Shanda Tonme: "Ce qui est reproché au MINAT, ne devrait pas excéder les critiques dans la forme"
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Le Médiateur Universel,Président de la Commission indépendante contre la corruption et la discrimination (COMICODI),Président du Mouvement Populaire pour le Dialogue et la Réconciliation (MPDR), apporte des explications sur le conflit qui oppose depuis quelques jours cinq associations suspendues et Paul Atanga Nji.
 
Ci-dessous l'intégralité de sa lettre
 
RAPPORTS ENTRE ETATS ET INSTITUTIONS PRIVEES DE TOUTES NATURES CLARIFICATIONS IMPORTANTES
 
La décision prise par le Ministre de l’administration territoriale concernant certaines institutions associatives privées, continue d’alimenter un débat intense dans la société camerounaise. C’est une bonne chose, dans la mesure où cela traduit la vitalité de l’émancipation admirable des acteurs actifs et passifs de la gouvernance au sens le plus large. Cependant, il est loisible de constater, que très peu d’esprits, y compris parmi les plus avisés, ont pris la peine de s’instruire aux sources historiques, académiques, politiques et même diplomatiques, avant de laisser éclore leur opinion sur le sujet.
 
C’est donc fort à propos, que je ressens le besoin, autant par devoir citoyen que par souci d’équidistance éthique et didactique, de procéder à quelques clarifications importantes, clarifications correctives, instructives, et mieux recommandatoires. 
 
Premièrement, l’Etat exerce sur son territoire, la plénitude des compétences, impliquant un regard, un contrôle, une supervision, une orientation de même que des nécessaires arbitrages et sanctions, sur le statut des personnes physiques et des personnes morales, sur les biens et les ressources. La constitution, charte fondamentale, bien que prescrivant, fixant et consacrant les droits, les libertés et les devoirs, de même que l’ensemble des ordonnancements organiques, n’altère en rien la plénitude de compétence de l’Etat. 
 
Deuxièmement, tous les systèmes constitutionnels à travers le monde, quelles que soient les doctrines et les idéologies, contiennent des articulations normatives, qui laissent la discrétion à l’Etat, dans l’intérêt de l’ordre, de la sécurité, de la survie du pays, de la défense nationale et de la préservation de certains acquis, de mettre la constitution en veilleuse, entre parenthèse. Les libertés individuelles ainsi que tous les autres droits sont bloqués, et toutes les obligations résultant des engagements internationaux suspendues. 
 
Troisièmement, l’Etat est seul responsable, seul maître de la politique économique et financière. A ce titre, il assure le contrôle de la monnaie, des mécanismes de collecte, de gestion, de mise à disposition interne et externe de la masse monétaire. De même, l’Etat assure, au nom de ce pouvoir, avec ce pouvoir et par les prérogatives qui en résultent, un contrôle strict des flux de devises qui entrent dans le pays. Les banques centrales servent à cela, mais mieux, elles jouent le rôle à la fois d’incubateur et de police, de façon à maîtriser la traçabilité de tous les mouvements de capitaux, leurs origines, leurs motivations, leurs destinations réelle ou fictive.
 
Quatrièmement, la loi sur les associations, n°053/90 du 19 décembre 1990, fruit des luttes pour la conférence nationale, a largement ouvert l’espace de notre pays pour les promoteurs des initiatives communautaires, philanthropiques et humanitaires. En libérant les énergies et en supprimant l’autoritarisme qui pesait comme une épée de Damoclès sur les esprits, cette loi a grandement contribué à émanciper les groupes et les individus. Cette loi constitue, toujours, le meilleur symbole de la vitalisation des compétences et des ingéniosités organisationnelles.
 
Cinquièmement, en comparaison de la plupart des lois régissant les associations, la loi camerounaise est l’une des mieux faites, des plus avancées, des plus ouvertes et des plus pragmatiques. De l’usage que les uns et les autres en font, c’est un autre problème.
 
Sixièmement, la contrepartie de la liberté d’association, c’est évidemment le contrôle en temps réel, ou à postériori de leurs activités, fonctionnements et développements par l’Etat. D’abord, il faut savoir que la collecte des fonds et la promotion des campagnes d’appels à des donations, sont tributaires des prérogatives de la puissance publique en matière de contrôle des mouvements des devises. Vous ne pouvez pas lancer des campagnes sans en avoir discuté du bien-fondé, des buts et des objectifs avec le ministère de tutelle, en l’occurrence le MINAT. Il faut donc une autorisation préalable. Si vous faites autre chose ou autrement, selon votre tête, vous êtes hors la loi.
 
De même, et certains l’oublient vite, le rapport d’activité est indispensable, et celui-ci doit être adressé au représentant de l’Etat de la ville du siège de l’association. Et de façon significative, les sources de financement doivent être précisées dans le rapport. Dès lors que des fonds peuvent provenir de l’extérieur du territoire national, une déclaration spéciale doit être faite obligatoirement. C’est ce qu’on appelle le signalement. D’ailleurs, toutes les banques sont obligées de dresser un rapport à l’autorité monétaire sur tous les mouvements apparaissant sur les comptes des associations, dès lors que ceux-ci comportent une implication extérieure. Ne pas le faire constitue une faute grave pouvant conduire au retrait de l’agrément dans certains cas. Il en va également ainsi pour les fonds déposés en cash. Même les grands magasins sont tenus de signaler les achats trop importants en cash. Les Etats étrangers alertent régulièrement les Etats africains sur les cas de certains hauts fonctionnaires et hommes de main du continent, dont certains donnent des pourboires de cinq cent dollars aux serveuses et des femmes de ménage des hôtels de luxe. Une section spéciale des forces de sécurité, existe dans tous les pays pour la surveillance des hôtels. Au Cameroun, c’est la DST qui s’en charge. 
 
A l’étranger des responsables d’association descendus dans des hôtels de luxe ou fréquentant des magasins des grandes marques sont été signalées systématiquement. Tout y est, et tout relève des jeux et des enjeux de la sécurité et des pouvoirs de contrôle des Etats. D’ailleurs, dans presque tous les pays avancés, Etats unis et Canada, Europe, Chine et Russie, tous les voyages à l’étranger des dirigeants d’association sont répertoriés, épiés et analysés. Dans beaucoup de cas, ils sont gentiment invités pour des débriefings à leur retour, et leurs contacts fouillés et enquêtés avec minutie. Ainsi va le monde. La réalité de ce que l’on appelle société démocratique ou pays démocratique, c’est une société extrêmement policée. Au-delà des apparences, les libertés individuelles subissent des limites extraordinaires, sournoises et vexantes. Aux Etats unis tous ceux qui donnent des fonds, même juste un dollar pour les Palestiniens sont fichés, et en France il suffit de fréquenter une mosquée ou de donner des contributions à des projets islamiques pour être suivis, signalés.  
 
Septièmement, si le principe du contrôle et du signalement a toujours existé, et participent de la consécration de la plénitude de compétence de l’Etat, corollaire de sa souveraineté, les attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats unis menés par le groupe AL QAEDA, ont tout chamboulé, tourné et retourné, renforcé et durci, cristallisé et accentué les prérogatives de la puissance publique. Des mécanismes nouveaux ont vu le jour en ce qui concerne la transférabilité des devises, les dons, les actions humanitaires, les partenariats privés et associatifs transnationaux. Prônées, initiées, conduites, conseillées et imposées par les Etats unis, des mesures fortes ont été actées pour surveiller les sources des ressources des associations. Des contrôles à postériori ont ainsi conduit à la fermeture des centaines de milliers de comptes à travers le monde, et le bannissement subséquent de milliers d’associations. Tout cela a été traité et demeure traité comme des mesures pour lutter contre le financement du terrorisme, le blanchiment de l’argent sale et des produits des activités illicites ou subversives. 
 
Huitièmement, l’appellation ONG ne doit pas faire diversion ni illusion dans quelques esprits. Le principe c’est la mise en exergue thématique, organisationnelle, fonctionnelle et opérationnelle des institutions privées dégagées de la tutelle publique, quelles que soient leurs dénominations. 
 
Neuvièmement, dans la dure lutte qui se mène entre les puissances dominantes du monde, exposant les peuples à une guerre froide interminable, il a été prouvé que les institutions privées demeurent la principale courroie d’action et de manœuvre, d’influence et de contrôle, de création des désordres et des révolutions. Les cas des mouvements ORANGE en Ukraine, et d’autres en Chine, et mieux en Afrique, attestent à suffire. De nombreuses études, témoignages, enquêtes y compris des ouvrages de référence, existent à ce sujet. D’ailleurs, la convention de Vienne de 1961 relative aux relations diplomatiques, consacre le droit d’espionnage des représentations diplomatiques. Ceci est un avis crucial pour les esprits simples qui parcourent les ambassades et missions étrangères, et se targuent de leurs liens juste pour des verres de champagne, des tasses de café et autres petites flatteries. Aucun financement ni concours n’est fortuit, gratuit ou innocent. Les petits voyages à l’étranger pour des séminaires de formation, symposiums ainsi de suite, avec des hébergements dans des hôtels huppés, concrétisent seulement l’espionnage, l’embrigadement et la construction des influences calculées, souvent nocives.
 
Dixièmement, les Etats africains sont en cette matière, véritablement à la traîne, et ce qui est fait chez nous, est une pure banalité par rapport à tout ce qui est fait dans les grands pays, voire dans certains pays voisins à l’instar du Rwanda pour ne citer que cet exemple. Nos Etats demeurent mal organisées, mal structurés et ne parviennent pas encore à exercer effectivement la plénitude de leur compétence sur leur territoire. Dans les faits, plusieurs associations auraient pu subir les mêmes foudres. Il y a donc eu un ciblage regrettable, sans doute selon une échelle de gravité et des critères à la discrétion du MINAT.
 
EN CONCLUSION, 
 
Ce qui est reproché au MINAT, ne devrait pas excéder les critiques dans la forme, ne devrait pas prendre une connotation politique, injurieuse et menaçante. IL y a dans l’affirmation de la liberté d’association, liberté reconnue par les instruments internationaux, une interpellation de responsabilisation du citoyen et de la citoyenne, dont la cause, les ambitions, les projets, les programmes et les actions doivent rester respectueux des lois et des cadres règlementaires. Cela induit une dimension à la fois pratique et psychologique. Il appartient à chaque dirigeant d’association, bref d’institution privée, de vérifier par lui-même, de se convaincre que ce qu’il fait, les actions qu’il mène, les partenariats dans lesquels il s’implique, les déclarations qu’il fait et les objectifs qu’il annonce et poursuit, restent strictement dans le cadre légal, en somme dans les termes référentiels et conventionnels avec l’autorité publique fixés par les statuts.
 
Dans le cas d’espèce, il y a, très certainement, le caractère propre du Ministre, perçu comme brutal et peu protocolaire, toujours menaçant et peu enclin au dialogue, très attaché à une compréhension autocratique de l’autorité, du pouvoir et des prérogatives de l’Etat. C’est son genre, et c’est un fait, un acquis qui ne devrait pas occulter la substance, l’intérêt et le principe du respect des lois et des règlements. C’est pourquoi dans une correspondance d’opportunité au ministre, j’avais, dès le début de cette affaire, recommandé l’apaisement et le dialogue, une table ronde et une invitation des organisations mises en cause, pour une explication citoyenne et conviviale. C’est ce que je persiste à souhaiter, convaincu que la médiation et le dialogue, sont non seulement nécessaires mais indispensables. Et pour le ministre, la puissance et les prérogatives discrétionnaires du pouvoir d’Etat, induisent, ultimement, une responsabilité et une conduite de bon père de famille.
 
En termes cardinaux, et s’il faut se faire plus réaliste et honnête dans le contexte, l’approche des échéances électorales cruciales pour le pays, doublée d’une relative léthargie institutionnelle ainsi qu’un sentiment d’inertie et de flou, justifie, c’est légitime, la hargne et les argumentations surchauffées voire parfois excessives, c’est compréhensible et pardonnable, sur le moindre soupçon d’entorse dans l’actualité de la gouvernance. Mais, Mais et mais, personne ne devrait perdre de vue que le Cameroun est et demeurera une Nation, une République, un Etat, avec des intérêts internes et internationaux à défendre, avec un ordre, une sécurité, une intégrité et une unité à préserver et à sauvegarder. Hier comme aujourd’hui, comme demain et comme après-demain, les mêmes réalités incontournables se sont imposées, s’imposent et s’imposeront, aux gouvernants./.
 
Yaoundé, le 16 Décembre 2024

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