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© Correspondance : Yves Mbeng
- 30 Dec 2023 18:26:50
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KENYA :: HOMMAGE A MARTIN EBELE TOBBO,COMBATTANT UPECISTE DECEDE LE 22 DECEMBRE 2023 A NAIROBI
Le 15 janvier 1971, Ernest Ouandié, l’homme vertical, présenté comme le dernier chef historique de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), est exécuté à Bafoussam. L’impérialisme français, par la voix de son maître Georges Pompidou, président de la République éponyme, Senghor le président-poète du Sénégal et nombre de larbins du néo-colonialisme avaient réclamé sa tête.
Le dictateur camerounais d’alors, Ahmadou Ahidjo, la leur offre, au terme d’un procès inéquitable, une scandaleuse forfaiture. Tous jubilent. Le trophée, c’est sûr, ou quasiment, signe la fin de la rébellion.« Y en eso »1 llegaron los Tobbo. Et oui, sur ce jaillirent les Tobbo, cette partie de la jeunesse dont l’exemple d’Ernest Ouandie avait fermenté les convictions.
Répondant à l’appel d’un Woungly Massaga qui ne s’était pas encore trompé de costume, cette jeunesse adhéra au Manifeste National pour l’instauration de la démocratie (Manidem) puis à l’UPC. Il ne fallait pas que disparaisse un mouvement qui arracha l’indépendance du Cameroun à la France, au prix d’un conflit armé, malgré l’hostilité de toutes sortes de collabos camerounais.
A partir des années 1974-1975, patiemment, dans la clandestinité, Mouen Gaspard, Ebele Tobbo et tant d’autres, avec l’aide de leurs camarades à l’Etranger, bâtirent au Cameroun une organisation révolutionnaire. Celle-ci reposait sur un trépied : une idéologie, un maillage et une multitude de militants intègres, décidés et courageux. Il n’en fallait pas moins pour affronter un pouvoir de parti unique cruel, doté de nombreux centres de torture à la tête desquels trônaient l’assassin Jean Fochivé et son acolyte Mouyakan.
L’action des Ebele Tobbo permit de noyer littéralement certaines cités camerounaises de tracts qui démystifiaient la démagogie et les mensonges du régime Ahidjo, dénonçaient ses injustices, la corruption, la terreur, les inégalités et la confiscation par une minorité des fruits du labeur collectif. Devant son pouvoir qui commençait à vaciller, Ahidjo devint hystérique. Il faut, dit-il à Fochivé, que tout cela cesse, quel qu’en soit le prix. Mouchards et sbires furent activés. A
la suite d’une erreur d’inadvertance commise par un camarade à Yaoundé, Fochivé et ses hommes parvinrent à remonter des réseaux.
S’ensuivirent des rafles, indistinctes, opérées sur la base de vagues proximités, d’aveux arrachés sous destortures barbares. Le nombre de détenus, au paroxysme en juillet 1976, dépassa les mille. Après un tri sommaire on en conserva plusieurs centaines dont Ebele Tobbo qui furent sans jugement répartis dans des camps de concentration à travers le pays. C’est ainsi qu’il se trouva déporté au Nord Cameroun, à Tcholliré où Il passa neuf longues années de sa vie, loin de sa famille qui résidait à Douala.
L’homme qui s’est éteint à Nairobi ce 22 décembre 2023 à 3h du matin était un gars de Deïdo.
De ses origines Sawa il a gardé une élégance frivole, proche de la sapologie2
Par sa gouaille et son sens de l’humour,son enfance s’apparente à celle de Gavroche. Mais il ne faut point s’y tromper : ce mélange d’espièglerie et de propension à taquiner les autres ne l’empêcheront pas de devenir l’un des plus brillants élèves de sa génération. Au collège Libermann, alors l’établissement le plus réputé de Douala tenu par les jésuites, comme au Lycée Joss qu’il intègrera plus tard, l’on remarquera sa grande vivacité d’esprit, son impressionnante mémoire et la qualité de sa plume. Ses études supérieures, menées notamment à Yaoundé, en feront un spécialiste du bilinguisme français-anglais, lequel viendra s’ajouter à une parfaite maîtrise de sa langue maternelle.
A sa sortie de prison en 1985, on aurait pu le croire défait, atone même. Que nenni. Il continuera d’être de tous les combats pour la dignité des hommes ; croisant le fer avec certains intellectuels adeptes du chauvinisme ethnique, affrontant la puérile dérision de ceux qui, suprême blasphème, lui reprochaient d’avoir recherché l’ascendance des Deïdo chez les Bandem.
Sa passion 2 pour l’histoire le conduisait constamment à découvrir des parentèles entre les siens Sawa et les autres groupes ethniques en rapport avec eux. C’est qu’il ne supportait pas le tribalisme. Ni le révisionnisme de ceux qui réduisaient à quelques milliers les victimes de la guerre coloniale menée contre le peuple kamerunais entre 1955 et 1971, alors que les estimations les plus sérieuses en dénombraient plusieurs centaines de mille.
Mais toute cette activité, Ebele Tobbo, Marto pour les intimes, la menait à titre bénévole. Paul Biya, le nouveau Chef de l’Etat, s’était contenté d’élargir les derniers prisonniers politiques de son « illustre prédécesseur » Ahidjo sans leur accorder le moindre soutien financier, ni envisager pour eux la moindre réinsertion. Où poser ses affaires ? Marto sollicita quelques connaissances qui finirent par lui obtenir un sauf-conduit vers le Kenya. Dans ce pays qui deviendra sa seconde patrie, il va officier comme traducteur auprès des organisations onusiennes locales. Jusqu’au jour où ce diabète consécutif à son long emprisonnement, merci Ahidjo, le priva de sa vue. Fin des contrats de travail et début d’une autre galère.
Du digne fils de Deïdo qui entre aujourd’hui dans l’Ekombo3 des plus grands patriotes kamerunais, nous retiendrons, outre ses qualités déclinées en amont, un grand sens de l’humanisme.
Tout là-haut dans le Nord de ce pays nôtre qu’il chérissait tant, il y a des adultes qui le pleureront encore plus fort, dès qu’ils apprendront sa mort. Ce sont tous les rejetons de ses geôliers, hier adolescents ou plus jeunes encore, qui venaient puiser le goût d’apprendre à la faveur de cours quasi clandestins que leur délivraient Marto et ses camarades.
Dans cette région du Nord, sous-scolarisée, d’inégalités flagrantes, région d’origine d’Ahmadou Ahidjo le bourreau des upécistes et du peuple kamerunais, il fallait bien plus que de l’empathie pour éveiller de jeunes consciences, encourager des vocations, malgré les restrictions drastiques du pouvoir et la suspicion initiale de parents craignant à tout moment d’être accusés de complicité avec les rebelles.
Ces derniers temps Ebele Tobbo fulminait de voir son Kamerun balafré de toutes parts, fragmenté par le tribalisme, tanguer tel un bateau ivre puis progressivement couler vers les profondeurs de l’incivilisation. Redoutant que la maladie ne l’empêche de transmettre les valeurs upécistes qui avaient donné du sens à sa vie, il n’avait de cesse d’inviter ses proches camarades à un urgent travail de mémoire.
Marto, par ces temps de confusion politique, qu’il faudra de lumières pour éclairer le jour, dans l’accomplissement de cet indispensable travail de mémoire ! Qu’il faudra de luttes et de sacrifices aux tiens comparables pour qu’enfin vive un Kamerun de justice et de liberté !
Regrets éternels.
Condoléances à ta femme et à tes filles.
Yves BENG Le 28 décembre 2023
1- Allusion à la chanson « en eso yego’ Fidel » de Carlos Puebla.
2- sapologie : art congolais de la sape. Forme d’esthétique pratiquée par « les sapeurs » caractérisée par l’élégance et le port de vêtements et de chaussures de marques.
3- Ekombo : terroir en langue duala.
L’ouvrage « Le quartier spécial. Détenu sans procès au Cameroun » de Nouk Bassomb paru chez l’HARMATTAN en 1992 raconte son arrestation en 1976 ainsi que celles des regrettés Mouen Gaspard, Ebele Tobbo et de tant d’autres upécistes, opérées la même année. (Voir le site decitre.fr)
3- POUR CEUX QUI VEULENT APPORTER DE L’AIDE A LA FAMILLE KENYANE D’EBELE TOBBO.
Ebele Tobbo est décédé à l’hôpital. D’importantes factures y sont à régler faute de quoi l’indispensable autorisation d’inhumer ne sera pas donnée.
A ces frais s’ajoutent ceux des obsèques.
Localement une structure s’est constituée. Elle a désigné une trésorière qui centralise les dons. Voici ses coordonnées :
ANN ACHIENG téléphone +254 723 695 414. Prendre contact avec elle pour convenir de la meilleure façon d’envoyer de l’argent.
En cas de difficultés joindre YVES BENG au +33 7 81 11 39 43.
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