Quand la justice accentue la crise au sein de l’Eglise évangélique
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Le TPI de Douala-Bonanjo vient de mettre sur pied un Directoire acquis à la faction des contestataires et chargé de conduire la marche de l’Eglise évangélique du Cameroun. Les caprices des chefs Sawa et de certains dignitaires du régime créent des troubles. Le dossier désormais sur la table de Paul Biya.

1.L’EEC sous administration provisoire

La crise post-électorale dans l’Eglise évangélique du Cameroun (EEC) ne fait que se prolonger. C’est désormais à un « Directoire » ayant pour président le pasteur André Moussango Epée que revient la tâche de gérer «la maison de Dieu » jusqu’à l’issue du contentieux relatif à l’annulation ou non des résultats du scrutin du synode électif de Ngaoundéré du 22 avril 2017. Ce contentieux est pendant devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri. Le 26 juillet dernier, le président du Tribunal de première instance (TPI) de Douala-Bonanjo a en effet pris une ordonnance mettant sur pied un « Directoire valant administration provisoire » appelé à conduire l’EEC jusqu’à l’issue de la crise post-électorale qui la secoue de l’intérieur. Les autres visages du directoire, la plupart anciens de l’église, sont Eloge Yiagnigni, le vice-président, Cleopat Kambou Tetouom, le rapporteur, Henriette Siliki Wamal et Francis Joseph Ekam Bossi, expert-financier près la Cour d’Appel du Littoral.

La feuille de route confiée à l’équipe du pasteur Moussango Epée se décline en quatre points : mener « une gestion collégiale », « coordonner les activités spirituelles des 22 régions synodales », superviser les « actions des différents départements techniques », et, enfin, « veiller à la transparence et à l’éthique dans la gestion des ressources » de l’Eglise. Mais les frais de fonctionnement du Directoire sont mis à la charge de l’EEC. La décision d’instituer un directoire à EEC est intervenue à la requête d’un collectif conduit par le pasteur Richard Priso Moungole, l’un des candidats malheureux du scrutin contesté. Le 30 juillet 2019, le pasteur Jean Samuel Hendje Toya, dont l’élection à la présidence générale de l’EEC est contestée, a attaqué la décision devant la Cour d’Appel du Littoral (défense à exécution). Il estime que le Directoire « remettrait gravement en cause les droits consolidés par les urnes » et « consacrerait une posture en droit notamment en substituant la volonté du peuple de Dieu à celle du candidat malheureux à ladite élection ». De plus, le Directoire n’est point prévu dans le Règlement intérieur de l’EEC. Il prie la Cour d’invalider la mesure. Prévue vendredi dernier, l’examen public de ce recours a été reporté au 13 septembre. Notons que le 21 juillet 2017, le TPI de Douala-Bonanjo avait pris une autre ordonnance suspendant cette fois les effets du processus électoral du Synode général de N’Gaoundéré empêchant du coup toute prise de fonction des responsables élus lors de ce scrutin.

2.Du chantage et tribalisme sur l’autel de Dieu

Les tensions au sein de l’EEC se déroulent sur fond de tribalisme. Dix jours, avant la tenue du synode général électif programmé à N’Gaoundéré le 22 avril 2017, les chefs traditionnels du Ngondo, comme pour faire pression sur les participants, se fendaient en communiqué, au ton incendiaire. Le 13 avril de cette année-là, ils précisaient que leur sortie épistolaire vise à « juguler préventivement la crise qui couve au sein de l’EEC ». La crise en question se trouvait dans la désignation du président de l’Eglise. Ils prétendaient en effet que lors du Synode de Yabassi, en 2009, il avait été décidé de la « succession rotative de l’équipe directoriale de l’EEC ».

Pour eux, le tour était venu à un Sawa de présider l’EEC. Ils portaient leur choix sur le pasteur Priso Moungole, désigné pour l’occasion « unique candidat » pour sa « bonne disponibilité et l’humilité affichées ». Ils tançaient en revanche son challenger, le pasteur Hendje Tayo, pour « l’attitude irrévérencieuse et manifestement récidiviste du pasteur visà- vis de l’autorité traditionnelle, se désolidarisant ainsi de la communauté Sawa». Malgré le soutien du Ngondo, le pasteur Priso Moungole sera laminé lors du scrutin. Sur les 381 électeurs inscrits, il n’a récolté que 168 voix sur les 377 valablement exprimées. Sa défaite va mettre le feu aux poudres, alors qu’il avait lui-même solennellement reconnu la victoire de son adversaire et l’avait félicité aussitôt les résultats de la compétition électorale proclamés.

Six jours plus tard, le 28 avril, les chef Sawa vont publier un second communiqué dans lequel ils indiquent, sans détour, que la désignation d’un nouveau président général à l’EEC autre qu’un Sawa est inadmissible. L'info claire et nette. « Le Ngondo et les pasteurs Sawa présents au Synode de N’Gaoundéré en exprimant leur totale désapprobation (…) sont en état de révolte. C’est pourquoi, solennellement et pleinement conscients de leurs devoirs face à l’histoire (ils) annoncent à compter de ce jour le schisme du Peuple Sawa de l’Eglise Evangélique du Cameroun ». Le 10 mai 2017, le pasteur Priso Moungole et ses affidés vont introduire devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri une assignation en nullité du PV des élections et du processus électoral de Ngaoundéré pour de supposés cas de fraude. Les plaignants excipent l’article 73 de la Constitution de l’Eglise qui dispose : « l’EEC opte pour le principe de rotation à la présidence générale, cette rotation se fait entre les groupes sociologiques qui la composent ».

Candidat rodé

Si le Cameroun compte pas moins de 250 ethnies, les plaignants prétendent que les groupes sociologiques qui composent l’EEC « sont de trois ordres : les Bamilékés, les Bamouns et les Sawa». Ils affirment en effet que lors du Synode général de Yabassi, en 2009, «il avait été arrêté que la présidence à venir reviendrait (…) aux Sawa qui avaient la latitude de présenter leur candidat ». Un choix porté sur le pasteur Priso Moungole. Ce qui a valu à ce dernier d’être élevé à la fonction de vice-président du Bureau national de l’Eglise. Mais, pendant le Synode décrié, « une autre candidature dont la relation au groupe sociologique n’est que géographique, a été soutenue contre ledit choix du groupe Sawa».

Si le « gentleman agreement » a été violé, les plaignants déplorent aussi de supposées irrégularités qui ont émaillé « le Synode de N’Gaoundéré de la phase électorale à la proclamation des résultats». Il cite entre autres l’accroissement injustifié du corps électoral, la recevabilité de certaines candidatures après le délai de dépôt, l’admission des candidats ne remplissant pas les critères d’éligibilité, le trucage des pourcentages, etc. Les opposants citent par exemple le cas de Mme Ngalle Mbonjo, qui aurait été investie candidate pour le compte du Nkam « sur la foi d’une carte de membre frauduleuse de la paroisse de Bonaberi à Yabassi».

Pour les plaignants, « c’est à coup sûr cette foultitude de non-sens et d’irrégularités qui a motivé le refus de signature du Pr Nicole Claire Ndocko, vice-présidente de la Commission électorale indépendante ». Le portail des camerounais de Belgique. Ils réclament l’annulation du scrutin décrié. Le pasteur Priso Moungole tente-il de récupérer devant la barre un pouvoir qu’il a échoué à conquérir dans les urnes ? En tout cas, après deux ans de procédure judiciaire, le suspense reste entier.

3.Paul Biya appelé à la rescousse

Le 18 novembre 2018, le pasteur Jean Samuel Hendje Toya a saisi Paul Biya d’un recours dans lequel il étale la situation « fâcheuse » que traverse l’EEC. Il sollicite en fait l’intervention du chef de l’Etat « pour un retour à la normale » dans l’église. Selon lui, le synode général électif tenu à Ngaoundéré un an auparavant était « salué tant par les protagonistes, les membres du Synode général, que les autorités administratives ». Il en veut pour preuve « le procès-verbal de la commission électorale indépendante » selon lequel « aucun contentieux n’a été enregistré ». Lors de ce scrutin, le pasteur Hendje Toya a été élu président général de l’Eglise.

Le pasteur Hendje Toya raconte que, de retour du synode de N’Gaoundéré, «et sans que l’Eglise ait été saisie de quelques griefs », l’EEC s’est retrouvée en face des contestations des chefs traditionnels du Ngondo qui ont non seulement rejeté les résultats du scrutin, mais surtout appelé au schisme. La contestation du scrutin s’est faite avec des « exactions sur fond tribal », notamment des « violences sur les pasteurs et les fidèles, la confiscation des biens de l’église, les troubles dans les paroisses ». Il relève que les différentes initiatives prises par les instances de l’EEC, le comité des sages, le Bureau national, le président général ainsi que des rencontres informelles « en vue d’un retour au calme et à la normale sont restées vaines ».

Insoumission

Entre temps, le perdant, Richard Moungole Priso, et sa bande ont porté le litige devant la justice, au mépris des dispositions de l’article 2 du Règlement intérieur de l’EEC. Ce texte invite pourtant les membres à « Préserver l’image de l’Eglise en toute circonstance, notamment par le recours exclusif à l’arbitrage des instances mises en place par l’Eglise pour gérer toutes sortes de conflits entre les membres… ». Pour le pasteur Hendje Toya, «la justice s’est malheureusement saisie de ce dossier ». Or, la compétence en pareille situation est exclusivement du ministre de l’Administration territoriale, « tutelle des églises ». Le pasteur Hendje Toya présente au chef de l’Etat le tableau trop sombre enfanté par la crise. Il cite de nombreuses situations pour démontrer que le climat délétère dans l’EEC est dommageable.

Selon lui, de nombreux postes sont laissés vacants : 451 ouvriers à la retraite ne perçoivent plus leur pension, d’autres attendent d’être mis à la retraite ou en congé maladie. De plus, deux promotions de pasteurs en fin de formation attendent d’être déployées, une soixantaine d’autres en fin de stage sont en attente de consécration. Une trentaine de paroisses manifestent véhémentement une attitude d’insoumission. Paul Biya est donc appelé à l’aide pour sortir l’Eglise évangélique de la zone de turbulence. Selon les informations recueillies par Kalara, le pasteur Hendje Toya est victime de sa grande indépendance vis-à-vis de certains pontes du régime membres de l’Eglise qui, malgré le langage des urnes, veulent à imposer des pions malléables à la tête de l’Eglise évangélique du Cameroun. La source indique que les membres du directoire sont d’ailleurs tous des proches des opposants.

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