Yaoundé: on rencontre le sous-développement par les chemins qu’on emprunte pour l’éviter
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Dans mon ancienne vie, je passais beaucoup de temps au bar, épicentre de la socialisation camerounaise, temple du kongossa et des infos déguisées en kongossa, pouls de la République reconnu d’utilité publique. Le bar est hélas devenu le temple de la résilience camerounaise. La résilience, le nom scientifique du « on va faire comment ? », mantra de la fatalité empreinte de lâcheté, qui fait qu’on attend, on supporte, on plie autant qu’on peut, en priant pour ne pas rompre.

Avant, on allait au bar pour parler, s’exprimer, s’indigner. De nos jours, ce haut lieu de libération de la parole et devenu un temple de l’abrutissement collectif, un lieu qui m’énerve, comme une permanence du parti unique.

Au lendemain du nouvel an dernier, je décide de faire fi de mes anciennes habitudes. Exit le bar prolétaire, exit la bière du lendemain de fêtes, censée virer la gueule de bois. Direction un hammam, excellent moyen, il paraît, pour éliminer les toxines et fluidifier le sang encrassé par les excès de fin d’année. Qui va se négliger ?

Ça tombe bien, il y en a un pas loin de chez moi. Je prends rendez-vous. Accueil étrange dans les locaux de l’établissement où paressent quatre lianes en uniforme. Mon bonjour glisse sur les trois premières sans faire de bruit ni obtenir de réponses, personne n’aime bosser un 2 janvier. La quatrième, maugrée un charabia inaudible et se lève en tchuipant du regard pour s’occuper de moi.

Je paye. Vestiaires. Une charlotte en plastique sur mes dreads, un string jetable entre les fesses, je me contemple dans le miroir. Le comble du ridicule. L’homme finit mal hein…

La jeune femme m’attend devant la cabine, chewing-gum de l’ennui dans la bouche, regard carnassier, on se croirait dans les bas-fond de Pattaya, je resserre le peignoir autour de ma micro bedaine.

Môôôssieur, il y a le savon noir hein ? Ce-disant elle me tend une boite pleine d’un liquide visqueux et marron.

C’est bon pour la peau. Ça ouvre les pores.

Au point où j’en suis… Je prends la boîte, qui je le découvre au passage, n’est pas gratuite. Mbout na sick.

Je suis seul. Peignoir évacué, je rentre dans la cabine.

Un nuage de vapeur me souhaite la bienvenue. Je m’installe. Tout en enduisant mon corps de savon, je fais peu à peu le vide dans mon cerveau. Un vide vite chassé par des pensées moroses qui me rattrapent. Je repense à l’année écoulée…

Le conflit sanglant dans les régions dites anglophones, les arrestations d’acteurs politiques, le simulacre de lutte contre la corruption, la loi antiterroristes dont les abus font tant de victimes, les compatriotes égorgés en silence par boko haram, les chantiers routiers jamais terminés, les chantiers terminés jamais fonctionnels, la CAN des voleurs, le déficit énergétique, l’indifférence des camerounais face à tout ceci…

On dirait que mon esprit fait tout pour aller pêcher les pensées les plus sombres, au point où je suis obligé de m’ébrouer pour m’en débarrasser. Mon frère, tu es le Roi ? Lui-même s’en fiche…

C’est à ce moment que je remarque que la vapeur est de plus en plus épaisse et la température grimpe rapidement. Pas grave, c’est l’occasion de me rafraichir, vu que je suis par ailleurs couvert de savon. Le pommeau tourné, un maigre filet d’eau jaune koki s’échappe de la colonne de douche, se donne le temps de jouer au ndochi sur ma peau, puis disparait, me laissant seul avec le visage enduit de mousse.

Mais je dis hein…

Clignement d’œil, fpuuuuit ! du savon en profite pour rentrer dedans.

La douleur. Je masturbe compulsivement le pommeau de douche, la colonne refuse de cracher le liquide salvateur.

J’ai une pensée haineuse pour le précédent ministre de l’eau et de l’énergie, qui malgré son limogeage et son incarcération, se la coule douce en prison, toujours propriétaire des milliards dont on l’accuse de détournement.

La vapeur se fait plus intense. Toujours en mode Snake Plissken, ou Nick Fury pour les jeunes, j’essaye vainement de réactiver mon œil droit. C’est sans compter avec l’atmosphère gorgée de vapeur. La physique entre dans la danse. La vapeur se condense sur ma peau et les gouttes qui se forment entament une course qui commence à la racine des cheveux, explorent au passages les sillons savonneux qui parsèment mon front, avant de finir dans mon œil, le second.

Je suis aveugle. Talla André Marie, sans le talent.

Enfant, je n’ai jamais eu peur du noir. Adolescent, j’ai vécu mes plus beaux moments dans l’obscurité complice des chantiers abandonnés. Hélas, depuis que je suis adulte, j’ai appris que l’obscurité est la marque du sous-développement, le manteau dans lequel s’enveloppent les bandits de Yaoundé, le liquide amniotique de la sorcellerie, surtout celle du Renouveau.

Imaginez mon effroi : aveugle, le nerf optique vrillé par la douleur d’un savon sauvage, sans doute fabriqué dans une officine de blanchiment de peau, privé d’eau par je ne sais quelle panne de pays mal gouverné.

Le pire est cette chaleur qui monte… monte… Au point de me faire paniquer.

Massa! c’est un hammam ou barbecue ?

Je tâtonne à la recherche de la porte. Mes doigts savonneux essayent de l’ouvrir. En vain.

Là, je cède vraiment à la panique. Surtout que la température de l’habitacle semble avoir augmenté d’un cran.

Retour aveugle vers la colonne de douche. Bravo… Echo… Test. No water.

Yemaléééééé!!

Des théories se bousculent dans ma tête. Je commence à me demander si tout ceci est le fruit du hasard. C’est quel hammam vide comme ça ? Hein ? Et le savon là qui me dit même qu’il ne s’agit même de savon ? Pourquoi la porte ne s’ouvre plus ? Pourquoi il y a de l’eau pour faire de la vapeur mais pas pour se rafraîchir et se rincer ?

C’est là que je décide d’appeler à l’aide. Hélas, je suis un basso’o, un descendant de la grotte de Ngog Lituba, un bantou originel, un mâle dominant malgré les centimètres en moins. Un bantou n’appelle pas à l’aide, il se renseigne.

Je lance, joliment, avec charisme:

Mesdemoiselles ? Meeeeeeesdemoiseeeeeeeeeeeelles ???? J’ai un problèèèèèèèèèèème. Vous pouvez m’aideeeeer???

Ton haut perché, façon mbenguiste. Mots étudiés, tout un contraste avec ma posture de souffrance.

Pas de réponse.

Mesdemoi…

Le sifflement du générateur de vapeur gagne soudain en puissance.

Euye…

Mes dernières inhibitions craquent. Je meurs pourquoi ?

Je hurle.

Womooooooooo!!! Ouvreeeeez! ouvrezzzzzz!!! au secours! oooooooouvrez ooooooo! Ce-faisant, je tambourine violemment.

La porte s’ouvre enfin. J’entends des voix, une masculine et celle de la sorcière au chewing-um.

Miam miam (machouillement du chewing gum) Mamadou, va chercher un seau et arrête la vapeur.

Mes yeux piquent tellement que j’en pleure. Une douche glacée atterrit sur mon visage. Je vois, flou, mais je vois enfin.

Mamadou (probablement un vigile): assia Monsieur, wèèèèè vraiment assia. Wèèèè!

Miss chewing-gum: Miam! Monsieur, miam! La SNEC a coupé l’eau.

Explication laconique, supposée tout expliquer.

Je prépare une réplique cinglante, sauf qu’au moment de la sortir, je constate que Mamadou et Miss Chewing-gum me regardent d’un air étrange.

C’est en baissant les yeux que je découvre le spectacle. Durant le sauvetage, mon sceptre royal est sorti de son fourreau et occupe désormais le poste d’ailier gauche hors du string en papier. Comme si ça ne suffisait pas, les deux joyaux de la couronne, se sentant probablement seuls, ont suivi le mouvement et tous les trois prennent l’air.

Je ravale ma colère et referme la porte au nez des deux voyeurs.

Je suis rentré chez moi. Le moral en berne, les yeux rouges comme des tomates. Je crois que ce qui a failli m’achever, c’est la phrase de ma voisine de pallier, mégère N°1 de tout le Mfoundi, qui m’apercevant en train de me battre avec le portillon m’a lancé: ékié voisin, les yeux rouges comme ça à midi? Tu as seulement dormi au bar?

J’ai serré les dents. La sorcellerie existe.

Bonne année à tous.

Peace, love and water

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