, au Soudan, dans le Nord-Est du Nigéria, sur les deux rives du Congo, et même au Kenya. Ces territoires ainsi occupés sont d’autant plus investis par les Mbum qu’ils sont un peuple sédentaire qui vit principalement de l’agriculture, mais aussi dans une moindre mesure de la pêche et de l’élevage, car ils laissent surtout les activités pastorales aux peuples nomades qui les côtoient.
Un sage africain l’a dit : « quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui… » ; Daniel Nadjiber a eu la chance de fréquenter sa bibliothèque avant qu’elle ne brulât, et voici que l’auteur primipare (cependant éditeur chevronné) a la générosité de partager avec nous « Le testament de [son] grand-père ». Un proverbe particulièrement édifiant qui nous permet d’emprunter l’axe principal de notre propos est le suivant : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens ; les histoires de la chasse ne peuvent que chanter la gloire du chasseur. » (Merci Nadji). Et l’auteur « justicier » d’ajouter à l’introduction de son ouvrage : « Ce constat est malheureusement observé dans la plupart des littératures qui sont taillées à la gloire des Vainqueurs. Le même constat est établi au regard des peuples envahisseurs en provenance de l’Afrique de l’Ouest, installés au Cameroun septentrional à la suite de la guerre d’invasion d’Ousmane Dan Fodio. L’histoire du Nord-Cameroun chantera toujours les lauriers des Islamo-Peuls, du moins si les « Kirdi » ne s’investissent pas pour recueillir et réécrire leur propre histoire afin de la transmettre à la jeune génération. L’urgence s’impose avec acuité. » Ceci nous conduit au paragraphe suivant.
Le désormais historien des Mbum, Daniel Nadjiber, « un enfant du pays », nous apprend que les siens, pourtant vaillants guerriers et malgré leur réputation de chasseurs de lions, ont été conquis, envahis, acculturés, y compris par l’imposition du nettoyage onomastique des patronymes Mbum au profit des Bello, Bouba, Moussa, Ahmadou, Issa, Muhammad, etc. Cette déchéance n’eût cependant été possible sans l’aide des colons allemands puis français et anglais qui ont prêté main forte aux chefs de guerre Islamo-Peuls, lesquels en contrepartie ont aidé les colons à asseoir leur autorité sur les territoires convoités. C’est ainsi que par la ruse les Mbum se sont retrouvés sous le règne des Lamidas. Les gouvernements nationaux qui ont tour à tour succédé aux colons ont eux aussi entériné le pouvoir des dynasties Islamo-Peules sur leurs sujets Mbum. C’est un peu comme si pour ces derniers, il n’y avait pas eu d’indépendance. Avant l’indépendance il y avait les corvées et les travaux forcés, l’esclavage, l’humiliation et la bastonnade publique ; après l’indépendance, les mêmes sévices et traitements inhumains ont continué et continuent toujours à l’heure qu’il est (d’après l’auteur), en l’occurrence dans le Mayo-Rey, pour ne citer que ce département ou les ordonnances de la royauté semblent être des plus rigides. Si Daniel Nadjiber reconnait tout de même que le Lamido de Garoua par exemple est orienté vers le progrès et sait se montrer soucieux du bien-être de ses populations, avec la construction des hôpitaux, écoles et autres infrastructures, d’autres « Lamibés » en revanche dirigent leurs sujets et les « Kirdi » en particulier (ainsi appellent-ils les Mbum et les peuples non islamisés du Grand Nord en général) d’une main de… oui, d’une main de fer. « Les Dogari » ou esclaves affranchis qui représentent le Lamido de Rey-Bouba par exemple auprès des populations paysannes ne font pas de cadeaux. Obligation pour chaque village de cultiver et récolter un vaste champ de coton pour le Lamido. Les paysans s’y relaient à tour de rôle dans cette corvée, car oui, c’est un travail non rémunéré, que l’on effectue la peur au ventre, la peur d’être bastonné publiquement, devant femme, brus et enfants, si seulement le contremaître vous soupçonnait de la moindre fainéantise, ou du moindre signe de vouloir trainer les pieds. Certains Dogari, pour se venger d’être regardés comme des vendus par leurs frères Mbum, vont jusqu’à outrepasser leur pouvoir, allant jusqu’à se permettre le droit de vie et de mort sur ceux qu’ils commandent, ou d’enlever de force leurs femmes ou leurs filles.
« S’opposer pour exister », c’est le seul espoir pour sortir du joug des royautés Islamo-Peules. Face au pouvoir absolu des Lamibés, si puissants qu’ils font et défont les chefs traditionnels Mbum selon qu’ils se sont levés du pied gauche ou du droit, si puissants encore que… c’est écrit dans ‘Le testament de mon grand-père’ : « A notre sens, la publication de l’image de monsieur Aboubakari Mallam, préfet du département du Mayo-Rey en tenue de commandement et à genoux devant le Lamido en présence du ministre de l’Administration territoriale, Monsieur Hamidou Marafa Yaya, dans les médias en juin 2003, a pour objectif de montrer la suprématie de la monarchie sur les institutions de la République. » ; face au pouvoir absolu des Lamibés, disions-nous, la jeunesse intellectuelle Mbum a beau signer des pétitions pour dénoncer les exactions du Lamido et de ses lieutenants, le gouvernement fait semblant… mais au contraire laisse libre cours au Lamido de châtier la « témérité » des jeunes opposants. En effet, les Mbum ont massivement adhéré aux partis d’opposition et réussi souvent l’exploit d’arracher une commune au parti au pouvoir, malgré les combines de la monarchie Islamo-Peule, qui conspire, flatte, tourmente et divise le peuple pour mieux régner.
« Résilience » est un joli mot à la mode depuis quelque temps, mais il le faut avouer, ce vocable a ici plus qu’ailleurs toute sa raison d’être. La riche culture du peuple Mbum est un des piliers de sa résilience : comme dans les champs de coton de l’Amérique esclavagiste, les Mbum chantent quand ils font leurs corvées. Lors des rites d’initiation, on apprend aux jeunes filles et aux garçons à supporter et à braver les épreuves les plus difficiles… en chantant. Le peuple Mbum, c’est à la fois la cigale et la fourmi : le travail et le chant font le champ. En plus de la culture, Daniel Nadjiber nous livre « 21 clés pour comprendre la résilience du peuple Mbum », des enseignements transmis à lui par son père, qui lui-même les a appris du grand-père de Nadjiber. La première « clé » souligne l’importance de l’humilité dans l’apprentissage et dans les relations humaines en général : « La guêpe disait : je connais je connais et a finalement fabriqué une ruche sans miel. » C’est là que nous sortons sur la pointe des pieds (pour vous laisser méditer).
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