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© lepoint.fr : Junior Malula
- 05 May 2020 17:06:00
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RD Congo : Covid-19, révélateur d'églises :: CONGO DEMOCRATIC
Comment la pandémie révèle le départ entre l'Église catholique et les institutions évangéliques dans leur rapport au pouvoir et aux populations.
La scène se déroule le 18 mars. La vague du nouveau coronavirus commence à déferler sur Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo. Le président de la République, Félix Tshisekedi, annonce en direct à la télévision la fermeture des écoles, des discothèques, des bars, des restaurants, mais surtout des églises et des mosquées jusqu'à nouvel ordre sur l'ensemble du territoire. Du jamais-vu dans ce pays de 90 millions d'habitants qui compte une grande majorité de croyants. Si l'Église catholique s'est rapidement positionnée dans la lutte contre le Covid-19, la concurrence est plus rude entre les structures plus petites. Et comme en Amérique latine, notamment au Brésil ou aux États-Unis, des divergences sont apparues plus ou moins subtilement avec les églises évangéliques qui ne cachent pas leur scepticisme face à la réalité de l'épidémie.
Le Covid-19, une punition de Dieu ?
Le pasteur Gédéon Kieleka de l'église Victoire bénie n'y va pas par quatre chemins : il fustige franchement une stratégie « du diable » pour empêcher les chrétiens de se rapprocher de « Dieu ». Depuis son temple dans la commune de Kasavubu au centre de Kinshasa, l'homme de Dieu regrette que les autorités ne comprennent pas « les signes du temps », avance-t-il, jugeant les décisions du gouvernement hâtives. « Nous sommes conscients de l'ampleur de la maladie, mais fermer les églises alors que cette pandémie nécessite que l'on consacre Dieu par les prières de masse est une erreur. »
Ce scepticisme est partagé par d'autres responsables d'églises habitués à rassembler chaque dimanche des milliers de fidèles. Ainsi il n'a pas été rare de voir la police intervenir par moments. « Nous avons constaté avec regret le refus de certains pasteurs de respecter les mesures barrières prises par les autorités du pays sous prétexte que le coronavirus est une punition de Dieu envers les pays qui ont légalisé la pratique du mariage homosexuel, ces pasteurs devraient voir la réalité en face », déplore Hervé Kwetila, 19 ans et étudiant en sociologie à l'université de Kinshasa. L'archevêque de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo, une voix qui fait autorité dans le pays, a tenté l'apaisement : « Il ne faut pas croire que le Covid-19 est une punition de Dieu, plutôt une occasion d'expérimenter la proximité de Dieu dans notre vie. »
Gaston Kayembe, fidèle de l'église Assemblée chrétienne de Kinshasa, ne partage pas l'avis du prélat. Il avance des motivations plus prosaïques. « Il est injuste de comparer l'Église catholique romaine aux autres églises. L'Église catholique est bien structurée, organisée et a des activités génératrices à travers le pays, tandis que nos églises vivent de la générosité de leurs fidèles. »
L'Église catholique, une institution de première importance
Ainsi, dès le 19 mars, la Conférence épiscopale congolaise sous les auspices de son président, Mgr Marcel Utembi, a immédiatement invité les fidèles à appliquer scrupuleusement les mesures annoncées par le gouvernement : « Nous exhortons le Peuple congolais à prendre conscience que le coronavirus est une maladie tout aussi dangereuse qu'Ebola. Il est important que chacun de nous participe à son niveau à la riposte contre cette pandémie », avant d'appeler les prêtres et les consacrés à éviter les rassemblements religieux pour privilégier les célébrations en petit comité.
La RDC est le plus grand pays catholique d'Afrique. Selon le dernier rapport du cabinet d'étude « Target » sur les églises en RDC, plus de 93 % des Congolais se déclarent chrétiens, avec 42 % de catholiques, 25 % de protestants, 15 % d'adeptes des églises évangéliques dits de « Réveil », 4 % de pentecôtistes et 1 % de kimbanguistes. Avec ses 1 447 paroisses réparties en 47 diocèses disséminés à travers le pays, l'Église catholique joue un rôle de premier plan.
Pour Roger Iwaka, l'investissement énergétique de l'Église catholique dans la lutte contre le Covid-19 trouve son explication dans l'histoire : « Si l'Église catholique est tant présente, c'est qu'elle est la seule institution à disposer d'une organisation unifiée sur l'ensemble du territoire depuis la colonisation. Et la propagation de cette pandémie ne peut que mettre à mal ses intérêts à travers le pays, d'où sa réaction rapide contrairement aux autres églises », explique cet expert en théologie au sein de l'Université catholique du Congo.
L'Église catholique est allée plus loin en suppléant la faiblesse de l'État depuis de longues années. Notamment à travers son organisation, Caritas. Selon les estimations, depuis la signature d'une convention en 2011, où l'État a délégué à l'Église par l'intermédiaire de Caritas, l'organisation la paye des enseignants du primaire et du secondaire dans les zones rurales. À ce jour, elle administre entre 40 et 60 % des écoles et des services de santé, privés comme publics.
L'institution catholique est aussi en première ligne dans l'accès à l'information lors de crises humanitaires. Guy-Marin Kamunji, chargé de communication au sein de Caritas, explique comment l'organisation concourt à la « promotion et au développement intégral de l'homme, c'est-à-dire secours d'urgence, œuvres médicales et projets de développement communautaire ». « Par exemple à Kinshasa, nous avons procédé à la distribution des affiches, dépliants, flyers portant sur les gestes barrières », a fait savoir l'homme de communication de cette structure humanitaire de l'Église catholique. Et de conclure que « la Caritas projette dans un futur proche la distribution des lave-mains avec savons liquides et des solutions hydroalcooliques aux personnes isolées et aux orphelinats ».
Une proximité d'avec le pouvoir qui interroge
Au-delà de ce rôle social, l'Église s'est imposée depuis l'indépendance du pays en 1960 comme un acteur politique central. Récemment encore, elle a joué un rôle d'arbitre dans le long processus électoral qui a mené à la première transition pacifique du pays. Les Congolais l'ont gardé en mémoire.
Ce partenariat historique entre l'autel et le pouvoir en RDC se justifie encore aujourd'hui par la nomination par le président Tshisekedi du puissant archevêque de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo, au poste de coordonnateur du Fonds de solidarité nationale contre le Covid-19. Ce dernier est secondé par le pasteur André Bukondoa, président de l'Église du Christ du Congo (ECC, protestant), et Sony Kafuta, représentant des églises évangéliques dit de Réveil. Ce fonds doit être financé par l'État, les entreprises publiques ou privées et les bailleurs de fonds.
Mais cette fois, l'Église catholique serait-elle allée trop loin ?
En tout cas, des voix se sont élevées à travers le pays demandant à l'archevêque de Kinshasa de renoncer à cette responsabilité qui serait « un piège » tendu par l'actuel pouvoir pour le décrédibiliser. Face à cette inquiétude, l'abbé Puis Kalama, secrétaire exécutif à la Commission épiscopale pour les affaires juridiques à la Cenco, affirme que « la crainte manifestée par les uns et les autres par amour pour la réputation de notre pasteur est normale. Mais une bonne prestation et gestion rigoureuse de cette coordination augmenteront davantage sa crédibilité ». Rien n'est moins sûr. D'autant plus que la discorde au sein de l'épiscopat n'est plus un secret dans la grande RDC.
Depuis la publication de ses propres résultats de la présidentielle, la Cenco a perdu un peu de sa crédibilité. Il y a quelques jours, c'est l'ensemble des différentes confessions religieuses de la République démocratique du Congo qui ont refusé « la gestion au quotidien » de l'argent public du Fonds national de solidarité contre le Covid-19. Ils l'ont annoncé vendredi 1er mai dans un communiqué. Ils estiment que « les modalités » de leur participation « s'avèrent incompatibles avec leur statut de chefs spirituels. Il s'agit surtout de leur implication dans la gestion au quotidien des fonds publics. » À la place, les confessions religieuses proposent de modifier l'ordonnance présidentielle pour leur permettre d'animer « un conseil consultatif » qui « fera régulièrement le suivi de la gestion du FNSCC et donnera ses avis au président de la République pour la bonne gestion des fonds et matériels récoltés. »
Les églises évangéliques jouent leur légitimité
Dans cette querelle, les églises évangéliques se sont faites plus discrètes. Ne voulant pas apparaître au premier rang d'une bataille dans laquelle elles ne pourraient pas gagner grand-chose. Il faut savoir qu'au Congo, il existe une vraie différence entre les grandes églises évangéliques qui ont suivi les recommandations de l'État et les plus petites structures souvent entre les mains de pasteurs plus à la tête d'entreprises spirituelles. Ces derniers multiplient les cérémonies privées, les séances d'adoration, pour récolter les dons ou dîmes qui les font vivre, eux et leurs familles. En théorie, chaque fidèle doit verser 10 % de ses revenus à l'église et au pasteur. Afin de contourner cette situation inédite, tous ont mis le cap sur Internet. Ceux qui ont plus de moyens passent par la radio et la télévision.
Des pasteurs formés à l'évangélisation 2.0
Les réseaux sociaux sont devenus le catalyseur par excellence des pasteurs et autres apôtres 2.0 pour garder le contact avec leurs fidèles et assurer les services religieux : « Beaucoup de ceux qui sabotaient ces canaux ont été obligés de suivre une formation accélérée d'utilisation des réseaux sociaux. Très peu passent leurs prêches à la télévision, canal coûtant cher, étant donné que les fidèles sont confinés chez eux, difficile de réunir les moyens nécessaires pour les besoins de la cause », explique Jonathan Mulay, professeur de religion dans un lycée à Kinshasa. Facebook, WhatsApp, BBM, Instagram, Twitter, YouTube : tout est bon pour faire passer son message. Et pourquoi pas atteindre le but, celui de recevoir un transfert M-Pesa, Orange Money ou Airtel Money, c'est selon.
L'initiative des pasteurs et prêtres est saluée par tous, sauf qu'en RDC, tout le monde n'a pas d'accès à Internet. Le wi-fi est encore très rare dans la plupart des foyers, sans compter que le coût d'une recharge peut vite grimper. Pour Jonathan Mulay, il n'y a pas vraiment de surprise « tout au long de leurs prédications sur les réseaux sociaux, l'accent est plutôt mis sur la prise en charge de ces hommes de Dieu. Mais personne ne s'inquiète vraiment du sort de ces mêmes chrétiens confinés chez eux, qui ne peuvent ni bouger ni travailler pour trouver la dîme et toutes sortes d'offrandes comme en temps normal. Les difficultés provoquées par le coronavirus fragilisent les pasteurs et les croyants. Et toute forme de demande risquerait d'être considérée comme un harcèlement religieux. »
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