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© rolandtsapi.com : Roland TSAPI
- 13 Mar 2020 03:57:00
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André Marie Mbida, l’inconnu premier chef d’Etat camerounais :: CAMEROON
L’Etat autonome du Cameroun, on en parle peu, mais c’est bien la première appellation de ce qui est aujourd’hui appelé république du Cameroun. Etat autonome du Cameroun, parce que c’est le premier statut acquis par le Cameroun dans son processus vers l’indépendance, quand les gouverneurs français ont pour la première fois laissé la direction de l’Etat à un Camerounais, considéré comme le premier chef de l’Etat camerounais, c’était en 1957 et ce premier chef de l’Etat camerounais s’appelait André Marie Mbida.
Il est né le 1er janvier 1917 à Endinding par Obala dans le département de la Lekie, région du Centre, fils du chef traditionnel Simon Monbele Ongo Nanga, chef de Ngo Lougou et Edinding. Etudes primaires à l’école primaire d’Éfok, au petit séminaire d’Akono de 1929 à 1935 et Plus tard au grand séminaire de Mvolyé de 1935 à 1943, il s’initie à l’étude de la philosophie et de la théologie. Il songe un temps à rentrer dans les ordres, mais, après son départ du séminaire, il devient directeur de l’école rurale de Balessing dans le département de la Menoua Région de l’Ouest en 1943. Après avoir complété sa formation par des études juridiques, il exerce la fonction d’agent du trésor à Yaoundé en 1945 durant une année, puis devient agent d’affaires.
Engagement
Très tôt il se voue à la cause des travailleurs et paysans du Cameroun et combat dans sa région d’origine pour la promotion culturelle dans le mouvement traditionnel nommé Anacsama. Ce qui l’amène logiquement à militer dans un parti politique, il choisit le Bloc démocratique camerounais(BDC), le parti fondé par Louis-Paul Aujoulat et affilié au MRP. En 1952, il a 35 ans quand il est élu à l’Assemblée territoriale puis est désigné conseiller de l’Union française le 10 octobre 1953.
Ses idées progressistes ne siéent pas à Aujoulat et la rupture entre les deux ne tarde pas à être consommée. À la suite des sanglants événements de mai 1955, réprimés par l’administrateur colonial Roland Pré et marqués par la dissolution des mouvements nationalistes camerounais suivi de l’emprisonnement massif de militants nationalistes, il participe à la campagne pour l’amnistie des prisonniers politiques.
André-Marie Mbida se présente aux élections législatives du 2 janvier 1956 dans la troisième circonscription du territoire. Il bat Charles Assalé et Louis Paul Aujoulat, pour devenir le premier Camerounais natif à être élu député à l’Assemblée nationale française par le collège de statut personnel. Le 16 avril 1957, le Cameroun devient un État autonome. Il faut un Premier ministre Camerounais.
Pierre Messmer le haut-commissaire de France Cameroun hésite entre lui et Ahidjo, mais le 12 mai 1957, il est officiellement désigné Premier ministre, premier chef de gouvernement et chef de l’État de facto du Cameroun autonome de langue française, le tout premier chef de l’État du Cameroun. Se sentant déjà dans la peau d’un chef d’Etat, il développe une dent dure contre les nationalistes de l’Upc et demande à la France de prendre les mesures les plus sévères pour les réprimer.
Opposition farouche aux méthodes coloniales
Mais d’un autre côté il milite pour une véritable autonomie interne en affrontant ouvertement les Français dans leurs méthodes. C’est ainsi qu’il décide de mettre fin à la ségrégation raciale qui a lieu dans les quartiers où vivent les Blancs et dans les bistrots qu’ils tiennent. Il ordonne aux colons de retirer de leurs cafés les affiches plus qu’offensantes qu’ils y ont apposées et qui portent la mention « interdit aux chiens et aux Noirs ».
Tout colon accusé de racisme est aussitôt expulsé sur son ordre du territoire camerounais, dès qu’il en est informé. Ainsi en quelques mois seulement de pouvoir, André-Marie Mbida procède à l’expulsion de plus de Français qu’il n’y en a eu en 49 ans d’indépendance. Il croise également le fer avec le clergé catholique du Cameroun aux mains des Français. En sa qualité d’ancien séminariste, il affronte les prêtres blancs sur la question de la camerounisation du clergé. Il est ainsi l’initiateur du mouvement qui aura consisté à désigner des curés camerounais dans les paroisses. En compagnie de 15 députés de son groupe parlementaire, il crée le Parti des démocrates camerounais, et les relations avec le colon français se compliquent.
Alors que l’Élysée lui demandait d’avaliser l’idée de l’octroi d’une « certaine indépendance » au Cameroun à très brève échéance, il s’en offusqua profondément en déclarant « (…) ça veut dire quoi, une certaine indépendance ? Soit c’est l’indépendance, soit ça ne l’est pas… Il ne saurait y avoir de semi-indépendance ou de semblant-indépendance (…) A propos de cette attitude, l’écrivain et homme politique Enoh Meyomesse explique : « Cette réaction d’André-Marie Mbida, naturellement, ne plaît pas du tout au gouvernement français. Dans l’esprit de ce dernier, il est question d’accorder au territoire associé du Cameroun, une indépendance en paroles, vidée de tout son contenu. Pour le Premier ministre camerounais, il n’en est pas du tout question. »
Le 24 octobre 1957, il introduit à l’Assemblée législative du Cameroun, un projet de loi portant création d’un emblème de l’État du Cameroun. Deux jours plus tard il dépose un autre projet de loi portant sur l’adoption de l’hymne officiel « Chant de ralliement », de la devise du Cameroun « Paix, Travail, Patrie », et de la fête nationale « le 10 mai date de la première séance de l’Assemblée législative du Cameroun » à la place du 14 juillet, date de la fête nationale française. Les écrits précisent que le Cameroun sous tutelle n’avait pas à disposer, ni d’un hymne à lui, ni d’une devise, ni d’un drapeau, différents de ceux de la France.
De même, d’après les accords de tutelle du 13 décembre 1946, l’administration française devait laisser flotter le drapeau de l’Organisation des Nations unies sur les bâtiments administratifs au Cameroun. Elle n’a pas respecté ce principe en faisant flotter uniquement le drapeau français. A tout cela, André Marie Mbida voulait mettre de l’ordre, et comme de coutume, la France ne veut pas des têtes fortes dans les colonies. C’est le début de ses problèmes
Ecarté des affaires
En février 1958 le nouveau haut-commissaire de la République, Jean Ramadier qui ne restera en fonction que deux semaines avant d’être rappelé par Paris, conduit contre lui un coup de force : dépôt de motions de censure contre le gouvernement Mbida, refus d’entériner le remaniement gouvernemental de Mbida après la démission d’Ahidjo de la coalition parlementaire, dons de 200 000 francs CFAà tous les parlementaires camerounais qui se ligueront contre Mbida.
La manœuvre aboutit à son remplacement le 18 février par Ahmadou Ahidjo plus docile, à qui sont confiées les rênes du pays mais qui reste sous haute surveillance par ces français. Ahidjo, qui était au début son ami et ex vice-Premier ministre de son gouvernement, a voulu l’intégrer dans son premier gouvernement, mais, comme il était en désaccord avec la politique extrêmement pro-française d’Ahidjo, il refusa et s’exila pendant un temps.
Quand Ahidjo engage son processus pour absorber tous les partis politiques, il s’y oppose, ce qui lui vaut la prison avec 3 autres camarades de lutte avec qui il avait créé le Front national unifié (FNU). Ils furent arrêtés et incarcérés dans le Nord-Cameroun. Cette détention provoque une dégradation physique importante chez Mbida : il tombe malade et devient pratiquement aveugle. À sa sortie de prison en 1965, il est placé en résidence surveillée. Il lui est tout de même permis de repartir en France se faire soigner, on est en 1966. De retour au Cameroun deux ans plus tard, il est de nouveau mis en résidence surveillée à Yaoundé du 3 août 1968 au 30 mai 1972. André-Marie Mbida refusa de souscrire à l’idée de parti unique et jusqu’à sa mort, le PDC refusa de s’intégrer à l’Union camerounaise et plus tard à l’Union nationale camerounaise. Il abandonna pratiquement la vie politique. Les derniers moments de sa vie furent quelque peu pénibles car faits de solitude.
En 1980, il connaît une nouvelle évacuation sanitaire, mais meurt aveugle à l’âge de 63 ans, des suites de tous ces sévices, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 2 mai 1980 où il avait été admis deux semaines auparavant. Il fut enterré dans l’anonymat total, tout comme le sera plus tard son successeur. Un autre camerounais tombé en disgrâce au point de perdre sa vie, pour avoir simplement pensé plus à son peuple qu’aux intérêts français.
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