Paris 2024 : une certaine Afrique court toujours pieds nus comme Abebe Bikila en 1960
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Paris 2024 : une certaine Afrique court toujours pieds nus comme Abebe Bikila en 1960 :: AFRICA

UHURU, le vent de la liberté soufflait tous azimuts sur l’Afrique en 1960. Le continent noir accédait en effet à l’indépendance cette même année où le comité olympique déposait ses valises et ses symboles à Rome, la ville éternelle. Pour l’Afrique, nouvellement indépendante, ce n’était pas seulement le fair play de Pierre de Coubertin qui battait en brèche la violence passée qu’hébergea le Colisée, mais aussi les anneaux olympiques qui prenaient la place des chaînes des esclaves pour célébrer la paix entre les peuples. L’Ethiopie et l’Italie se retrouvaient par ironie du sort. Seul pays africain n’ayant jamais été colonisé, l’Ethiopie résista effectivement deux fois à l’Italie. D’abord à Adoua en 1896 puis en faisant échec, avec l’aide de la France et de l’Angleterre, à l’expédition mussolinienne sur son sol du 3 octobre 1935 au 9 mai 1936. Via les jeux olympiques, l’Ethiopie allait parachever sa victoire sur l’Italie et le monde impérialiste…

En effet, à l’épreuve de marathon, les artères de l’asphalte romaine et la foule amassée le long du tracé de l’épreuve en souvenir au messager grec Philippidès, découvrirent un homme svelte, vêtu d’un petit short rouge laissant apparaître ses longues jambes et d’un maillot vert frappé d’un numéro 11 sur le torse. Avec une cadence aussi régulière que le métronome d’un orchestre classique, il avala les 42 km de distance en 2 heures 15 minutes et 16 secondes. Il était pieds nus !
Oui, Abebe Bikila, puisqu’il s’agit de lui, avait couru et gagné le marathon aux Jeux Olympiques de Rome pieds nus. Non parce qu’il était pauvre et ne pouvait s’offrir des chaussures adaptées à la compétition mais, parce que, soldat du négus Haïlé Sélassié, il s’était habitué à courir pieds nus dans son Ethiopie natale. Dans ces conditions, mettre des chaussures de course aux Jeux Olympiques lui aurait été plus défavorable qu’avantageux. 

Abebe Bikila était donc tout un symbole. Celui d’une Afrique indépendante qui gagne ; celui du pauvre qui bat le riche ; celui d’un ancien colonisé qui triomphe de l’ancien colon ; celui de l’Ethiopie qui marche sur Rome et le fascisme. C’était fort de signification et très prometteur pour la future Afrique qu’Abebe Bikila, première médaille d’or olympique de l’Afrique indépendante, traversât la ligne d’arrivée à l’Arc de Constantin, l’endroit même où Mussolini prononça en 1935 sa déclaration de guerre à l’Ethiopie.
 
Si nous considérons l’expression courir pieds nus au sens métaphorique d’absence d’infrastructures sportives, d’entrainements professionnels, d’équipements adéquats et d’encadrement ad hoc de ses de ses sportifs, force est de constater que les jeux olympiques de Paris 2024 ont révélé une Afrique encore dans cette situation dans de nombreux sports.

L’Afrique a certes encore enregistré des succès retentissants à Paris 2024. C’est le cas de l’éthiopien Tamira Tora digne successeur d’Abebe Bikila en remportant le marathon de Paris avec un record du monde à la clé et de la première médaille d’or du continent au 200 m décrochée par le Botswanais Letsile Tebogo.

Mais nous avons aussi découvert une Afrique qui court toujours pieds nus comme Abebe Bikila en 1960. C’est le cas du nageur camerounais Giorgio Armani Nguichie qui n’avait jamais nagé sur une piscine olympique, de la Kenyane Winfred Yavi médailles d’or du 3000 m steeple pour le compte de Bahreïn et pas pour le Kenya où une somme de 2000 $ lui a été demandée pour son intégration dans l’équipe kenyane et de la cycliste nigériane Ese Ukpeseraye qui ne put s’entraîner et participer à la compétition que grâce à un vélo prêtée par l’équipe d’Allemagne. Nous découvrîmes aussi, chose insolite, une délégation camerounaise composée de seulement 6 athlètes mais de 16 officiels ! 

Au moment où les lampions s’éteignent sur Paris 2024, l’esprit olympique voudrait certes qu’on insiste juste sur la participation. C’est celle-ci l’essentielle en suivant Pierre de Coubertin. Sauf que les pays et les continents sont classés suivant le nombre de médailles engrangées en or, en argent et en bronze. Il y a donc aussi une évaluation économique, politique, culturelle et géopolitique du monde et des forces en présence qui se joue et se donne à voir à travers les jeux olympiques. Les 40 médailles d’or des Etats-Unis et de la Chine sont donc aussi le reflet sportif de la première et de la deuxième puissance économique du monde. 

L’Afrique, continent de 54 Etats, a obtenu 13 médailles d’or soit moins que de nombreux pays européens qui occupent le top 10 des pays les plus médaillés. 

De nombreux sports olympiques n’y sont même pas pratiqués quand certains athlètes relèvent de l’anecdote comme le fut le nageur équatoguinéen Eric Moussambany qui, à Sidney 2000, réalisa le 100 m le plus lent de l’histoire des Jeux Olympiques. Ces statistiques sont des indices qu’une certaine Afrique court toujours pieds nus et que les espoirs suscités par la victoire mémorable d’Abebe Bikila en 1960 restent, comme plusieurs indépendances du continent noir, très souvent évanouis. Eviter de continuer à courir pieds nus, c’est détecter des talents, les encadrer, construire des infrastructures et avoir des politiques sportives crédibles. 

Si des athlètes d’origine africaine décochent des kyrielles de médailles d’or sous les couleurs des pays européens, alors une Afrique qui cesse de courir pieds nus au jeux olympiques peut améliorer son rang sportif, culturel, économique, politique et géopolitique via la vitrine des olympiades. 

Les jeux olympiques ne sont pas seulement du pain et du jeu pour le peuple comme le veut la maxime politique. Il s’agit aussi d’un baromètre du travail fait dans des pays et d’une façon de mimer sportivement une guerre des civilisations où l’Afrique ne saurait se contenter des basses pressions de l’esprit de Pierre de Coubertin. Au travail donc pour participer et gagner encore plus…

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