Chronique : De la Rue Berri au Palais de Justice de Montréal 
CANADA :: POINT DE VUE

CANADA :: Chronique : De la Rue Berri au Palais de Justice de Montréal 

La première fois que j’ai mis les pieds dans ce lieu incroyable qu’est le Palais de justice de Montréal, je revenais d’un rendez-vous professionnel à la rue Berri qui ne s'était pas bien passé. La personne parlait énormément, était très sûre d'elle-même, et moi, je n'aime pas ça ; cela me mettait mal à l'aise. Je suis très souvent habité par le doute et je ne comprends pas ceux qui sont sûrs à cent pour cent de ce qu'ils disent ou de ce qu'ils vont dire. 

Comme je le disais, je n'étais pas satisfait de mon entrevue. En gros, la personne m'invitait à m'installer ici, au Canada. Pour lui, c’était une évidence, ça ne se refusait pas. C'était comme gagner un gros lot au loto. Son argument imparable : "Tes enfants pourront mieux grandir, loin de la délinquance parisienne", disait-il, tout en se frottant lentement les mains, d'un air satisfait, et en se léchant langoureusement les lèvres, comme s'il avait hâte de passer à table. 

Je n'ai pas apprécié sa façon de me parler. Cet homme, sans rien savoir de ma vie, a cru bon de me donner des conseils, avec une assurance qui frisait le mépris. Il était un peu comme ces gens qui se pressent pour aider ceux qui n'en ont pas besoin, qui se sacrifient corps et âme, mais qui n'hésitent pas à ignorer les personnes en réelle détresse… J'avais envie de lui expliquer que je ne vis pas à Paris et que la prétendue délinquance dont il parle ne me concerne pas, mais j'ai préféré me taire. Ça ne valait pas la peine. Je voulais juste partir, garder le sourire. Pour une fois qu'il faisait beau, je voulais en profiter, sortir et me promener.

Je pense qu'il y a un âge et un temps pour partir ; on ne peut quand même pas passer sa vie à déménager, même si les séquelles de la dictature de Paul Biya au Cameroun continuent de pousser les Camerounais à l'exil. S'installer durablement quelque part est un besoin fondamental pour l'épanouissement humain. C'est pourquoi j'ai fait le choix de m'enraciner en France et d'y construire ma vie. Par cette décision, je refuse de laisser un horrible personnage du passé dicter mon présent et mon avenir.

Après donc ce rendez-vous, je me suis laissé tenter par une promenade, histoire de me vider la tête. J'arpentais les petites ruelles autour du Marché Bonsecours et me laissais entraîner par l'ambiance festive de la Grande Roue, parmi la joyeuse agitation des visiteurs sur le Vieux-Port. J'ai même osé tremper les pieds dans le fleuve Saint-Laurent à cette période de l'année ; c'était glacial. 

Je ne sais plus trop pourquoi, mais j'ai décidé de me diriger vers Chinatown, à quelques pas du quartier des spectacles, sûrement pour ces petits plats du Vietnam que j'aime tant et qui me ramènent toujours vers ce secteur. Pas question de m'encombrer d'une voiture ou d'un taxi, j'ai préféré marcher, après tout, c'est bon pour la santé, comme on dit.  

En chemin, par hasard, je me retrouve face à la majestueuse bâtisse du palais de justice. Soudain, je n'ai plus faim. Jamais je n'avais mis les pieds dans un tel endroit. Tout ici m’intrigue et m’interpelle. Les gens qui sortent, le visage fermé et pressé, ressemblent aux banquiers de New York quittant les immenses immeubles de Wall Street. Ici aussi, la précipitation règne. Il est évident que ce n’est pas un endroit où il fait bon vivre. Les gens semblent contraints d’y être. Ceux qui patientent à l'extérieur, fumant frénétiquement comme des pompiers en alerte, renforcent cette impression d'urgence. Cette tension est palpable.  

En franchissant le seuil de cet édifice, j'ai d'abord été frappé par son apparence terne et bureaucratique, semblable à tant d'autres institutions administratives que l'on rencontre un peu partout au Canada. Même l'odeur qui se diffusait dans l'atmosphère était la même, comme si tous les établissements utilisaient le même produit de nettoyage. Les pas pressés résonnaient difficilement sur le sol et les gens chuchotaient, histoire de parler calmement et de se faire comprendre plus aisément. Ce manque de cacophonie et cette propreté impeccable me donnaient le tournis. 

D'un côté, l'atmosphère du tribunal était glaciale et impersonnelle. Ce lieu manquait énormément de folie. D'un autre côté, l'accueil que j'ai reçu était d'une gentillesse désarmante. Un homme à l'accueil m'a même demandé, avec un sourire amical : "Bonjour, Monsieur. Vous souhaitez vous rendre en salle des homicides ou du bien commun ?". J'ai failli lui répondre : "Ni l'un ni l'autre, merci, je me suis juste perdu en entrant ici".  

Devant ce manque évident d'excitation, j'ai décidé de créer mon propre scénario : je surveillais un homme en particulier. Il arpentait le couloir, visiblement tracassé. Ses mains tremblaient sans cesse, et il ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d'œil furtifs à sa montre. Je me demandais ce qui le tourmentait à ce point. Était-il un accusé attendant son procès, un témoin clé dans une affaire criminelle, ou peut-être même un meurtrier hanté par son crime ? 

La curiosité me tenaillait, mais je n'osais pas l'aborder de peur de briser le fragile silence qui régnait dans le couloir. Alors qu'il passait devant moi, il a soudainement heurté un chariot, faisant tomber un dossier au sol. Je me suis précipité pour l'aider à le ramasser et j'ai vu ses yeux remplis de larmes, ça m'a brisé le cœur. J'ai immédiatement mis fin à mon film intérieur ; j'ai compris qu'il s'agissait d'êtres humains, que la vie des gens se décidait ici, que c'était sérieux et que je n'avais pas le droit de le prendre à la légère... 

Bien plus tard, j'ai assisté à des procès. Ce n'est qu'en rencontrant les occupants - juges, avocats et personnel - que j'ai compris ce qui rendait cet endroit si singulier. C'étaient eux, ces âmes passionnées, qui insufflaient une vie trépidante à ce lieu, le transformant ainsi en un vrai lieu humain.  

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