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© Camer.be : Propos recueillis par Alain Ndanga
- 15 May 2024 16:50:25
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CAMEROUN :: Daniel A. Noah :"la dernière œuvre de Manu Dibango était une interprétation des musiques du balafon" :: CAMEROON
Au cours d’une interview accordée à Camer.be, l’universitaire et écrivain rend hommage à Manu Dibango, explique le balafon dans toutes ses dimensions et indique pourquoi les femmes étaient interdites de jouer à l’instrument dans les orchestres de Mendzang.
Vous avez participé à une conférence dans le cadre du festival Nja Nja Mendzang tenu à Yaoundé du 23 au 27 avril dernier sur l’implication de la femme au balafon. Qu’est-ce qu’un tel festival peut apporter dans la valorisation, la promotion et la préservation de cet instrument ?
J’étais très enthousiaste d’aller à ce festival international des balafons, parce que c’est la perspective qui manque le plus à l’Afrique aujourd’hui. Apercevoir le panafricanisme par des valeurs partagées mais qui ont une telle profondeur qu’elles ont parfois l’air dispersé. Prenons l’exemple du balafon, je suis allé à cette conférence parce qu’il y avait le balafoniste ivoirien le plus connu mondialement, Aly Keita qui non seulement était au Cameroun et a collaboré dans l’album de la chanteuse Cécile Eke. La configuration du balafon ouest-africain est tellement différente du balafon des Béti, fang, bulu ou que l’on trouve dans les peuples Grassfied (Nord-ouest et Ouest), qu’on risquerait de croire que ce sont des réalités différentes, or c’est la même réalité au niveau de la musique ; surtout au niveau du développement de l’expression de la pensée africaine. Des personnes qui sont dans le cas de Aly Kéita, nous voyons que ce qu’on appelle la culture forestière qui va être attribuée à la xylophonie. La culture forestière s’exprime donc de manière très différente, plus l’Africain s’éloigne de la forêt et où que les essences d’arbres se raréfient, vous avez un balafon tout seul et par rapport aux personnes de la forêt équatoriale, chez lesquels l’arbre est déployé en cinq balafons et chacun est sous déployé par le nombre de lamelles en bois aussi par l’appui acoustique des calebasses. On peut s’en tenir à un aspect visuel alors que derrière il y aura des modalités de développement de la pensée ce qu’on appelle la construction de la pensée.
Pourquoi toujours présenter le balafon comme un instrument traditionnel à partir du moment où il fait partie des orchestres modernes au même titre que les claviers, le saxophone ou la guitare basse entre autres ?
Dire traditionnel est une évolution de l’humanité aujourd’hui parce nous sommes sous le joug des cadres des pensées français comme ils nous ont aidé à quitter le rythme folklorique, c’est-à-dire des bruits produits par les peuples primitifs ; tout comme ils appelaient nos langues maternelles des patois. Avec des gens qui disent aux Français de faire attention, d’être autocritiques envers eux-mêmes. Ils décalent et appellent ça aujourd’hui musique traditionnelle. C’est une évolution qui influence malheureusement les Africains qui ne sont pas disposés à en apprendre un peu plus sur l’Afrique qui est la leur. Le balafon a été un instrument folklorique selon l’usage économique des peuples. Au royaume Mfida où je viens, le chef qui était considéré comme un roi entretenait un orchestre de balafon. S’il faut définir cet orchestre royal, c’était en même temps un conservatoire de l’art du balafon. Des circonstances exceptionnelles comme des grandes fêtes, les mariages se faisaient toute la nuit. Les musiques qu’on a joué à cette époque sont éternelles l’art du balafon joué à cette époque est éternel. Les circonstances font qu’à un moment donné on modifie la configuration des instruments pour jouer ça en musique religieuse parce que les religieux à un moment ne voulaient pas du balafon dans l’église. Et quand ils ont décidé qu’ils en veulent à nouveau, c’est tout un art religieux qui est ainsi célébré et on a oublié qu’ils ont cassé les balafons avant cette période la musique du balafon entre dans les cérémonies de mariage, de cérémonie religieuse la musique du balafon entre dans ses divers séquences de l’histoire de l’homme, l’activité de l’homme change depuis qu’il était au village, en ville à l’église en boite de nuit. Il y a cette première évolution des groupes sociaux et l’évolution internationale. Il y a aussi le xylophone qui est le vrai nom du balafon des noirs qui est parti des Etats-Unis et nous est revenu dans le jazz. Ce type d’évolution est très important. Je signale toujours que la dernière œuvre de Manu Dibango était une interprétation des musiques du balafon interprété avec Mbida Douglas. Le disque était sorti deux semaines avant sa mort.
Pourquoi les femmes n’étaient pas autorisées de jouer au balafon?
Les interdits sont des questions culturelles. Le regard des uns à partir de leur culture sur les interdits de la culture des autres est parfois des stigmatisations. J’invite tous les jeunes africains à développer une sorte de défiance par rapport à certaines choses qui leur paraissent évidentes, c’est-à-dire que si on vous parle d’un interdit, ce qui est interdit n’est sans raison ni mystique. Dans la culture des Béti que je maîtrise, quand on interdisait quelque chose à quelqu’un, c’était au départ une situation de protection de cette personne. Il est démontré par les biologistes que la consommation de certains produits ou animaux par les femmes pendant la période de la grossesse peut avoir une mauvaise influence sur celle-ci. Moi j’étudie la psychologie et la pédiatrie il parait qu’en psychiatrie quand la femme regarde des films d’horreurs, son enfant peut avoir des conséquences. Il y a des aliments qu’on interdisait aux enfants parce que ça avait des conséquences sur leur santé à l’époque de nos ancêtres comme aujourd’hui. Dans les rites d’initiations, il y avait le côté de la méthode africaine pour initier quelqu’un à quelque chose. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui les bizutages en ce qui concerne le balafon, j’ai démontré pourquoi les femmes n’étaient pas nombreuses dans l’initiation au balafon. Je crois qu’il y avait un grand côté mystique et le plus important était la préservation des femmes et elles s’en sont éloignées mais comme vous avez lu au long de cette conférence, lorsque le balafon est posé loin du corps, lorsqu’il vibre moins sur certains organes du corps.
Voir des femmes jouer est une avancée ou une copie des considérations occidentales qui donnent la part belle aux femmes dans la parité ?
C’est les deux. Nous savons tous que la compréhension du rôle des femmes dans la société a évolué et que la culpabilisation de l’Afrique ancestrale a été un faux débat dans l’orchestre de balafon de sur la royauté que j’ai évoqué tout à l’heure, c’est la femme qui était la cheffe. Elle ne jouait pas le balafon, plutôt aux castagnettes dans l’orchestre de balafon. Cette nuance n’est pas négligeable. Le rôle de la femme a peut-être été mal décrit mais, aujourd’hui nous avons une meilleure intelligence de la part des choses. Ça c’est par rapport à l’Afrique ancestrale. Mais maintenant je pense que les femmes jouent au balafon sans complexe se battent pour occuper une sorte d’apparence dans la société qui leur a été retirée. Autrefois on disait que c’est la femme qui commandait.
Comment cerner la différence le balafon (nja) et le Mendzang ?
J’ai distingué les différentes formes de balafons. Le balafon malien, où l’instrumentiste joue seul ; chez les peuples grassfields, le balafoniste joue seul et n’a pas besoin d’un grand orchestre, peut être deux ou trois. Et ce balafon a des lamelles différentes, plus épaisses, et il frappe plus fort. Dans la zone de la forêt où on parle de Mendzang, c’est un orchestre à cinq sections : rythmique, solo, basse, etc. il y a plusieurs instruments mais ils sont presque pianotés, c’est-à-dire que la personne qui joue dessus n’a pas besoin de frapper fort parce qu’en bas de chaque lamelles, il y a une calebasse acoustique qui peut développer le son. Ces calebasses sont toute une autre science parce que selon la connaissance de la musique, pour bien faire, il faut faire la logistique, la capacité de fabriquer des instruments ce qui fait que dans le balafon, vous savez déjà tracer les lamelles, connaître à quel note correspond chaque lamelle et la grosseur de la calebasse en bas. C'est la configuration de l’instrument et cette possibilité d’entrer dans la gamme pentatonique qui fait la différence.
Quelle est la forme à préserver pour garder une certaine identité quand l’on en trouve avec les calebasses, le tuyau plastique ou en encore le contreplaqué servant de rosace ?
Nous sommes heureusement dans la mouvance du 21ème siècle dans la protection de l’environnement, des espèces. Je crois que les Africains ne vont pas cesser de se contenter de voir détruire l’écosystème, voir les espèces de calebasses disparaître pour se contenter des boîtes vides de lait abandonnées pour en mettre sur le balafon. Moi je pense que la noblesse africaine, la restauration du panafricanisme voudrait qu’on identifie l’essence des végétaux qui était ces balafons et les cultive, les conserve. Nous avons vu comment les calebasses qui accompagnent le balafon se cassent lors des déplacements. On pourra continuer d’imiter les sons comme on le fait avec la trompette à ordinateur. Mais je pense que le meilleur mouvement serait d’apprendre aux jeunes africains dans le cadre des conservatoires. Les églises et un certain nombre de structures aident à conserver la musique africaine. Si l'État ne peut pas construire des conservatoires, il peut développer cela, soutenir les institutions et les organisations qui ont intérêt à conserver l’art musical. Ce sera bien qu’un intellectuel ou moi-même écrivions un livre dans lequel on décrit le type de calebasse résistante.
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