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© Camer.be : Y.G
- 16 May 2024 09:51:01
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MONDE ENTIER :: Asile: Pour quelles raisons les étrangers viennent-ils en Belgique ? :: WORLD
Ils ne sont pas des leaders politiques ou syndicaux. Ils sont artisans, maçons, paysans, étudiants, fonctionnaires, ingénieurs. Ils sont des gens ordinaires. Un jour, ils doivent fuir, fuir absolument leur pays. Ils débarquent sur les côtes européennes dans leur fragile embarcation, leur destin brisé, leur chair blessée. Ils demandent la protection du pays des Lumières. Ils demandent asile. Pourquoi ?
On sait ce qu’il en est de la violence entre les militaires et les hommes armés des mouvements divers dans de nombreux pays. Luttes sans merci, pressions des deux parties sur les habitants des zones de conflits, suspicions, règlements de comptes, et, au bout du compte, beaucoup de sang versé. Un processus malheureusement quasi universel que l’on retrouve dans plusieurs pays. Mais la violence armée n’est pas la seule origine de l’exil.
Je peux vous parler d’Amadou. Amadou est un jeune berger mauritanien. Un jour, las de son état d’esclave, gardien sans salaire d’un troupeau de chèvres élevé sur des terres volées à son père, assassiné par le nouveau maître des lieux, il s’est levé. Lui, le jeune homme, il a regardé vers le nord et il a marché dans le désert de pierres. Il a abandonné ses chaînes et la peur du bâton de son maître pour vivre son rêve : une vie plus digne. Après avoir vendu des chèvres qui ne lui appartenaient pas, il a pris une barque de pêcheurs vers les Canaries et s’est retrouvé à Paris, égaré mais plein d’espoir. La Mauritanie condamne l’esclavage, mais, lui le sait, il y a loin des lois à la réalité. Son destin se joue ici. N’a-t-il pas déjà vaincu les lames impitoyables de l’Atlantique ?
Je peux vous parler d’Alpha le Guinéen, qui demande asile politique au plat pays (Belgique). Alpha est-il le leader d’un parti politique de la Guinée ? Non, Alpha tient une boutique de couture à Conakry. Une boutique en bois dans la banlieue de la capitale. Il est engagé dans un parti d’opposition ayant pignon sur rue. Son rôle y est bien modeste. C’est lui qui confectionne les tee-shirts portés lors des manifestations de rue. Il imprime les slogans. Et pourtant, un jour, il découvre un cadavre dans son arrière-boutique. Et, bien sûr, la police lui fait porter la responsabilité du meurtre. Il est jeté en prison puis relâché. Mais, après cet événement, peut-il avoir le sentiment d’être en sécurité ? Il décide de fuir, fuir absolument vers Bruxelles, où il découvre que, dans de nombreux pays d’Afrique, il n’est pas rare de placer des cadavres dans le « placard » de ses opposants.
Je peux vous parler de Cletus, ce jeune homme cultivé et musicien dont la vie a été brisée par les seigneurs de guerre dans les régions anglophones du Cameroun. Après avoir rangé son violon pendant des mois, il a dû subir les assauts des clans adverses. Son père est assassiné pour avoir collaboré avec les forces de l'ordre. Son épouse subira le viol et les pires humiliations. Menacé, il devra quitter Mamfé avant un ultime règlement de comptes. Bruxelles est son salut. La ville brille pour lui de toutes les Lumières. Reste le poids de la culpabilité du viol de sa femme ; une pratique de plus en plus répandue dans les forfaits de la barbarie. Il faut déshonorer la femme, déshonorer l’homme, détruire l’autre. La femme de Cletus a préféré se donner la mort.
Je peux aussi vous parler de Sambo le Congolais. Cet ingénieur qui, lui aussi, en savait trop sur la corruption régnant dans son entreprise, une mine exploitant le très riche sous-sol de la République démocratique du Congo. Il est licencié puis menacé. Aucune autorité politique régionale, aucun procureur ne veut le protéger. Trop d’intérêts sont en jeu. La richesse des nations ne se mesure pas seulement à la teneur de son sous-sol, elle se mesure aussi à l’aune de la démocratie. Ce n’est pas le cas dans ce pays dévasté, en proie à des convulsions. Ce n’est pas le cas dans de nombreux autres pays qui n’ont pas inscrit les droits de l’Homme dans la terre ferme de leur histoire.
La zone grise de notre humanité
Les Amadou, Alpha, Cletus, Sambo, Alexandra, vous pouvez les rencontrer dans les couloirs de la Cour nationale du droit d’asile. Ils forment autant de figures types des demandeurs d’asile en Belgique. Figures types de toutes les oppressions, de toutes les persécutions. Déboutés par l’Office des étrangers en Belgique, ils tentent une seconde chance devant cette instance . S’ils ont un bon avocat, un effet de manche réglera peut-être leur destin, repoussant les contours incertains de la jurisprudence. S’ils n’en ont pas, sauront-ils dire qu’ils ont fui sans papiers parce qu’ils n’avaient pas le choix de la date de leur départ, sauront-ils convaincre que les règles sociales qui prévalent chez eux ne sont pas les mêmes qu’ici ? Deux sur trois ne réussiront pas. Certains trichent, c’est vrai. Ils sont des immigrés économiques en quête d’un statut. D’autres ne convainquent pas et pourtant. Un malentendu ?
Il ne faudrait pas que cette « zone grise » de l’incompréhension devienne une « zone grise » de l’inhumanité. Les critères de la justice sont-ils toujours la réponse unique à la demande de survie dans un monde de fureur ? On le sait, aujourd’hui. Certains demandeurs d’asile ont été assassinés, une fois renvoyés dans leur pays. A vouloir être « juridiquement corrects », ne risquons pas de devenir « humainement injustes ».
Il y a un flux annuel de plus de 900 000 demandeurs d’asile dans le monde selon les derniers chiffres du Haut Commissariat des Refugiés. Ceux-ci ont-ils compris qu’ils ne pouvaient plus compter sur les autorités de leur pays d'accueil ? Six sur dix de ces personnes ne s’adressent plus aux pays développés. Elles s’adressent aux autres pays, les pays du Sud, pauvres en PIB et, malheureusement, souvent pauvres en démocratie.
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