Joseph Tchundjang Pouemi, le combat contre la monnaie de la servitude
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Monnaie, servitude et liberté : la répression monétaire de l’Afrique, c’est le titre d’un ouvrage publié en 1980 par l’économiste camerounais Joseph Tchundjang Pouemi, pour dénoncer l’utilisation du franc des colonies d’Afrique ou Cfa imposé par la France aux pays africains, monnaie qui d’après l’auteur avait pour seul but de perpétuer la soumission. Un an après la sortie de cet ouvrage, Jean Duhamel lui consacre un article dans la revue Marchés Tropicaux de janvier 1981, reproduit dans le deuxième numéro de Le Manager, journal des informations économiques et commerciales de l’AE-ESSEC Douala pour année académique 1981-1982. Selon l’article, Joseph Tchundjang Pouemi, dans le livre, « circonscrit en termes incisifs le rôle de la monnaie, porteuse de progrès, donc d’affranchissement, mais aussi, à l’inverse, génératrice de liens donc d’asservissement.

Globalement résumée, la thèse est claire : le développement économique et social du Continent africain a été artificiellement freiné par une politique monétaire systématiquement orientée vers son appauvrissement. À l’époque de la colonisation, il était logique, sinon légitime, que la monnaie fût gérée dans la vue d’une pleine application du pacte colonial visant à exploiter les territoires d’outre-mer au mieux des intérêts du pays colonisateur, qui y recherchait à la fois une source de matières premières à bon marché et un débouché pour son industrie. L’accession des États africains à l’indépendance n’a – contrairement à ce qu’on pouvait en attendre – guère modifié la situation. L’ancienne métropole est restée, pour ce qui concerne l’ex-empire français le centre des véritables décisions et a continué à exercer, par le maintien d’une mainmise quasi absolue sur l’octroi des crédits et l’orientation des circuits de l’épargne, un impérialisme retardé qui sauvegardait l’essentiel de ses intérêts économiques. »

Au service de la nation

Joseph Tchundjang Pouémi fait partie de la génération d’Africains qui par l’écriture ont démontré que la colonisation des pays africains par la France s’est perpétué de manière plus cruelle après les années 60, par une utilisation subtile de la monnaie, le Cfa. Il est né le 13 novembre 1937 à Bangoua dans le département du Nde, région de l’Ouest. Ses premiers pas à l’école se font dans cette localité, d’où après son certificat d’études primaires, il s’inscrit au Collège Moderne de Nkongsamba. Nanti du Bepc en 1955, ses études sont interrompues à la suite d’une mesure d’internement dans le Nord du pays où il servira comme instituteur à Pitoa de 1955 à 1958. Cette interruption ne l’empêche cependant pas de préparer son Baccalauréat qu’il obtient en 1959 avant de poursuivre de 1960 à 1964 des études supérieures à l’Université de Clermont-Ferrand.

Il y mène des études de Mathématiques et de Sciences Economiques et obtient sa licence de Sciences économiques en 1964. La même année, il entre à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE) de Paris. Il en sort diplômé en 1967 avec le titre d’Administrateur de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). En 1968, il soutient une thèse de Sciences économiques préparée sous la direction de Pierre Massé, le père des plans français, sous le titre Les critères de choix des projets d’investissement en pays sous-développés par les organismes internationaux, fondements théoriques et problèmes d’applications. Sa thèse complémentaire, soutenue en 1970, s’intitule Considérations sur les comptes nationaux du Cameroun

Il se met immédiatement au service de la nation, comme enseignant à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l’Université Fédérale du Cameroun et dirige en outre la Fondation Carnegie qui donnera naissance à l’Institut des relations internationales du Cameroun. En 1971, il est reçu au concours d’Agrégation de Droit et des Sciences économiques. Premier Camerounais ainsi reçu à ce concours, il est nommé Professeur Titulaire et en 1973 Chef de Département des Sciences économiques, fonction qu’il assume jusqu’en 1975. En même temps, il se voit confier la Direction de l’Institut d’administration des entreprises (IAE). D’après certains témoignages, il est repéré par le président ivoirien Houphouët Boigny qui le sollicite pour venir aider son pays à faire des réformes économiques. Il se retrouve en Côte d’Ivoire en 1975, où il est Professeur à l’Université d’Abidjan dont il dirige le département d’Économie publique et participe, comme économiste en chef, aux travaux et études du Bureau National d’Étude de Technique du Ministère du Plan. À ce titre, il assure la direction de nombreuses études, notamment sur les problèmes monétaires.

Désaccord avec le Fmi

Sa carrière sur le plan international se poursuit en 1977 aux Etats Unis, où il rejoint le Fonds monétaire international (FMI) à Washington. Quand il découvre les vraies missions de l’institution, qui sont de maintenir les pays pauvres dans la pauvreté avec des prescriptions économiques et monétaires suicidaires, il démissionne deux années plus tard. De retour en 1979, il est nommé professeur au Centre universitaire de Douala, nouvellement créé. Professeur des techniques quantitatives à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales du centre, il y est nommé Chef de Département d’Analyse de données et Traitement de l’Information le 22 août 1983. Mais l’économiste est rentré du Fmi avec la ferme conviction que son pays et bien d’autres en Afrique font l’objet d’une conspiration à l’échelle mondiale, où dans les institutions monétaires les politiques édictées ont pour seul objectif l’exploitation des pays faibles. Parallèlement à ses fonctions académiques, il mène des réflexions sur les voies et moyens pour sortir son pays et l’Afrique de ce piège économique, réflexions qu’il couche progressivement dans l’ouvrage Monnaie, servitude et liberté publié en 1980

Incompris

A la rentrée académique 84-85, il est appelé à l’Université de Yaoundé, mais n’a pas le temps d’y reprendre service. Agé de 47 ans, il meurt brutalement. Dans un article publié le 14 février 2018 dans Mondeafrique, Vincent-Sosthène Fouda-Essomba écrit au sujet de la mort de l’économiste : « Il ne fait aucun doute que Joseph Tchundjang Pouemi a été assassiné – mais par qui et pourquoi ? Avec qui a-t-il fait le trajet Yaoundé Douala la veille de son décès ? Est-il mort à Douala ou à Yaoundé ? S’est-il donné la mort dans un hôtel de Douala ? Est-il décédé dans une clinique à Douala ? Son frère cadet avec qui il aurait dîné la veille de son décès pourquoi s’est-il exilé aux USA ? Quel a été le rôle des « frères » qui ont distrait ses travaux et ses thèses travaux ? Pourquoi au Cameroun personne n’a jamais voulu ouvrir le dossier du décès du professeur Tchundjang Pouemi ? Pourquoi les professeurs de sciences économiques camerounais qui savent presque tout sur le maquillage des travaux de Tchundjang Pouemi n’ont jamais rien dit et se contentent de faire circuler ses travaux sous cape en ayant pris soin d’effacer son nom? Voilà autant de questions que nous devons nous poser aujourd’hui au moment où beaucoup s’interrogent sur la place de l’intellectuel dans notre pays ? » Il va de soi que le livre de l’économiste n’était pas pour plaire. Il proposait que l’Afrique constitue sa propre zone monétaire, englobant l’ensemble des pays sous-développés du continent, mais totalement indépendante des autres ensembles monétaires du monde. Incompris, il a été assassiné, mais ses idées sont restées, et c’est bien vers la monnaie unique africaine qu’on chemine aujourd’hui, 40 ans après

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