Je suis camerounais, Arafat a arraché ma femme
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Je suis camerounais, Arafat a arraché ma femme :: CAMEROON

Dj Arafat est parti. Décédé, MORT. La nouvelle a fait l’effet d’un canular, du type qui fait lever la tête pour vérifier si on est le 1er avril. Les doutes balayés, c’est une onde de choc qui a atteint une partie du monde. C’est que le type était une star. Vénéré, glorifié, haï, détesté, méprisé, mais connu. Connu à travers sa musique, ses frasques, ses tutoriels sur comment casser les assiettes sur le crâne d’une femme…

Les yorobos

Le Daïshikan (jusqu’à sa mort j’ignorais qu’on l’appelait ainsi) était populaire au pays des crevettes hein… Une génération de jeunes camerounais a fait du jeune ivoirien son idole. Enfance difficile, adolescence compliquée, Arafat adulte est devenu le pape des gamins en rupture de ban. Ces révoltés souvent passifs des « démocraties » africaines, qui forment la grande majorité d’un peuple gouverné par des vieillards grabataires sans autre ambition que gouverner à vie.

Les yorobos, comme on les appelle ici – d’après un des nombreux surnoms de leur idole – sont facilement repérables. C’est qu’Arafat (tout comme le couper décaler) ce n’est pas juste de la musique. C’est tout un mouvement qui intègre des codes, attitudes et objets. Le vêtement, faussement décontracté, les accessoires avec pour élément central une paire de lunettes de soleil qu’on revêt surtout de nuit; la gouaille, teintée d’insolence rebelle face à la vie et aux bien-pensants qui croient en détenir les codes, la danse qu’il faut apprendre et dont les variantes sont aussi nombreuses que les différents concepts mis en place au fil des chansons…

Dans la plupart des hommages adressés au Yorobo, j’ai parfois lu « je n’aimais pas l’homme, je n’écoutais pas sa musique, mais… »

La vérité est que de son vivant, il était de bon ton pour « l’élite » de qualifier Arafat de voyou et sa musique de « bruit ». Une opinion dont l’auteur semblait se ficher royalement, ses fans avec.

L’autre vérité est, qu’importent les chemins pris pour l’éviter, on croisait Arafat à tous les carrefours, soit en musique, soit à travers le regard effronté de ses jeunes fans, mi respectueux, mi-menaçants:

  • mon grand je te respecte hein, mais faut pas abuser…

Perso, j’ai fait sa rencontre lors d’une soirée étrange dans une boite de nuit de Yaoundé il y a plusieurs années. Une de ces soirées de célibataire qui commence par une envie, celle de sexe opposé. Celle de la panthère, cette yaoundéenne sucrée, au sex-appeal affirmé, au derrière autonome, piloté par une IA de dernière génération, programmée en langage CFA.

Prions: Seigneur pardonne moi. A l’époque, je savais vivre. Pardonne-moi d’avoir changé.

Un coup de fil et le missile balistique décolle en bendskin depuis une base secrète d’Ekounou pour me retrouver devant une boite de nuit, lieu choisi pour gonfler mon égo de mâle à coups de Whisky trafiqué et de cuvettes de Heineken. L’argent c’est quoi, demandait un auteur pauvre.

Je fends la foule pour rejoindre ma table, me gargarisant au passage du regard envieux et débordant de concupiscence des singletons sortis chasser ce soir-là.

L’hypocrisie me pousse même à leur adresser en pensée un assia moqueur.

La soirée se passe bien. A un détail près. Nous partageons la table avec trois inconnus. Un couple et un jeune homme, probablement un chasseur malheureux, qui a atterri là par les hasards étranges du plan de table des capitalistes qui gèrent le lieu.

Je n’arrête pas de sourire en contemplant l’énorme paire de lunettes fumées qui lui mange le visage tout autant que sa chemise sans manches dont on pourrait croire qu’elle a été découpée avec un tesson de verre.

Balle à terre

Plusieurs Heineken plus tard mon sang me fait savoir qu’il est à bonne température pour une incursion sur la piste. Je m’accroche à ma liane et en même temps que les trois autres nous atterrissons sur la piste alors que les notes plutôt douces d’une nouvelle chanson font battre la mesure à l’éclairage stroboscopique.

Yaa ils ont peur Champy, ça tremble…

Ça commence bien…

Me voici dans un faux zouk, projetant les pieds vers l’avant comme un footballeur à l’échauffement, me demandant comment un DJ peut lancer un son aussi monotone au cœur de la nuit surchauffée.

C’est là qu’un changement se fait. Accélération du tempo, les paroles se font quasi violentes :

  • Vous croyez que vous êtes forts,
    mais vous n’êtes pas forts…

Euye! je regarde machinalement autour de moi. Les gens sur la piste semblent en transe, dans l’attente d’un évènement qui survient quelques notes plus tard. C’est un cri, long , guttural:

  • Champy Kiloooooooooooooooooo

La voix est vibrante, presque éraillée.

Dans la boite, le cri « Champy Kiloooo » a le même effet qu’une bombe H. Tout le monde hurle et alors que je souris en me demandant quel épisode j’ai loupé, l’enfer se déchaîne autour de moi.

Au rythme de la musique, l’humanité sur la piste répète le même mouvement : Jeu d’épaules maintenues droites, les bras font un mouvement de balancier ou de moulinet, légère cassure latérale au niveau des reins, on bloque le mouvement avec les pieds, après l’avoir amorti avec une pliure du genou, atterrissage en douceur : je viens de faire connaissance avec Djessimidjeka, tube d’Arafat sorti quelques mois plus tôt.

Comment vous dire ? Alice au Pays des Merveilles ? Tintin au Congo ? Um Nyobè dans le RDPC? Comment exprimer le fait que je suis perdu, largué, au milieu de ces jeunes gens qui répètent en choeur les paroles à peine audibles d’une litanie indéchiffrable : Djessimidjeka ! Djessimidjeka ! Djessimidjeka !

Jusque là rien de grave. Je compense ma méconnaissance de la chanson en l’ajustant à un pas passepartout. Ancien kata appris en fréquentant les bals de vétérans du Somatel.

Ce qui est mort peut encore mourir

Le jeune de tout à l’heure, vous savez, le binoclard parasite, s’est métamorphosé depuis son arrivée sur la piste. Le cri Champy Kilooooooooo semble avoir libéré un démon yorobo scellé en lui. Il danse comme si sa vie en dépendait. Les lunettes de soleil vissées sur son nez, le type enchaîne en accéléré des figures sorties d’un manuel de contorsionniste. Mes yeux peinent à suivre.

Aka! C’est la Heineken qui m’embrouille.

Ça ne s’arrête pas là. Après un virage, la chanson débouche sur un quasi a capella. Instruments en berne sauf la grosse caisse qui donne le rythme. Une tirade interminable, indéchiffrable, époustouflante, que le danseur matérialise sous la forme d’un enchaînement tout aussi hallucinant. Le temps s’arrête dans la boite de nuit. Consécration suprême, les autres danseurs s’arrêtent et font cercle autour de lui. Et devinez où le sorcier décide de conclure son enchaînement? Après une dernière pirouette et un jeu de jambes en ciseau, le jeune yorobo vient conclure son mouvement d’un coup de reins suggestif dans l’entrejambe de ma liane debout dans la foule d’aficionados : « adabra… Djessimidjeka ! Djessimidjeka ! Djessimidjeka ! »

Je manque défaillir.

C’est l’explosion dans le public. Je vois ma liane, en extase, fondre dans les bras du danseur applaudi de toutes parts. Ils finissent la chanson emboités l’un dans l’autre tandis que je gère en solo mon pas de vétéran, les dents serrées. Le sang dilué à la Heineken dans les yeux.

Pourquoi raconter la suite? Elle n’est pas glorieuse pour mes mémoires de bantou dominant. Je me souviens juste d’un « ékié c’est quoi même? » lancé en même temps que ma main était repoussée. Le c’est quoi même? de la malchance, du rejet, du va te faire voir. Je me souviens de mon regard de chien battu devant la cuvette de Heineken vide, mais par-dessus tout, je me souviens de ce moment où, seul, traversant la salle pour fuir l’opprobre et le meurtre que je n’allais pas manquer de commettre, j’ai interpellé un vigile. « Mais je dis hein? Le petit en démembré qui danse beaucoup là c’est qui?
– Le yorobo en lunettes? C’est Arafat de Mvog-Ada non? un danseur là qui traîne en ville. Qui ne le connait pas? ».

Je suis parti, en priant pour que les moustiques de Mvog Ada s’occupent des deux.

Peace l’artiste. Les polémiques c’est après. Pour l’instant il s’agit de te dire au revoir. Entretemps j’ai appris à danser Djessimidjeka… Le défi, le vrai, on va faire ça de l’autre côté.

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