6 novembre quand le Débat se Transforme en Duel : Pr Bahebeck, Entre Provocations et Dominations
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Au soir du 6 novembre dernier, nous avons assisté à un débat d’une rare intensité, rappelant ceux des années 90, à l’époque où le pluralisme politique faisait ses premiers pas. Pour célébrer les 42 ans du Renouveau, la chaîne Canal 2 International, première en matière de qualité de programmation, s’était fixée pour mission de dresser un bilan de ce parti au pouvoir. Elle avait donc convié des invités choisis pour leurs positions politiques, représentatives du spectre de la scène nationale. Malgré la qualité des arguments, l’émission a rapidement viré au règlement de comptes, aux invectives et aux attaques verbales, directes ou indirectes. Les téléspectateurs, autant dire, ont été servis. Pour analyser cet échange, j’ai pris le temps de consulter quelques confrères afin de recueillir leurs avis, veillant à ce que mon propre point de vue s’appuie sur une perspective partagée.

Ce que j’en retire reflète ainsi, je crois, l’opinion majoritaire. Étaient présents autour de la table : Monsieur Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du comité central du RDPC et ministre du Travail et de la Sécurité sociale, grande figure du RDPC et  de l’histoire politique du Cameroun  ; Monsieur Jean De Dieu Momo, secrétaire d’État au ministère de la Justice et président du parti PADEC, connu pour sa prise de position audacieuse dans l’affaire des neuf disparus de Bépanda ; le professeur Jean Bahebeck, membre de l’UPC, symbole de la résilience et de l’endurance de son parti dit « immortel » ; enfin, Xavier Messé et le jeune docteur Pierre Nka complétaient ce panel de personnalités. L’émission, animée par Rodrigue Ntongue, débute par un rituel classique de présentation.

L’animateur donne la parole à chacun pour le remercier d’avoir répondu à l’invitation. C’est ici que surgissent les premières tensions : le professeur Bahebeck, manifestant un agacement à peine voilé, reproche aussitôt au présentateur de l’avoir placé aux côtés de deux ministres, insinuant une déséquilibre  des débatteurs  par cette disposition. Il ne s’arrête pas là et, à travers un discours quelque peu condescendant, en vient à critiquer les autres invités, assis à sa gauche. Il déclare : « Cela ne vous exonère pas de votre tricherie. Vous semblez vouloir placer un Upéciste devant deux Rdpcistes de taille, en compagnie de compatriotes respectables, certes, mais qui, pour beaucoup de raisons, devraient être de l’autre côté. Ce n’est pas du deux contre un que vous organisez ici, mais bien du un contre quatre. » Ces mots, tranchants, donnent le ton de la confrontation qui s’ensuit, mais révèlent aussi une maladresse de la part du professeur, critiquant la disposition des invités autour de la table, un détail d’ordinaire anodin.

D’ailleurs, dans le domaine de la gestion des débats à caractère conflictuels, on recommande généralement de ne pas placer deux adversaires face à face, mais côte à côte, afin de réduire les risques d’affrontement, y compris visuel, qui pourrait susciter une confrontation plus vive. Ainsi, le débat, qui aurait pu être un échange constructif et serein, a finalement illustré l’acuité des clivages politiques actuels et la difficulté de maintenir une atmosphère de respect mutuel, même dans un cadre médiatique. Le ton du professeur, dès le début, a jeté un froid dans l’assemblée, mettant certains invités mal à l’aise, notamment le docteur Pierre Nkoa, qu’il semble viser de manière implicite. Le professeur ira même jusqu’à menacer de quitter le plateau si le respect des tours de parole n’est pas assuré, ce à quoi l’animateur réplique qu’il est libre de partir. Erreur de l’animateur, car la présence du professeur Bahebeck attire un large public ; s’il s’en allait, l’émission perdrait sans doute en audience.

C’est là une règle simple : il faut savoir gérer les grandes personnalités, même dans leurs moments d’indiscipline. Ce qu’on peut reprocher au professeur, c’est son attitude condescendante, cherchant souvent à dévaloriser ses interlocuteurs pour mieux affirmer son autorité et renforcer ses arguments — une technique qui, chez lui, fonctionne à merveille. Dès ses premiers mots, il déclare même qu’il y aura  du feu, montrant bien comment, selon lui, la flamme éternelle qu’il représente aurait dirigé notre pays avec la même intensité. Cette attitude agace visiblement le ministre Momo, qui laisse transparaître un certain malaise. Monsieur Grégoire Owono, en revanche, admire manifestement le chirurgien, tandis que Xavier, toujours mesuré et expérimenté, agit en témoin éclairé de l’histoire nationale, répondant avec pondération et maîtrise à chaque prise de parole. Xavier, d’ailleurs, en profite pour féliciter le présentateur pour la modernité de son studio.

C’est le docteur Pierre Nka qui prend la parole pour répondre au professeur Bahebeck, le qualifiant d’« intellectuel pantouflard » et ajoutant : « Lorsqu’un fils de Bayem Salem parvient à décrocher un doctorat, cela mérite respect. Les étiquettes appartiennent à une époque révolue ; laissez-nous travailler et tirer des leçons utiles pour le président Biya. » Il évoque également le professeur Alain Feugue, retenu dans un lieu de captivité, et suggère l’épreuve que ses disciples doivent endurer. À cet instant, le ton de l’émission est définitivement donné. La première question posée aux invités est simple : « Où étiez-vous le 6 novembre 1982 ? » Le ministre Grégoire, prenant la parole en premier, rend hommage aux victimes de l’éboulement de la falaise de Dschang. Au tour de Jean De Dieu Momo de s’exprimer, mais il est brutalement interrompu par le professeur Bahebeck, qui lance une attaque virulente : « Vous êtes leader d’un parti, il y a des morts à Dschang, vous commencez par là ? Vous qui avez fréquenté les écoles de politique, vous n’y avez rien appris. »

En quelques mots, il tente de dévaloriser le ministre Momo, contrastant son approche avec celle de Grégoire Owona, autodidacte, qui semble incarner à ses yeux une conception plus pure de la politique. Le professeur va jusqu’à affirmer que Momo, étant originaire de Dschang, déshonore la mémoire des figures de libération de cette région, laissant entendre que son nom même est un affront. Le ministre  Momo, gardant son calme, répondra avec une pointe d’ironie : « Voilà ce que j’allais dire avant que l’enfant ne pleure. » Comme le fait remarquer Rodrigue, le ministre Momo ne parlait pas seulement au nom des Dschang, mais bien au nom de tous.

Le professeur, pourtant, semble motivé par une aigreur personnelle, un règlement de comptes à peine voilé contre le ministre, qui, malgré son calme apparent, manifeste une hostilité retenue, perceptible dans ses regards perçants à l’encontre de Bahebeck tout au long de l’émission. Les choses se compliquent davantage lorsque le ministre Momo, dans un moment de sincérité, évoque le « lucre » pour justifier son ralliement au pouvoir, une déclaration qui ne manquera pas de provoquer de nouvelles tensions. À ce moment-là, le professeur, encore lui, n’a pas hésité à qualifier le ministre Momo de « fou » — un qualificatif que ce dernier a, par la suite, interprété comme un signe tangible de la liberté d’expression au Cameroun. Selon le ministre  Momo, s’il avait été traité de la sorte sous le régime d’Ahidjo, un ministre de la justice insulté publiquement, le professeur ne serait pas sorti indemne à la fin de l’émission. Le débat a continué, les invectives fusant de part et d’autre.

Pour Xavier, il ne fait aucun doute que la liberté de presse est absente au Cameroun, si l’on considère le nombre de journalistes emprisonnés ou assassinés. Il ajoutera même que le président n’a jamais accordé d’interview à la presse locale. En réponse, le ministre Owono justifie les emprisonnements par les actes répréhensibles commis selon la loi. Le moment culminant de l’émission survient lors du tour de table final, quand le docteur Nka évoque la nécessité de créer une chaire universitaire portant le nom de Paul Biya, en hommage à son héritage politique. Personnellement, j’avais autrefois proposé la rédaction de ses mémoires, que je considérais comme une richesse inestimable pour les générations futures. Une ambition noble, donc, celle du docteur Nka.

Mais la réponse du professeur Bahebeck est cinglante : il le qualifie de « mendiant ». Heurté dans son honneur, le docteur Nka se lève d’un bond, visiblement prêt à en découdre, et lance, d’une voix rageuse : « Je ne suis pas un mendiant ! » De ce débat animé, il est possible de tirer quelques enseignements. Tout d’abord, le professeur Bahebeck, brillant chirurgien, semble ici jouer un rôle étranger au sien en prenant part au débat politique, laissant entrevoir ce qu’aurait pu être l’UPC s’il avait accédé au pouvoir. Son comportement suggère agressivité, complexe de supériorité et penchant autocratique — des caractéristiques souvent attribuées aux marxistes rêvant de pouvoir.

Le professeur Bahebeck évoque ainsi l’image d’un « Tarzan » marxiste, iconoclaste, ni homme politique ni praticien, mais un bon père de famille dont la vision se nourrit de commentaires de télévision. Quant au ministre Momo, il n’a fait que jouer son rôle : justifier et défendre son alliance avec le parti au pouvoir, qui tente encore et toujours de s’accrocher. Le ministre Grégoire Owono, en revanche, est apparu comme l’homme de la sobriété et de la retenue, un vrai homme politique n’ayant besoin ni de grands discours ni de références tapageuses pour discuter des affaires du Cameroun.

Il conclut en affirmant que le RDPC compte bien d’autres figures capables de le représenter avec dignité sur un plateau. Cette conclusion a suscité un débat avec mon frère, le docteur Jéhu Ndoumi, actuellement en tournée en occident qui pense que le ministre, d’un revers de main, écartait ceux qui avaient tenté de défendre le RDPC ce soir-là, ne les considérant pas à la hauteur. Pour ma part, j’ai interprété ses propos comme un hommage à l’arrière-garde du RDPC, qui pourrait le remplacer sur ce genre de plateau. Peut-être qu’un jour, en privé, le ministre lui-même nous éclairera-t-il sur la portée exacte de ses mots.

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