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© Correspondance : Arthur L. MBYE
- 06 Feb 2019 12:00:00
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Patrice Y. YONDEU "Le taux de mortalité des entreprises au Cameroun est de 8 sur 10 tous les 5 ans" :: CAMEROON
Il était le principal intervenant lors du séminaire sur l’amélioration de la per-formance globale et durable des entreprises organisé par le Gicam le 19 no-vembre 2018 à Douala et qui a réuni plus d’une soixantaine de chefs d’entreprise et porteurs de projets. Le directeur général de JMJ Africa Cameroun et de JMJ Africa Côte d’Ivoire revient sur les déterminants de la performance.
Vous avez indiqué, dans votre intervention, la nécessité pour les entreprises camerounaises en quête de perfor-mance, et même les banques auxquelles vous recommandez fortement de financer les entreprises en crise, de se faire accompagner par des experts. Pouvez-vous nous dire en quoi consistent ces accompagnements ?
Comme la vie, l’entreprise a un cycle : elle naît, vit, traverse des moments difficiles, des moments de gloire, se transmet et meurt. Le cycle de vie de l’entreprise impose des solutions adaptées en fonction de la phase dans la-quelle l’entreprise se trouve. Les problèmes d’une entreprise en phase d’amorçage/création ne sont pas les mêmes que ceux de la phase de dévelop-pement/croissance, de maturité/consolidation, ou encore la phase de difficul-tés/déclin, de la transmission ou de la liquidation.
L’accompagnement dont nous faisons allusion n’est pas différente de celui du médecin sur son patient. Concrètement, le médecin va d’abord vous consulter et vous prescrira ensuite des examens (état des lieux/analyse diagnostic). Dès lors, il a une vision exacte qu’il partage avec vous et qui lui permet de faire des prescriptions. Il devra par la suite vous suivre et vous accompagner vers votre rétablissement, ainsi que pour une santé à la fois meilleure et durable.
Donc, comme « la maladie n’est pas la mort ! », l’entreprise en difficultés est aussi en situation normale de son cycle de vie. Mais, tout acte posé sur cette entité par une main inexperte peut lui être fatale, parce que comme vous le savez, l’automédication n’est pas à encourager en raison des conséquences né-gatives, graves et parfois irréversibles qui peuvent en découler.
Ces accompagnements dont peuvent faire l’objet les entreprises se font sur les différentes phases de son cycle de vie, à savoir la création, la croissance, la crise, la transmission et la liquidation. L’accompagnement se fait non seule-ment sur des aspects aussi bien conceptuels, stratégiques, opérationnelles, que managériaux, mais aussi sur des aspects liés à la formation, le partage d’expérience, le renforcement des capacités opérationnelles ; et peuvent pren-dre plusieurs formes : études, conseils, assistance, représentation, etc.
Au cours de ces dernières années, le gouvernement a mis en place de nombreuses structures d’accompagnement et de financement des entreprises. On peut citer l’APME, l’API, ONZFI, le BNM, le CTA, le BC-PME, etc. Quelle est votre opi-nion sur le rôle ainsi que les capacités de ces structures à ac-compagner les PME ?
Les initiatives prises par le gouvernement ne sont pas du tout mauvaises de par leur esprit, mais elles souffrent de lacunes conceptuelles et de tares opération-nelles. Par ailleurs, l’efficacité de ces structures est tributaire de la cohérence globale entre ces structures dans une approche synergique et complémentaire, pour une déclinaison opérationnelle efficace et efficiente.
L’approche conceptuelle doit être repensée. Sur la base d’une vision globale et d’une planification stratégique opérationnelle, les structures devront être ré-duites et adaptées, être mises en cohérence avec la vision, la planification et les objectifs visés, afin de garantir l’atteinte des résultats escomptés. Bref, l’opportunité de l’existence de ces structures doit être la résultante de l’implémentation de la déclinaison opérationnelle issue de la vision globale.
Sur le plan opérationnel, il est clair que ces structures n’agissent pas toujours sur les meilleurs leviers pour être plus efficaces et plus efficients. A mon humble avis, les leviers d’actions sont fonction des phases du cycle de vie de l’entreprise. Une entreprise en phase de start-up n’a pas les mêmes problèmes qu’une entreprise en croissance ou en déclin.
C’est la raison pour laquelle l’approche solution et le dispositif opérationnel étatique d’accompagnement des PME, devrait nécessairement être en adéqua-tion avec les phases du cycle de vie de l’entreprise.
Le Gicam a créé en juin 2018 un Centre de développement des PME, dont l’une des missions est d’accompagner les PME et les porteurs de projets. Quel est, d’après vous, le rôle que devraient jouer les organisations patronales et pro-fessionnelles dans l’accompagnement des entreprises et l’amélioration du climat des affaires au Cameroun ? Quelle synergie devrait exister entre l’administration publique et les mouvements patronaux pour améliorer la performance des entreprises au Cameroun ?
En mai 2016, 72,2 % des entreprises créées depuis 2010 n’étaient pas sur le fichier de la DGI. Il s’agit là du constat triste de la disparition des entreprises pourtant vecteurs de développement socio-économique. L’initiative du GICAM, ainsi que celles de l’Etat sont positives, en ce sens qu’elles identifient les incu-bateurs comme solution pour réduire le taux de mortalité des entreprises et augmenter les chances de succès de celles-ci.
Toutefois, pour être performantes, ces initiatives doivent être synergiques, concertées, structurées, cohérentes, complémentaires et non concurrentes. Le gouvernement, le patronat et les conseils gagneraient à valider une vision commune sur les PME, la conceptualiser de manière synergique dans une ap-proche globale orientée sur le long terme, et la mettre en œuvre dans une dy-namique opérationnelle, avec des indicateurs de suivi-évaluation et de perfor-mance profitable à tous, mais davantage à l’économie nationale et à la réduc-tion de la pauvreté.
Selon vous, les pouvoirs publics devraient adapter leurs ac-compagnements aux entreprises en fonction de leur cycle de vie (création, croissance, maturité, crise, déclin, et transmis-sion). Vous insistez notamment sur la nécessité pour l’Etat d’accompagner les entreprises en déclin. Pourquoi ? Quel type d’accompagnement les pouvoirs publics devraient-ils apporter aux entreprises en difficultés ?
L’Etat est le premier bénéficiaire de la performance des entreprises. En effet, plus une entreprise est performante, plus elle paiera d’impôts et fera des opé-rations de douane, selon son secteur d’activité.
Le taux de mortalité des entreprises au Cameroun est de 8 sur 10 tous les cinq ans. Ce qui signifie que sur dix entreprises créées, seules deux survivent tous les cinq ans. L’entreprise en déclin est celle qui, au-delà des cinq ans, a gagné en expérience, en maturité et en croissance ; elle a un potentiel de redécollage, de réussite et de développement durable. Car, elle a le mérite d’avoir traversé la phase d’amorçage et la vallée de la mort « death valley » (les deux premières années des entreprises selon la courbe de Gauss sur le cycle de vie de l’entreprise).La disparition d’une telle entreprise, lorsque sa situation n’est pas irrémédiablement compromise, est une perte économique dramatique sur le plan social et économique.
Car, elle disparaitra avec les emplois, les impôts et autres redevances fiscalo-douanières et communales, son potentiel et ses acquis positifs.
Dans cette logique, l’acte uniforme OHADA a déjà anticipé en mettant sur pied un Droit des entreprises en difficultés, auquel il faudrait ajouter légitimement un régime fiscalo-douanier spécifique et incitatif, pour le sauvetage et la restructuration des entreprises privées, dont la situation ne serait pas irrémé-diablement compromise ; tout ceci sur la base des plans de sauvetage ou plans de restructuration pertinents, avec répartition des charges entres les acteurs (Etat, actionnaires des entreprises en difficultés).
Il faut déjà relever que le comité technique de réhabilitation appui déjà les en-treprises à capitaux publics en déclin. Il serait juste et équitable d’en faire au-tant pour les entreprises prives. Car, soutenir les entreprises en difficultés en prolongeant leur potentiel de survie et de croissance est essentiel pour la pro-tection du tissu économique, conscient de ce que l’entreprise reste le principal créateur des richesses et est le vecteur de la croissance économique et sociale.
L’une des préoccupations majeures des entreprises au Ca-meroun, notamment les PME, reste l’accès au financement. Que recommandez-vous aux entreprises, aux banques, aux organisations patronales et à l’Etat sur cette probléma-tique ?
D’abord, à titre d’information, et c’est la bonne nouvelle, il y a une ruée des capitaux et des financements vers l’Afrique (nouvelle terre des opportunités mondiales. L’agitation entre les banques occidentales, d’Asie et d’Afrique du Nord, ainsi que la croissance des fonds d’investissements sur le continent suffi-sent pour s’en convaincre. Mais, ces fonds adorent les pays attractifs en termes d’investissements et au marché financier dynamique. De ce point de vue : l’Etat doit urgemment et davantage dynamiser le marché financier, améliorer à la fois la notation du Cameroun et l’environnement des affaires, en vue de l’attractivité des flux financiers vers le Cameroun ; faciliter, inciter et encoura-ger les solutions complémentaires et concurrentes aux banques, à l’instar des sociétés d’investissement en capital, les fonds de garanties, les assurances cré-dit ; inciter à la Douala Stock Exchange la participation des intermédiaires et établissements financiers hors contrôle de la Commission bancaire, à l’instar des sociétés de gestion et d’intermédiation (SGI) et des structures de conseils ; autoriser sur le marché financier le statut de démarcheurs et d’apporteurs d’affaires, lesquels sont suffisamment actifs dans la zone Uemoa.
Pour faciliter l’autofinancement des entreprises créancières, l’Etat doit, par exemple, soit apurer les crédits de TVA, soit garantir et domicilier ces crédits auprès des banques pour un remboursement anticipé par la banque, à un taux d’intérêt spécialement réduit, jusqu’à l’apurement par l’Etat dans le compte de la banque.
Les organisations patronales se doivent d’encadrer et de former leurs membres sur la nécessité de se faire accompagner et assister par des conseils de qualité ; sen-sibiliser les entreprises sur l’intérêt de l’introduction en bourse pour leurs acti-vités, et sur la nécessité d’une communication financière sincère ; les bonnes pratiques de recherche de financement et de rating ; sensibiliser ses membres sur le remboursement des créances bancaires, la qualité de la signature, de la gouvernance et de la performance ; encourager et soutenir l’introduction dans le marché financier des solutions complémentaires et concurrentes aux banques.
Les entreprises doivent nécessairement s’offrir les prestations de conseils, afin d’être bien accompagnés par des dossiers bien structurés et intelligemment montés, en vue de faciliter la recherche de fonds, en adéquation avec leurs be-soins et leurs cycles d’exploitation.
Par ailleurs, les entreprises doivent être conformes avec l’administration en termes de permis, licences et autorisations ; améliorer leur qualité de signa-ture ; avoir un rating (notation) ; rembourser leurs créances bancaires ; être performantes et bien gérées.
Les banques doivent innover et investir dans la recherche et le développement, car les solutions de financement qui ont permis le développement des entre-prises et économies occidentales et asiatiques existent et ne demandent qu’à être adaptées à notre environnement. Les banques doivent également financer les PME en prenant en considération les phases du cycle de vie de l’entreprise et les contraintes spécifiques de leur projet, intégrer la phase start-up et la phase de déclin comme une situation normale du cycle de vie de l’entreprise et les financer ; encourager et financer les start-ups issues des incubateurs, et fi-nancer les entreprises en difficultés sur la base des plans de relance ou de restructuration pertinents et fiables, établis par des personnes expérimentées et crédibles ; recourir de plus en plus aux fonds de garanties et assureurs crédit, et non plus à la fortune des promoteurs, pour soutenir la couverture de leur exposition dans le financement des PME.
Que recommandez-vous aux entreprises qui souhaitent améliorer leur performance globale et de manière durable ? Et pour les entreprises qui n’ont pas des ressources néces-saires notamment les start-up ?
Les entreprises camerounaises sont à la croisée des mutations internationales, dans un contexte de mondialisation et de globalisation. Avec les élans d’internationalisation croissants des entreprises étrangères, elles se doivent d’être plus performantes et compétitives pour survivre et se développer. Plus qu’hier, elles ont aujourd’hui besoin d’assistance, d’accompagnement, d’expertise, de renforcement des capacités opérationnelles et d’informations stratégiques, afin de prendre des bonnes décisions et des bonnes orienta-tions.La performance est d’abord une question de management. C’est aussi une question de politique (environnement économique et cadre règlemen-taire). L’entreprise performante place la ressource humaine au cœur des priori-tés, car elle est le maillon essentiel. L’entreprise performante doit avoir une vision et une raison d’être, elle sait développer une capacité d’adaptation qui permette de gérer les changements, sans que l’entreprise ne perde son âme. Bref, «il faut savoir changer pour rester soit même».
L’entreprise performante doit construire une stratégie sur le long terme, qui dépasse les objectifs financiers à court terme et qui intègre les multiples parties prenantes. Ce type d’entreprise crée de nouvelles activités en répondant aux opportunités futures.
L’entreprise performante doit vivre avec plusieurs business model : le temps ou les entreprises avaient une activité bien délimitée, un seul modèle économique est révolu. Les entreprises coulent lorsqu’elles arrêtent de bouger. A titre d’exemple, Kodak a inventé le premier appareil numérique, mais n’a pas su quoi en faire, et c’est le numérique qui va constituer sa perte.
Les entreprises qui réussissent finissent par être victimes de leur histoire. Il faut réussir à s’appuyer sur les acquis de son histoire, mais être aussi capable de s’en détacher. Car, le succès engendre l’arrogance, la complaisance et la crainte d’essayer ce qui est nouveau.
En ce qui concerne les start-ups, le taux de mortalité des entreprises dans cette phase est suffisamment édifiant, pour inviter les promoteurs à bien préparer leur pro-jet et à renforcer leurs capacités opérationnelles avant de se lancer. Car, on ne peut miser sur l’échec pour apprendre, il vaut mieux prendre assez tôt les dis-positions pour éviter l’échec et la vallée de la mort des start-up.
Les promoteurs doivent nécessairement se faire assister et accompagner par des structures qualifiées, dès la phase conceptuelle et pendant la phase d’exploitation. Le développement des incubateurs en cours est une initiative louable, en espérant que les ressources humaines dédiées seront suffisamment outillées et compétentes pour un bon encadrement des start-up.
Les promoteurs des start-up doivent intégrer les incubateurs pour préparer et réussir leur immersion/amorçage avant de lancer leurs projets. Les grands groupes doivent soutenir les start-up et soutenir les incubateurs comme celui que nous avons (JMJ Small and Medium Project) dans notre cabinet JMJ Africa et bien d’autres. L’Etat se doit également d’inciter le soutien et de soutenir des incubateurs, au travers des leviers financiers et fiscalo-douaniers (comme elle le fait avec les fondations). Car, toute start-up qui réussit devient un bon con-tribuable.
En ce qui concerne le financement, les promoteurs de start-up doivent déve-lopper l’esprit et la culture d’association, à la fois opérationnelle et capitalis-tique, ce qui impose de faire des concessions pour faciliter l’intervention des capital-risqueurs ou des investisseurs en capital intéressés par leur business. Car, l’alchimie entre l’investisseur en capital et l’entreprise facilite une création de la valeur, gage de croissance des entreprises.
En définitive, la protection de notre espace économique et la promotion des champions nationaux peuvent-ils contri-buer à la performance de nos entreprises ? Si oui, com-ment ?
A mon humble avis, la levée des barrières économique et douanière est une opportunité. Je ne pense pas que la protection de l’espace économique puisse perdurer dans un monde ou la brutalité de la concurrence et le déséquilibre de la liberté commerciale est le maitre mot des entreprises internationales. La compétitivité et la performance de nos entreprises seront la solution. Car, nos entreprises doivent apprendre à collaborer au lieu de compétir : la compétition entre entreprises a un coût bien souvent sous-estimé, la collaboration, elle, cumule les avantages, Nos entreprises doivent créer de nouvelles activités, en répondant aux opportunités futures ; penser long terme ; vivre avec plusieurs business model et envisager et l’internationalisation.
Le leadership entrepreneurial sur la base des success-stories peut effective-ment inspirer les entreprises sur les aspects positifs de ces entreprises leaders, mais le leadership ne se proclame pas. Il doit se mériter et être durable. Et le bon leader se doit de tirer les autres par le haut, et non organiser une supré-matie abusive dans un marché qui se veut libre et compétitif. Le bon leader doit, à notre humble avis, soutenir les incubateurs ou en créer pour confirmer son titre de champion.
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