PIERRE DÉSIRÉ ENGO : Ahidjo, Biya, la prison et moi
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L’historique de sa déchéance, son arrestation, son séjour derrière les barreaux et sa nouvelle vie ; le patriarche se livre à coeur ouvert.

L’instant était inédit et le moment inoubliable. Pierre Désiré Engo débordant d’énergie et particulièrement décontracté après sa sortie de culte, est approché par le reporter de Mutations à l’esplanade de sa résidence à Biba I (20 km d’Ebolowa sur la route d’Ambam). Après un échange de civilités convivial, le patriarche dirige son hôte vers un appartement privé. A peine les deux interlocuteurs installés et l’objet de la rencontre clairement décliné, Pierre Désiré Engo devenu très méfiant depuis sa sortie de prison, décide enfin de briser le silence.

Comme si c’était hier, l’ex-ministre de l’Economie retrace le film des événements ayant conduit à sa déchéance. Une histoire sur fond d’ « intoxication » et de « manipulation ». «Je voudrais commencer cet entretien qui va se faire à bâtons rompus en précisant que je suis chrétien. J’ai été marqué par Pierre Teilhard de Chardin qui, dans l’un de ses ouvrages préconise le détachement à ne pas confondre avec le désintéressement», prévient-il pour justifier son effacement depuis son retour en état de grâce. Il se trouve qu’en 1982, au moment du départ de la présidence de la République d’Ahmadou Ahidjo, Paul Biya et Pierre Désiré Engo étaient les seuls membres de son gouvernement ressortissants de l’actuelle région du Sud. « Il était question au regard de cette réalité que je soutienne le président Biya qui, dès le 6 novembre, me titularise comme ministre de l’Economie et du Plan. C’est à partir de cet instant que je décide d’unir les Bulu divisés depuis l’arrivée des Blancs, selon les prescriptions des patriarches Frédéric Medjo M’azang et Charles Assa’ale », confie-t-il.

L’expérience accumulée sous le régime d’Ahidjo où il était vice-ministre de l’Economie, le positionne parmi les hommes de confiance du président Biya. « J’étais à la fois porte-parole des élites du Sud, membre du bureau politique du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), président de la commission nationale de mobilisation du parti, et président du mouvement des élites du Sud. J’avais une forte audience auprès du président [Biya]. Je pense que c’est pour cela que je suis devenu l’homme à abattre », se remémore-t-il.

C’est donc son passé avec le président Biya qui justifiait sa fidélité vis-à-vis de l’homme du 6 novembre 82. « J’étais en quelque sorte à l’origine du litige entre Ahidjo et Biya. On m’accusait de refuser les licences d’exportation aux ressortissants du Nord. Cette affaire a considérablement dégradé les relations entre les deux personnalités », confesse-t-il. Après avoir tout donné au ministère de l’Economie, il est nommé directeur général (Dg), de la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps), alors qu’une offre lui était faite à la Banque mondiale. Le portail des camerounais de Belgique. Contre toute attente, relate-t-il, il est pris dans l’étau de la France. Charles Pasqua qui voulait financer la campagne d’Edouard Balladur, met la pression sur le président Biya en lui proposant de privatiser le patrimoine immobilier de la Cnps. Son refus en qualité de Dg est sans équivoque, informe-t-il. Ses détracteurs originaires de la région du Sud, parmi lesquels un ancien ministre d’Etat décédé et un ancien ministre de l’Economie et des Finances profitent de la brouille survenue dans sa relation avec le chef de l’Etat pour le noircir définitivement. « Ils ont dit au président que je suis en train de créer un parti politique derrière la fondation Martin Paul Samba », dénonce-t-il.

Le 3 septembre 1999, il est mis sous mandat de détention provisoire et le même jour à 18h30, le procureur reçoit l’instruction de le déférer à Kondengui pour trafic d’influence. «Quand on m’arrête, on dit que j’ai des hôtels et des cliniques en Guinée-Equatoriale et beaucoup d’autres biens en France. J’ai écris au président Chirac pour lui dire de saisir tous les biens m’appartenant dans ce pays», confesse-t-il. L’affaire de détournement de fonds n’était en réalité qu’une « chimère », soutient-il. En témoigne la « levée de boucliers » après son arrestation, des membres du bureau politique du Rdpc et de la famille présidentielle dont feu Benoît Assam Mvondo, le frère aîné du Paul Biya, fait-il savoir. Après un an et demi d’ « humiliation et d’agressions physiques » à Kondengui, le président promet de le libérer, « à condition de ne pas manifester publiquement ». «Dès que mes «frères» ont appris que je devais être libéré dans 15 jours, Ferdinand Oyono à fait rédiger un rapport par son épouse selon lequel j’accuse le président de vouloir me tuer depuis ma prison.

Voilà comment je passe 15 ans sous les verrous», regrette l’homme qui revendique l’électrification de la ville d’Ebolowa et la construction de son premier lycée sous Ahidjo. Depuis sa libération en 2014, Pierre Désiré Engo vaque à ses occupations à Biba I, son village natal. «J’ai décidé de rester en retrait. Toutefois je ne rumine aucune vengeance contre qui que ce soit. Parce que j’ai juré de ne jamais avoir un comportement désobligeant envers un fils du pays Bulu», assure-t-il. Son quotidien se résume aux activités agropastorales, à la lecture et l’écriture. « Je lis et j’écris mes mémoires qui sont d’ailleurs finis. J’ai reçu un appui du ministre Motaze quand il était au Minepat. Cela m’a permis de me lancer dans l’élevage des poulets et la pisciculture », poursuit-il. La réhabilitation de sa cacaoyère et sa palmeraie est confronté à un problème d’accès lié à la présence d’un bourbier sur la piste, fait-il savoir. En attendant la solution, il assume fièrement son statut de militant de base du Rdpc. Le septuagénaire, qui semble retrouver une seconde jeunesse, continue de prêcher sa fidélité au président Biya. « J’ai appris la rumeur selon laquelle les gens ont peur de mon retour. Je voudrais rassurer les uns et les autres que je n’ai pas de problème avec qui que ce soit. Je ne veux rien faire qui puisse nuire à la conduite des affaires tracées par le président de la République. Tout le monde sait pourquoi j’ai été arrêté, mais moi je ne trahirai personne », conclut-il.

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