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© Correspondance : Palabre Intellectuelle
- 14 May 2020 13:00:00
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CAMEROUN :: 2010 – 2020 : Dix ans de littérature africaine / Entretien avec le professeur Pierre Fandio :: CAMEROON
L’équipe de la Palabre Intellectuelle, qui s’investit depuis quelques années déjà dans la communication littéraire, a eu l’honneur de rencontrer le professeur Pierre Fandio, pour un entretien sur l’évolution de la littérature africaine ces dernières années. Attention, certaines réponses pourraient vous paraître inattendues. Pierre Fandio ne fait pas que répondre; il invite à la réflexion, il secoue par endroits les idées reçues, explique comment, si l’on avait été un peu plus curieux lecteurs, « peut-être que la situation que vit le pays depuis 2016 serait arrivée autrement ». Accrochez-vous!
Il y a eu beaucoup de mouvements dans les milieux littéraires africains au cours de la dernière décennie, et le Cameroun en particulier n’était pas en reste : festivals, rencontres poétiques et autres événements assimilés, sans parler des prix littéraires, dont les fameux Grands Prix des Associations Littéraires (GPAL) lancés en 2013. Quelle est votre opinion d’observateur avisé sur cette nouvelle dynamique ; peut-on parler de « boom littéraire » africain dans les années 2010 ?
Permettez-moi, avant de répondre à vos préoccupations, de dire mes encouragements aux initiateurs des GPAL, que vous faites bien de mentionner, pour leur dessein ô combien louable ! J’ai d’ailleurs eu l’honneur de participer moi-même à ce noble projet en qualité de membre du jury de l’édition de 2015, si mes souvenirs sont bons.
Pour revenir à votre question, il est incontestable que depuis le début des années 2000, le nombre de livres publiés par des Africains (femmes et hommes) aussi bien sur le continent qu’en dehors, a connu un essor quantitatif et même qualitatif jamais égalé. Le nombre de créateurs aussi. L’institution de la littérature africaine ou plutôt les tentatives d’institutionnalisation (endogène) de cette même littérature ont autant fleuri. Évidemment, il est encore trop tôt pour affirmer que cette arithmétique traduit une véritable lame de fond dont le but serait l’institutionnalisation effective de la littérature africaine sur un plan plus global. L’on peut relever que cette situation tient à plusieurs facteurs dont celui de l’offre foisonnante de moyens aussi bien humains que matériels et même immatériels de production, de diffusion, de consommation et même de consécration. On peut y revenir en détail plus loin, si vous le voulez. En attentant, l’on peut déjà remarquer pour s’en féliciter que votre association, ou si vous préférez l’équipe de la Palabre Intellectuelle en est une illustration !
Pour parler du cas spécifique du Cameroun, puisque vous l’avez expressément mentionné dans votre question, on peut dire à raison, ici aussi, que le pays de Francis Bebey est une « Afrique en miniature », tant il me semble illustrer cette dynamique, parfois faite de paradoxes. Le GRIAD, le Groupe de Recherche sur l’Imaginaire de l’Afrique et de la Diaspora que je dirige a d’ailleurs consacré une série de travaux à ce sujet, dont un collectif publié en 2018 sous le titre Écritures émergentes et nouvelles marges au Cameroun (Paris, Nouvelles du Sud). Dans cet ouvrage, nous constatons comment, de la fin de la première moitié du xxe siècle en ce début du xxie siècle, se sont mis en place les jalons, certes fragiles mais essentiels, pour l’avènement possible d’un champ littéraire relativement autonome au Cameroun. Nous expliquons combien des instances et des agents nouveaux (éditeurs, festivals, écrivains, libraires, salons, associations, ONGs, prix littéraires, cercles littéraires, etc.) qui ont récemment émergé dans le champ, semblent par ailleurs repoussés à la périphérie par les instances et les agents institués. La courbe des « écrivants », pour la même période, connaît une accélération similaire, avec en sus, une impressionnante créativité et une incomparable inventivité qui caractérisent désormais les langues « classiques » d’écriture que sont le français et l’anglais. Bien plus, le corpus de la littérature camerounaise contemporaine est, de plus en plus le fait, non seulement des éditions multilingues (français+ anglais; français+ langues nationales; etc.), mais aussi celui des langues proprement inattendues ou proprement exotiques: l’espagnol, l’allemand, l’italien, le chinois. Consultez l’ouvrage évoqué pour en savoir plus.
La production littéraire africaine s’est elle aussi montrée plus prolifique que par le passé, en termes de nombre de livres publiés. Les nouvelles technologies d’impression ont facilité et simplifié la fabrication du livre, au grand bonheur des éditeurs (affairistes pour certains) pas toujours exigeants sur le génie. Que faut-il faire, à votre avis, pour que la qualité suive la quantité ?
Cette question multiple, pour être abordée à fond, mériterait un plus long développement que ne peut permettre le cadre restreint d’une discussion à bâton rompu comme la nôtre. Cependant, je puis dire que, ce que l’on a jadis appelé « nouvelles technologies de l’information et de la communication » a effectivement mis à la portée du plus grand nombre, des moyens insoupçonnés deux décennies plus tôt. Ceci a eu pour effet, vous l’avez relevé, de faciliter, non seulement la fabrication, mais aussi la diffusion du livre. L’effet pervers mais prévisible de cette offre incomparable de moyens est que l’on peut désormais fabriquer tout et n’importe quoi, le baptiser « livre », tenter et parfois réussir à le diffuser et même carrément le canoniser sous ce « label » ! Vous l’avez constaté, ici et ailleurs ! Dans notre monde globalisé, plus que jamais, le faux médicament côtoie, sur le même marché, le vrai médicament dont il menace l’existence même ; l’office du charlatan jouxte celui du vrai guérisseur ou du médecin!
« Comment donc faire pour que le bon grain survive à l’ivraie ? », me demanderez-vous. Trop grande question pour de frêles épaules d’un « simple » chercheur ! La double question de la « qualité » du livre et du « génie » de l’auteur que vous énoncez plus haut n’est pas facile à trancher. Si la « qualité technique » d’un ouvrage par exemple est facilement cernable, celle du « génie » du créateur ainsi exprimé reste très ouverte. Car, elle est liée au temps, à l’espace, et même au-delà des deux paradigmes. Qu’est-ce qu’un « bon livre » ou « un livre de qualité »? Avons-nous seulement la garantie qu’un « bon livre » d’ici est aussi un « bon livre » là-bas ? Ou même qu’un « bon livre » d’aujourd’hui le restera demain ! De plus, un « bon livre » : est-ce celui qui est consacré par des prix littéraires (prestigieux ou pas) et d’autres instances du même genre ? Est-ce celui qui est plébiscité par les vacanciers, la presse, les parents, la morale, l’Église ou la Mosquée ? L’histoire enseigne qu’une réponse définitive à ces questions et à tant d’autres de même genre n’est pas possible. Des « lauréats » des prix prestigieux tombés dans le plus grand anonymat quelques années plus tard sont légion, même tout près de chez nous. Rappelez-vous la « carrière » de L’Homme –dieu de Bisso lauréat du Grand Prix Littéraire d’Afrique noire 1975…
Bien entendu Professeur, mais, en attendant que ces questions qui nous qui nous semblent tantôt d’ordre doctrinal tantôt d’ordre théorique, trouvent réponse, il faut pourtant faire quelque chose, agir…
Oui, en effet. Mais quoi ? Mais comment ? A mon humble avis, afin que, comme vous le dites si bien « la qualité suive la quantité », deux ou trois choses peuvent être tentées, sans garantie absolue de succès. La première consisterait à ne pas croire que censurer le « mauvais » livre est une panacée. D’abord parce que, avec les moyens de communication dont nous disposons aujourd’hui, c’est une mission techniquement quasi impossible. D’autre part, il va du livre comme de la peinture ou de la chanson, pour ne citer que quelques productions culturelles : l’interdiction a bien souvent produit un effet inverse à celui recherché. Elle a ainsi quelquefois été une publicité gratuite et a pu même sortir des navets de l’anonymat. Quelques auteurs et éditeurs que tous les observateurs attentifs peuvent identifier ici et là l’ont si bien compris qu’ils ont fait du scandale, un fonds de commerce. Vous me permettrez de ne pas citer des noms. Je pense d’ailleurs que le bon grain a parfois besoin de l’ivraie pour exister en tant que tel. En tout cas, je crois que, sous certaines conditions, la loi du marché pourrait aider à faire le tri. En outre, à y regarder de près, je dirais qu’il faut même accorder une oreille attentive à ces « mauvais » livres et à ces « mauvais » auteurs, ne serait-ce que pour essayer de comprendre pourquoi et comment ils en arrivent à fonctionner comme ils le font. Ce faisant la communauté se mettrait en capacité de construire des contre discours formels ou non, pour « rétablir la vérité ». En me risquant à une comparaison et en gardant présent à l’esprit que « comparaison n’est pas raison », et pour parler de la situation du champ littéraire camerounais qui vous intéresse, je vous renverrai à un article que j’ai commis il y a une dizaine d’années. En effet, dans « La littérature camerounaise d’expression anglaise : heurs et malheurs d’un champ culturel en constitution » je constatais, en interrogeant la socialité de la littérature camerounaise d’expression anglaise, que des origines jusqu’au tournant des années 2000, plus de 75% de la production était le fait d’éditeurs de fortune. Je faisais le lien entre ce fait et un certain nombre de « problèmes » de ce segment du champ culturel national dont la maîtrise même du code lingusitique (l’anglais) par des écrivains, n’était pas des moindres. En questionnant l’implication socio pragmatique d’un certain nombre de ces textes, je relevais comment, sur le plan idéologique, l’extrémisme exalté par une franche abondamment glosée (notamment à l’université) de ladite production avait inscrit l’insurrection sanglante non comme une simple possibilité, mais comme une probabilité voire une option très sérieuse, pour « la » solution d'un mal-être identifié. Peut-être que si l’on avait « lu » un certain nombre de ces « livres » bricolés à la va-vite, dans l’arrière-boutique d’une imprimerie clandestine et en marge des exigences minimales en la matière (qualité technique déplorable, ISBN, date d’édition introuvables, etc.), peut-être que la situation que vit le pays depuis 2016 serait arrivée autrement. Je le répète : « comparaison n’est pas raison ».
Merci Professeur. Nous étions là à la première « solution » possible…
La deuxième chose à faire serait d’éduquer et de sensibiliser les acteurs de la chaîne du livre sur leur responsabilité dans le processus de construction d’un monde où un certain nombre de valeurs partagées, doit rester, en toutes circonstances, le socle de toute vie en communauté. Je pense ici au diffuseur, mais aussi et surtout au consommateur final, le lecteur qui doit pouvoir être (mis) à même de déterminer, en toute conscience, ce qui peut être dit « bon » livre ou « auteur de génie ». Car, c’est bien lui ici, comme dans toute chaîne de communication, qui donne vie au message en le décodant. Je garde évidemment présent à l’esprit que cette « solution » n’a aucun caractère absolu, prise toute seule. Rappelons-nous combien, jeunes élèves, nous donnions des cheveux blancs à nos parents en préférant San Antonio à Émile Zola ou à Mongo Beti. Quand on sait combien la « paralittérature » d’hier est devenue « littérature »… Il faut donc raison garder ici aussi.
L’une des autres actions et non des moindres que la communauté doit sérieusement penser, c’est d’aider d’une manière ou d’une autre, les professionnels du secteur à devenir de vrais professionnels du livre. Un minimum d’organisation permettrait possiblement de réduire la proportion des « mercenaires » dans une profession comme celle d’éditeur. À cette heure, il nous est, dans notre pays, bien difficile de déterminer dans les faits qui est éditeur et qui ne l’est pas. Or, si l’on prend l’exemple d’une profession comme celle d’avocat dans notre pays, nul ne peut plaider devant les cours et tribunaux, s’il n’est membre du barreau. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour celle d’éditeur ? Bien sûr, « comparaison n’est pas raison », une fois de plus. Mais, on ne perd rien à essayer. De plus, à bien y regarder, les pouvoirs publics, en Afrique peuvent s’inspirer intelligemment de ce qui se passe ailleurs, et même (pourquoi pas ?), faire mieux. D’ailleurs, pour ne parler que d’un pays comme le Cameroun, si des dispositions d’un certain nombre de textes législatifs étaient exploitées avantageusement, elles pourraient contribuer à faire sortir un certain nombre d’acteurs de la chaîne du livre du maquis. Ici, je pense notamment à certaines dispositions de la loi n° 90/052 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté de communication sociale, la loi N°2003/013 du 22 décembre 2003 relative au mécénat et au parrainage ou le décret présidentiel no 2001/389 du 05 décembre 2001 créant un compte spécial d’affectation pour le soutien de la politique culturelle. Une enquête conduite en 2013 alors que je préparais une communication intitulée « Médias et culture au Cameroun à l’ère de la démocratisation » à présenter au colloque Les Médias au Maghreb et en Afrique subsaharienne. Formes discursives, publics et enjeux démocratiques (tenu à Bern), indiquait que plus de la moitié des « éditeurs » camerounais ne respectaient pas le dépôt légal pourtant prévu par la loi de 1990. Moins d’un éditeur sur quatre avaient pensé à bénéficier des dispositions de celle de 2001. D’aucuns ignoraient même l’existence de nombre de textes qui régissent la profession…
Pour aller plus loin sur cet aspect de votre question, vos lecteurs pourraient toujours, entre autres, se reporter à ma communication « Et si le développement du « continent noir » passait par la production et la consommation locales du livre ? » (Frédérique Toudoire-Surlapierre et Ethmane Sall (Ed.), Les Francophonies « noires ». Histoire, mémoire, couleur, culture et identité. (Lit Verlag, Berlin-Münster- Wien- Zürich-London, 2018.) S’inspirant des échanges avec des acteurs de la chaîne du livre au Cameroun, l’article fait des propositions concrètes applicables en contextes africains. Ma conviction, sur ce point, est que seule la professionnalisation des vrais acteurs du secteur, aidés en cela par la communauté les pouvoirs publics, permettra de repousser à la marge et même hors de la profession ceux que vous avez si justement appelés, à la suite de Marcellin Vounda Etoa (Livre et manuel scolaires au Cameroun. La dérive mercantile (2016)) des « affairistes ». Car, aujourd’hui, et je parle d’expérience, les éditeurs au sens où on entend ce vocable ailleurs sont une espèce extrêmement rare dans notre paysage culturel.
Voilà ce que je pouvais dire pour essayer de répondre à votre question, en m’excusant d’avoir été un peu long…
En parlant de nouveaux auteurs africains, d’après quelques indiscrétions des organisateurs du Prix Nnanga Kon, le nouvelliste Fritz Bell serait bien parti pour être le nouveau lauréat, avec son recueil de nouvelles intitulé Broutilles. Faut-il féliciter l’auteur, ou auriez-vous une autre façon de voir les choses, notamment pour ce qui est des récompenses littéraires ?
Je ne sais pas si j’ai bien compris votre question. Je me dois de féliciter et d’encourager les organisateurs du Prix Nnanga Kon, comme toutes les autres initiatives de ce genre d’ailleurs. Car, c’est à nous Camerounais, nous Africains, de reconnaître et d’honorer nos artistes. Je puis ajouter d’expérience qu’un prix, si peu connu soit-il, fait toujours plaisir à celui qui le reçoit. Qui plus est, s’il provient des siens, c’est le comble de bonheur pour un créateur, si je m’en tiens à ce qu’en disent un certain nombre de lauréats des divers prix littéraires d’ici et d’ailleurs. Je ne peux donc que féliciter très chaleureusement Fritz Bell, le nouveau lauréat du Prix Nnanga Kon et souhaiter que ce prix passe l’épreuve du temps. Parce que, vous l’avez sûrement remarqué, chez nous, trop peu de revues et de prix littéraires fêtent plus de cinq anniversaires. Les « Prix El Hadj Ahmadou Ahidjo», « L’Intellectuel de l’année », « Livre de l’année », « Les Épis d’Or » et tant d’autres prix n’auront ainsi finalement vécu que le temps d’une rose…
Pour terminer, j’ajouterai que je serais vraiment heureux le jour où, dans notre pays et dans notre continent, il y aura une quantité et une qualité d’instances de légitimation réellement à la hauteur des talents dont regorgent le Cameroun et l’Afrique.
La question de l’extrême monopolisation de la littérature d’expression française par la France et notamment par sa capitale Paris continue de poindre dans les milieux littéraires à travers le monde francophone. Certains auteurs ne supporteraient plus d’être regardés comme des écrivains de seconde zone, juste parce qu’ils n’ont pas été édités à Paris, ou remporté un prix littéraire basé en France, fût-il (ce prix) supposément africain. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est un secret pour personne : Paris ou la France en général, lutte pour demeurer le « centre de basse pression littéraire » pour emprunter le fin mot de Robert Escarpit, afin d’attirer et de capter toute la littérature francophone. Cette situation de quasi-monopole charrie un prestige sans prix, une puissance diplomatique (on parle du soft power) sans pareille, mais aussi, une puissance économique réelle. Pour ne parler que de ce dernier aspect, voici quelques chiffres qui doivent nous faire réfléchir. En 2014-2015, l’industrie culturelle dont relève le secteur dont nous parlons était le troisième employeur européen, générant 4,2 % du PIB européen. 90 % de la création de valeur provenait du secteur privé alors que le secteur a continué à voir le nombre de ses emplois croître de 0,7 % pendant les années de crise (de 2008 à 2012). Or, pendant la période, l'Union Européenne dans son ensemble perdait des emplois au même rythme, dans l’ensemble des secteurs. Aucun pays, aucune ville dans cette situation, ne ferait moins que ce que fait Paris ou la France, sans être irresponsable. Ne comptez donc pas sur moi pour ajouter ma voix à celles du chœur de pleurnicheurs dont la seule action et le seul « mérite » consistent à se lamenter de ce que la France, les Blancs, le Grand Capital, le Diable, etc. nous prennent nos meilleurs écrivains, nos meilleurs chanteurs, nos meilleurs médecins, nos meilleurs chercheurs. Nous savons pourquoi ils le font. Nous savons comment ils le font. Libre à nous d’apprendre à le faire ou non. Trêve de jérémiades!
Si Buea, ma ville de résidence ou Yaoundé la capitale de mon pays était dans la même situation, je ferais tout pour que rien ne change ou alors pour que plus d’écrivains encore, plus d’éditeurs, plus de libraires, etc. y viennent et s’y installent. Pour le plus longtemps possible. Pour toujours! C’est de bonne guerre ! Cette situation ne pose donc aucun problème ni à Paris en particulier ni à la France en général, comme nous le voyons. Au contraire!
Pouvez-vous nous expliquer mieux…
Nous devons apprendre à poser les bonnes questions! Cet état de fait arrange-t-il autant les agents des « champs périphériques » francophones dont vous parlez? Une question qui en induit mille autres ! Combien tous écrivains africains sont-ils vraiment heureux d’être édités et consacrés en France ? Étant entendu que « qui paye contrôle », combien des écrivains ainsi consacrés se soumettent-ils consciemment ou inconsciemment à la loi de l’offre et de la demande au point de devoir poser un regard exotique sur les réalités de l’Afrique afin de contenter leur horizon d’attente ? Combien cette situation de dépendance culturelle est-elle ou n’est-elle pas souhaitée et encouragée par des dirigeants africains. Combien cette situation n’arrange-t-elle pas les uns et les autres ? Quand on sait combien le champ littéraire est un champ de pouvoir, combien cette situation peut-elle être compatible avec l’ambition d’un champ littéraire africain/camerounais qui aspire à un minimum d’autonomie ?
Voilà, en une comme en mille questions « philosophiques », posée la seule et vraie question, celle de notre indépendance culturelle. Cette dernière demeure, comme le pensait si pertinemment René Philombe, un préalable à toute indépendance politique ou économique, un impératif catégorique. C’est à nous de trouver ici et maintenant, des réponses pertinentes à cette question fondatrice et des actions conscientes pour mettre en œuvre lesdites réponses. En tout cas, nous savons tous (désormais) ce qu’il faut faire ou alors ce qu’il ne faut pas continuer à faire ! Mongo Beti disait : « Toute communauté qui ne s’est pas dotée d’institutions littéraires qui lui appartiennent en propre, qu’elle soit en mesure de contrôler à l’exclusion des tiers étrangers si bienveillants soient-ils, doit s’attendre à ce que ses écrivains se mettent d’une façon ou d’une autre au service d’organisations mieux pourvues, certes, mais en dernière analyse, hostiles. » Je n’ai rien à y ajouter!
Un dernier mot, d’encouragement, ou de remerciement peut-être, à l’endroit des auteurs, des éditeurs, des associations littéraires, des mécènes et des sponsors qui, à l’instar de la SABC (Société Anonyme des Brasseries du Cameroun), continuent d’apporter leur soutien à la littérature camerounaise et africaine en général ?
En tant que acteur (mineur il va sans dire) de notre champ littéraire en construction, je soutiens sans réserve, à mon modeste niveau, toute initiative dont le but est de donner de la visibilité à notre culture. Aussi c’est avec un enthousiasme renouvelé que je vous encourage, vous, l’équipe de la Palabre Intellectuelle qui œuvrez pour la communication littéraire, mais aussi les GPAL, à aller de l’avant. Je n’oublie pas les mécènes, les sponsors comme la SABC qui mérite à ce titre d’être mentionnée. La culture camerounaise en général et la littérature en particulier, sera ce que nous, les acteurs du champ de référence, voudrons qu’elle soit. Et dans cet immense chantier, aucun bras ne sera de trop. Je ne peux que vous conseiller, par exemple, d’exploiter au mieux un certain nombre de dispositions qui existent dans des textes plutôt éparpillés à mon sens, sur la culture au Cameroun (j’en ai cité un ou deux plus haut). J’ajouterai, pour terminer, que l’université camerounaise est très riche en chercheurs favorables au développement de notre culture. Vous ne devez donc jamais hésiter à envisager avec eux, des partenariats mutuellement bénéfiques. En tout cas, moi je suis à votre disposition, comme vous avez pu le remarquer, chaque fois que cela est possible.
Une fois de plus, bon courage pour ce que vous réussissez à faire pour notre littérature, avec le peu de moyen dont vous disposez, mais aussi avec beaucoup de cœur.
Nous vous remercions Professeur.
(1)Pierre Fandio « La littérature camerounaise d’expression anglaise : heurts et malheurs d’un champ culturel en constitution » http://mondesfrancophones.com/espaces/afriques/%c2%ab-la-litterature-camerounaise-d%e2%80%99expression-anglaise-heurts-et-malheurs-d%e2%80%99un-champ-culturel-en-constitution-%c2%bb/ (publié le 07/03/2011).
Notice bibliographique :
Professeur titulaire des universités, Pierre Fandio est détenteur d’un Doctorat en Littérature africaine de l’Université de Yaoundé, d’un Doctorat en Littérature comparée de l’Université Stendhal - Grenoble 3 et d’une HDR (7et 9e sections du CNU) de l’Université de Franche-Comté à Besançon. Chercheur associé à divers Laboratoires et Centres de recherche africains, américains et européens. Il a publié une centaine communications scientifiques et dix ouvrages scientifiques. Il dirige le GRIAD, Groupe de Recherches sur l’Imaginaire de l’Afrique et de la Diaspora à l’Université de Buéa. Il a récemment publié son premier roman, La Promesse de Malingo, Yaoundé, CLE, 2019.
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