DISCOURS HAINEUX D’OKALA CHARLES MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGÈRES À LA MORT DE MOUMIÉ FÉLIX EN 1960
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Le 9 décembre 1960, au cours de la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le Ministre des Affaires Etrangères d’Ahidjo, Charles René Guy Okala, avait fait la déclaration suivante :
« … En effet, Moumié a été empoisonné à Genève. Ce qui a pu filtrer de cette affaire, est que Moumié est arrivé à Genève au début du mois d’octobre dernier, au hasard des pérégrinations perpétuelles dont il avait fait sa principale activité. Il venait de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) où son action n’avait pas plu au colonel Mobutu. Pour une fois, il avait trouvé un homme qui ne goûtait pas beaucoup à sa sauce, et qui l’a chassé de son pays, et dans sa fuite précipitée, il a atterri à Genève.

D’après les renseignements dont nous disposons, nous savons qu’il avait offert un déjeuner d’adieu à des amis dont sa compagne de Genève, parce que ce sont des choses qui arrivaient aussi à M. Moumié d’avoir, en dehors de sa légitime épouse, quelques compagnes, ce qui est très triste à révéler ici parce que les combattants de Moumié, eux, lorsqu’ils sont dans le maquis, lorsqu’ils sont sur les barricades, n’ont pas de compagnes et n’offrent pas de déjeuner, ni de dîner, mais ce qui n’est pas permis aux simples exécutants l’est aux chefs. Il a donc donné un déjeuner d’adieu à des amis parmi lesquels il y avait une égérie, Liliane, pour l’appeler par son nom de célébrité et son nom de guerre, puis ensuite un dîner intime, cette fois en compagnie de Liliane et de deux Africains. Il a été prouvé, par la suite, qu’ils étaient quatre et même cinq : Moumié, sa maîtresse, deux Africains et un journaliste, car il fallait bien que les journaux parlent de ce petit fait, car après qu’un chef d’Etat ait donné un dîner, il est bien séant que la presse le relate le lendemain. Il lui fallait donc un journaliste.

Au cours de ce repas, il aurait absorbé du thallium dans son second verre de vin, un Bordeaux 1957. Il serait rentré à son hôtel vers une heure du matin, et son premier malaise aurait eu lieu à cinq heures du matin. Dès cet instant, il n’aurait plus eu la force même de se lever. A neuf heures, il aurait été transporté dans une clinique de Genève, ne pouvant presque plus parler. Un examen clinique devait confirmer le diagnostic d’empoisonnement au thallium. Le mal allait empirer progressivement et le 3 novembre à 15 h 15, Moumié succombait sans avoir pu dévoiler, ni l’identité de ses derniers convives, ni celle de ceux qu’il pouvait soupçonner.

Son amie Liliane a déclaré qu’il lui avait demandé s’il y avait la « Main rouge » (organisation politique criminelle française chargée d’assassiner tous les leaders politiques africains qui réclamaient l’indépendance de leurs pays) à Genève, et qu’il avait paru la redouter particulièrement. Dès que l’identité du malade fut connue des autorités locales, l’affaire a été fertile en rebondissements, et à l’heure où je vous parle, on est encore à la recherche du journaliste.

Dès l’hospitalisation de Moumié, sa compagne s’est fait hospitaliser, prétextant les mêmes symptômes et les mêmes souffrances que lui. Le 2 novembre, elle disparaissait et filait à Paris remettre, à l’ambassade de Guinée, la valise diplomatique de Moumié Félix contenant documents, journal personnel, chéquier et passeport guinéen. A son retour, le 4 novembre, elle était victime d’une crise qui fit croire à une tentative de suicide. Aucune mauvaise nouvelle n’est parvenue depuis sur son état de santé, mais nous savons qu’elle se porte bien puisqu’elle vient de passer un contrat avec un magazine illustré allemand de Munich dans lequel doivent être publiées ses mémoires et racontés ses amours avec Moumié.

La dépouille mortelle de Moumié a été demandée par la Guinée et disputée par le Ghana. Finalement, elle est arrivée à Conakry où elle a reçu sépulture. Mais, peut-on se demander, le gouvernement est-il resté impassible devant ce drame ? Nullement. Dès l’annonce de l’hospitalisation de Moumié et de sa mort, le gouvernement a fait des démarches officielles auprès du gouvernement helvétique pour demander qu’une enquête soit ouverte. C’est une ironie du sort qui veut que pour l’homme qui a été à l’origine de tant de massacres chez lui, ce soit le gouvernement, qu’il ne voulait pas reconnaître, qui soit chargé de retrouver ses empoisonneurs. Le gouvernement s’est également élevé contre la remise de la dépouille de Moumié à un pays étranger dont, s’il en a utilisé le passeport diplomatique, n’en a jamais sollicité la nationalité. D’après ce que nous savons, Moumié n’a jamais renoncé à sa nationalités camerounaise, ce qui aurait, peut-être, résolu pas mal de problèmes. Malgré cela, nous avons trouvé saumâtre que le gouvernement helvétique ait envoyé le corps de Moumié à Conakry, et nous avons élevé des protestations en bonne et due forme.

Le gouvernement déplore, naturellement, qu’il lui ait été impossible de faire plus en cette tragique affaire, par le seul fait, d’ailleurs, que l’intéressé s’était détourné de son pays jusqu’à sa mort. N’est-il pas infiniment regrettable qu’il ait préféré remettre à un gouvernement d’un pays étranger tous ses documents personnels, en faisant ainsi de ce gouvernement son exécuteur testamentaire, si ce n’est son légataire universel ?

Mais, il est bon que le pays sache que ceux qui s’affublent volontiers du nationalisme verbeux et outrancier, s’enrichissent sur les cadavres des Camerounais, car il n’est un secret pour personne que Moumié a laissé, dans une banque genevoise, à son compte personnel, un nombre respectable de millions. Il est bon qu’il soit su que pendant que certains abusés s’exposent dans des embuscades à la merci des intempéries et d’une mort stupide, parce que maintenant sans objet, leurs bergers, à l’étranger, s’enrichissent à leurs dépens.

Cette disparition, pour nous, a mis en lumière les motifs réels de ceux qui prolongent, indéfiniment, leur séjour à l’étranger, tantôt en suscitant certains préalables, tantôt certaines revendications, mais le mobile réel est qu’ils sont bien, là où ils sont, et ne sont pas pressés de revenir ici. C’est en définitive pour approvisionner un compte en banque personnel que ces messieurs restent là-bas. C’est, on le voit, loin, très loin de l’intérêt supérieur du Cameroun dont on aime habiller les discours destinés aux crédules. Et voilà, on s’apitoie sur le sort de Moumié. Il n’était pas à plaindre, il avait des villas en Suisse et ailleurs, il a laissé un compte en banque très fourni qu’aucun Camerounais ne possède.

Les fonds sont à Conakry, les plans de guerre sont à Conakry, les armes que Moumié devait recevoir doivent aller à Conakry ! Donc, maintenant, c’est Conakry qui prend la relève de l’action de Moumié.
Il reste maintenant à poser la question, à savoir, quels sont ceux qui ont pu vouloir la mort de Moumié ? Il n’y a que deux hypothèses : ou c’est l’UPC qui a décrété la mort de Moumié, ou ce sont les Russes qui l’ont décrétée… » (1)

1- Journal des débats parlementaires de l’Assemblée Nationale.

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