Je suis camerounais, je mange du béton
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Je suis camerounais, je mange du béton :: CAMEROON

La saison des pluies à Yaoundé démontre l’application pratique du proverbe bantou « c’est quand le vent souffle qu’on voit les fesses de la poule ». En l’occurrence, c’est quand il pleut à Yaoundé que le yaoundéen découvre l’envers de sa ville, notamment les transports, qui en cette saison battent des records de congestion. Durant les longs moments passés dans les taxis surchauffés et dépourvus de conversation utile, je plonge généralement le nez dans mon application MyCanal, vous savez, la tv de Canal+ embarquée sur smartphone. Durant la dernière pluie diluvienne, celle qui a transformé l’Avenue Kennedy en avenue balnéaire, baignant sous plusieurs centimètres d’eau jaunâtre, j’ai souri en tombant sur la présentation du programme Bonjour Santé de mardi prochain. Ce qui m’a fait sourire c’est que dans la présentation de l’émission, la rubrique « Allo docteur » se propose de parler des flatulences.

Flatulences… Soyons clairs d’entrée de jeu, il s’agit d’un mot faussement savant pour dire pets hein… D’ailleurs, ce n’est pas d’étymologie dont je voudrais vous parler mais d’un kongossa lié à ce phénomène somme toute naturel.

Il y a quelques années, je fréquentais assidûment les cabarets de Yaoundé. Période heureuse où ma joie de vivre n’avait d’égale que l’insouciance caractéristique de la jeunesse qui ruisselait de mes pores. J’étais tellement assidu que je m’étais même fait des relations sûres dans le gotha musical de Yaoundé . Le gotha nocturne en tout cas. Une bande de joyeux drilles, musiciens et mélomanes avec lesquels j’écumais ces lieux de plaisirs auditifs.

Une fin d’après midi au bureau, mon téléphone sonne. Un ami de la bande la nuit au bout du fil. Les nouvelles ne sont pas bonnes : Yo le Ngimbis, Mangoula a perdu sa maman.

L’individu désigné par le nom d’emprunt Mangoula est un caïd de la bande, un artiste accompli, amateur de whisky fort dont les lignes de guitare pourraient damner un sourd. Je compatis et demande le programme des obsèques. Chez le bantou, le deuil est une occasion unique de faire acte de loyauté, de se montrer et montrer la proximité qu’on entretient avec la personne frappée par le malheur. Mon interlocuteur m’informe qu’une première veillée a lieu le soir même. La veillée sans bières, sans nourriture, sans smartphones. Celle où on sent peser l’ombre du mort.

OK les gars, on y va en charter non ? Boire seul est un crime, pleurer seul est ennuyeux.

Vendu.

Sortie des bureaux. Je retrouve ma bande de noceurs endeuillés à un carrefour. Il vaut mieux faire le plein de calories. La journée a été longue, et les veillées, on sait quand elles commencent, mais jamais quand on aura une faille pour s’éclipser. Escale dans un tournedos, un de ces restaurants camerounais, ambassades de la street-food qui doivent leur nom au fait que les mangeurs attablés tournent le dos aux passants.

Un solide gaillard nous précède dans la file. Pas causant, un habitué forcément, vu sa commande : Adamou, comme d’habitude.

Sous nos yeux, s’opère la composition de son assiette :d’abord, une « salade » composée de laitue, d’oignon, de tomates, d’avocat, de vinaigre, de mayonnaise, d’huile, il découpe ensuite plusieurs tranche de saucisson, un truc chinois à la viande non identifiée et qui porte l’inquiétante mention « made in China ». Le tout est renforcé par une solide poignée de spaghettis. Après un malaxage énergique de ce béton culinaire, le restaurateur sous nos yeux ébahis, nappe l’ensemble d’une épaisse couche de lait concentré sucré. Un autre truc made in China qui s’appelle lait, mais n’a jamais transité par le pis d’une vache. Et ce n’est pas fini hein, juste au moment de servir, une omelette pimentée, garnie de haricots noirs effectue un vol plané depuis la poêle ou elle a fini de cuire et tel un manteau de malbouffe, vient recouvrir l’assiette. Le type s’empare d’une baguette de pain et d’un mug de café granulé instantané et sans demander son reste entame un dialogue silencieux avec la nourriture devant lui.

Interloqués, nous nous regardons et presque dans le même élan, nos cinq bouches lancent : la même chose !

Laissons le goût, il est relatif et ce n’est pas le sujet.

Une heure après le repas de déménageur, la chimie a commencé. Une espèce de manifestation, d’abord non violente dans l’estomac qui hurle « non aux mélanges douteux! ». Tentative de répression par des sucs digestifs, ils se font déborder et, incapables de contenir la manifestation, battent en retraite, laissant libre cours aux casseurs qui agrippant les parois de l’estomac, lui infligent des crampes douloureuses.

Mince les gars! Qu’est-ce qu’on a mangé ?

Question rhétorique.

Trop tard pour battre en retraite. Nous sommes sur le lieu du deuil. Arrivée sous le feu des projecteurs qui trouent la triste nuit. Le petit salon est plein à craquer. Des membres de la famille essentiellement. Accolades compatissantes pour notre ami qui les yeux rougis, veille néanmoins a ce qu’on nous libère des chaises. Puis, c’est le silence, Le silence du deuil frais, à peine remué par l’impertinence de quelques chuchotis. Je transpire. Mais ce n’est pas la chaleur. Dans mon estomac, une révolution a lieu. Le mélange hétérogène d’aliments provocateur a pu être partiellement homogénéisé puis canalisé hors de l’estomac vers le gros intestin après avoir traversé l’intestin grêle. Le processus de destruction par les bactéries est ardu, je sens la pression monter et les efforts pour me retenir suscitent des tortillements grotesques sur la minuscule chaise.

Je ne suis pas le seul dans le cas. Mes camarades d’infortune, aventuriers culinaires malchanceux ne sont pas en reste. Pas besoin de parler, je peux le voir à la sueur qui perle sur leur front.

Personne n’a jamais su qui a tiré le premier, toujours est-il qu’à un moment donné, quelqu’un a craqué.

Le nuage de Tchernobyl… Bien réel celui-là. Invisible, mais olfactivement présent. Il prend son temps, survole, étouffe. Regards gênés. Malaise. Comme d’habitude en pareil cas, une Inquisition se forme et traque visuellement le coupable. Je ne bronche pas, je suis innocent non ? Mieux, mes copains et moi nous mêlons aux chuchotis d’indignation générale : hein ? C’est même quoi ça ? Les gens ne respectent plus rien hein ? On pète au deuil ?

Il faut savoir que dans une assemblée de gens « biens » les pétomanes sont considérées comme la lie de l’humanité, au même titre que les violeurs en prison. Donc, pas question d’être pris. Sortir ? Risqué.

C’est sur ces entrefaites que l’atmosphère s’alourdit encore. Un second missile silencieux vient d’être tiré. J’imagine sans peine qu’il a été tiré dans les encablures de ma position, donc, que l’un de mes compagnons est le coupable. Le mélange étrange est difficilement respirable. Quelqu’un ouvre le second battant de la porte.

Il faut agir et définir un plan de retraite, les solutions sont rares. Soudain, un de mes compagnons, sans doute au bord de l’explosion lui aussi, se lève et lance à la cantonade : vraiment, les gens ne respectent plus rien ici hein ? Les flatulences au deuil ? Pardon, les gars on part.

C’est à la queue leu leu que nous avons traversé le salon encombré, bravé les regards accusateurs et soupçonneux, oui oui, en matière de pets suspects, qui s’enfuit s’accuse. Un dernier geste à l’ami endeuillé puis, disparition dans la nuit.

Plus tard, alors que nous étions assis à une terrasse les ventres vidés de tout gaz toxique quelqu’un a demandé.

— Gars, merci pour la technique d’exfiltration, surtout que moi-même j’avais déjà armé un missile. Mais une question : « flatulences » comment non?

Le type a répondu sans rire:

— Certaines urgences ont leur raison que la raison ignore, il en va de même pour le vocabulaire.

Personne n’a jamais compris ce qu’il voulait dire, mais on a ri.

Dans tous les cas, ne manquez pas de regarder l’émission. Ça peut aider, car c’est bien connu : tout le monde a des flatulences, seuls les rustres pètent. Et puis hein, quand quelqu’un fait la sorcellerie quelque part, surtout en matière de bouffe, si vous n’avez pas été initié, il vaut mieux continuer son chemin.

Peace.

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