Justice : Bolloré rattrapé par ses pratiques en Afrique
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FRANCE :: Justice : Bolloré rattrapé par ses pratiques en Afrique

L’homme d’affaires a été placé en garde à vue mardi 24 avril dans les locaux de la police judiciaire à Nanterre, dans le cadre d’une information pour « corruption d’agents publics étrangers et trafic d’influence ». En cause : les conditions d’attribution des concessions portuaires à Lomé (Togo) et Conakry (Guinée) et l’utilisation de sa filiale Havas dans les campagnes électorales des responsables africains. Jusqu’alors, Vincent Bolloré semblait intouchable. Il ne l’est plus tout à fait. Mardi 24 avril, l’homme d’affaires a été placé en garde en vue dans les locaux de la police judiciaire à Nanterre, ainsi que plusieurs des cadres du groupe, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour « corruption d’agents publics étrangers et trafic d’influence », portant notamment sur les conditions d’attribution de concession de deux ports, l’un à Lomé (Togo), l’autre à Conakry (Guinée) en 2009 et 2010.

« Le groupe Bolloré dément formellement que sa filiale de l’époque SDV Afrique ait commis des irrégularités », assure-t-il dans un communiqué. L’affaire, cependant, semble avoir été suffisamment prise au sérieux pour précipiter une petite révolution de palais, avant même l’audition judiciaire. Alors même que Vincent Bolloré affirmait depuis des années qu’il abandonnerait le pouvoir dans son groupe en 2022, date de ses 70 ans, l’homme d’affaires a décidé la semaine dernière d’abandonner ses fonctions des parties les plus emblématiques de son groupe : Canal + et Vivendi. À l’occasion de l’assemblée générale du groupe de communication, le 19 avril, Vincent Bolloré a annoncé qu’il quittait la présidence de Canal + et confiait les rênes de la chaîne à Maxime Saada, la présidence de Vivendi revenant elle à son fils Yannick Bolloré. Officiellement, selon le groupe, il n’y a aucun rapport. Vincent Bolloré aurait juste achevé sa mission chez Vivendi.

Mais il n’y a certainement pas que Vincent Bolloré qui prenne l’affaire très sérieux. Car derrière l’homme d’affaires, c’est un pan notable de la Françafrique – dont Vincent Bolloré s’est fait un des continuateurs –, de ses collusions, de ses pratiques avec les pouvoirs en place qui pourrait être ébranlé. Un système qui, même s’il n’a jamais été fondamentalement remis en cause par les autres présidents, a connu ses dérives les plus extrêmes lors de la présidence de Nicolas Sarkozy. « C’était alors à guichet ouvert », selon l’expression d’un enquêteur qui a travaillé sur le dossier Bolloré. La procédure qui vaut aujourd’hui à Vincent Bolloré d’être entendu par la police judiciaire de Nanterre a débuté à la suite de deux plaintes. La première a été déposée par le groupe Necotrans en mars 2011, à la suite de son éviction manu militari du port de Conakry au profit du groupe Bolloré. La seconde a été formée par Jacques Dupuydauby, ancien allié de Vincent Bolloré, notamment lors du raid avorté contre le groupe Bouygues en 1998, devenu son partenaire dans le groupe Progosa, avant de devenir son pire ennemi. Jacques Dupuydauby reproche à Vincent Bolloré de l’avoir évincé en 2009 de la concession du port de Lomé (Togo) qu’il exploitait depuis 2001.

À la suite d’enquêtes et d’une perquisition dans les locaux du groupe Bolloré en avril 2016, les juges d’instruction formant équipe autour du juge Serge Tournaire soupçonnent les responsables du groupe d’avoir eu recours à Havas, filiale de communication du groupe, pour faciliter l’élection de dirigeants africains, en leur prodiguant des conseils sousfacturés, voire non facturés. En remerciement, ceuxci auraient cassé les concessions portuaires existantes pour les réattribuer au groupe Bolloré. C’est le soupçon qu’avait porté l’avocat du groupe Necotrans, Pierre-Olivier Sur, dès l’expulsion de son client par l’armée du port de Conakry : « Nous souhaitons que la justice enquête sur le fait que Bolloré a soutenu la campagne électorale d'Alpha Condé par le biais de l'agence de communication Euro RSCG, qu'il contrôle, et a obtenu la concession du port de Conakry », insistait-il alors (voir l’enquête du Nouvel Obs).

En même temps que Vincent Bolloré, plusieurs autres cadres du groupe ont été placés en garde à vue ce mardi : Gilles Alix, un des membres du directoire de Vivendi, qui s’est occupé pendant des années des activités transports et logistiques du groupe Bolloré, donc essentiellement de l’Afrique ; Jean-Philippe Dorent, responsable du pôle international de l’agence de communication Havas, lui aussi très présent en Afrique ; Francis Perez, dirigeant du groupe Pefaco, un groupe de jeux et de casino très présent au Togo et très proche aussi de Jean-Philippe Dorent est aussi entendu par la police judiciaire.

« J’aime l’Afrique. » Dans son entretien quasi annuel à Jeune Afrique, Vincent Bolloré ne manque jamais de rappeler son attachement au continent noir. Et pour cause ! Il lui doit sa fortune. Alors qu’à partir du milieu des années 1980, tout le monde des affaires français se détourne de l’Afrique, lui commence à racheter les derniers vestiges coloniaux qui subsistent : la SCAC (logistique, distribution en Afrique) en 1986 ; Delmas-Vieljeux (transports maritimes) en 1992, qui manque de le faire couler ; Saga (logistique) en 1998 et surtout Rivaud (plantations, banques, finances) en 1996. Avec l’aide de Michel Roussin, ancien bras droit de Jacques Chirac, et de Jacques Rossi, ancien de Clinvest, la banque d’investissement du Crédit lyonnais au début des années 1990, Vincent Bolloré reconstruit un empire en Afrique, sans pratiquement changer les anciennes pratiques coloniales.

Tous les chefs d’État africains, mais aussi une grande partie des présidents français et de la diplomatie française deviennent ses obligés. D’autant que Vincent Bolloré sait se rendre incontournable. À partir de la fin des années 1990, l’homme d’affaires décide d’abandonner le transport maritime, trop cher et trop risqué, pour concentrer  ses activités africaines dans des secteurs bien plus rémunérateurs et bien plus essentiels : la logistique et les infrastructures de transport, et surtout les ports. Ce sont souvent les seules portes des pays africains, par où tout transite à l’import comme à l’export. Détenir les ports, c’est s’assurer d’avoir la main sur l’économie du pays, donc sur le pouvoir.

Un empire portuaire

Port par port, Vincent Bolloré va assurer son emprise. En 2004, il prend le port d’Abidjan, dans des conditions si contestables que la banque mondiale, qui a présidé l’appel d’offres, conteste le résultat. Puis il poursuit avec Libreville et Owendo (Gabon), Douala (Cameroun), Brazzaville (Congo), etc. Seize au total. La seule ombre au tableau est la perte du port de Dakar. Alors que la SCAC avait la concession d’un des plus grands ports d’Afrique depuis 1926, le groupe Bolloré perd la concession en 2007 au profit de la Dubaï Investment Authority. Un affront que Vincent Bolloré n’est pas près d’oublier et encore moins Nicolas Sarkozy, qui met le pouvoir français au service des intérêts de son ami. Tout doit aller à Bolloré.  

Lors d’une rencontre en 2007 avec le président togolais, Faure Gnassingbé, Nicolas Sarkozy met tout son poids, voire formule des menaces pour que le port de Lomé, attribué au groupe de Jacques Dupuydauby depuis 2001, revienne à Bolloré, comme le rapporte alors LeCanard enchaîné. Lomé est un port qui inquiète le groupe Bolloré : il peut faire de l’ombre au port d’Abidjan. Et puis Vincent Bolloré n’aime guère la concurrence. Très vite, les pressions se multiplient. Et la France a de multiples moyens pour se faire entendre : Faure Gnassingbé a succédé à son père, mort en tant que président, à la suite d’un coup d’État constitutionnel. Son élection, marquée par des centaines de morts, est contestée par l’ONU. Très peu de pays acceptent de le reconnaître et encore moins de le recevoir. Fin 2008, Nicolas Sarkozy accepte de recevoir le président du Togo à l’Élysée. La conversation entre les deux hommes roule officiellement sur le processus de démocratisation, l’ouverture de l’économie.

À Lomé, le ton est tout autre. L’intermédiaire du président togolais, Charles Debbasch, augmente ses exigences auprès de Dupuydauby. Alors qu’il demandait 3 millions d’euros en liquide prélevés sur toutes les marchandises manutentionnées dans le port, il en demande 5, en insistant sur le fait que l’Élysée exige que le port de Lomé revienne à Bolloré. Dupuydauby refuse. Son sort est scellé. Fin mai, l’armée togolaise débarque sur le port, saisit tous les équipements, toutes les archives, évince tous les salariés de l’entreprise. Moins de vingt-quatre heures plus tard, le groupe Bolloré est dans la place, reprend tous les actifs et les comptes (il y en a environ pour 24 millions d’euros) et se voit attribuer sans le moindre appel d’offres la concession du port de Lomé. Mais Vincent Bolloré n’en reste pas là. Il fait un procès à Lomé à son ancien partenaire, l’accusant d’avoir détourné des actifs de la société.

Jacques Dupuydauby est condamné à vingt ans de prison pour association de malfaiteurs, 400 millions d’euros d’amende au bénéfice du groupe Bolloré. Un mandat d’arrêt international est lancé contre lui. Le groupe Bolloré, l’accusant d’avoir siphonné des actifs de Togo et au Gabon, a fait prononcer une deuxième condamnation de trois ans et neuf mois de prison ferme en Espagne. En mars 2010, Faure Gnassingbé est réélu à la présidence togolaise. À l’été 2008, la société Necotrans est choisie face au groupe Bolloré pour exploiter la concession de Conakry. Mais la donne politique change. Le président guinéen meurt. Une junte militaire prend le pouvoir et conteste la gestion  du port.

Celle-ci est rapidement renversée, à la suite de massacres. Les Occidentaux s’en mêlent et des élections sont organisées. Principal opposant guinéen pendant des années, Alpha Condé se présente. Il a le soutien de Vincent Bolloré : sa campagne électorale est prise en charge par Euro RSCG Worldwide. Au premier tour, Alpha Condé ne recueille que 18 % des voix, largement devancé par son adversaire Diallo. Au deuxième tour, il l’emporte avec 52 % des suffrages. Le résultat est violemment contesté et réprimé. À partir de ce moment-là, Alpha Condé reprend tout en main, en particulier les mines, mais aussi le port. Le 8 mars 2011, des militaires guinéens déboulent sur le port, expulsent les salariés, saisissent tout dans les bureaux de Getma International, la filiale de Necotrans qui exploite la zone portuaire. Deux jours plus tard, une nouvelle concession du port est attribuée pour 25 ans au groupe Bolloré. Le 22 mars, Nicolas Sarkozy accueille en grande pompe Alpha Condé à l’Élysée pour sa première visite internationale.

Necotrans a porté plainte et finalement obtenu 3 millions de dommages et intérêts auprès du tribunal de Nanterre, avant de faire faillite à l’été 2007. Le groupe Bolloré a racheté ses actifs à prix cassé. « Le lien qui tente d’être fait par certains entre l’obtention de ces concessions et les opérations de communication est dénué de tout fondement économique et révèle une méconnaissance lourde de ce secteur industriel », se défend le groupe Bolloré, qui se dit prêt à collaborer pleinement avec la justice. « Depuis trente ans que le groupe travaille en Afrique, s’il avait fait des écarts, il aurait fait l’objet de poursuites. Or jusqu’à présent, il n’a fait l’objet d’aucune poursuite », assure un proche de Vincent Bolloré. Pourquoi, à ce moment-là, pense-t-on soudain aux morts du déraillement de Camrail, aux conditions miséreuses des travailleurs de la Socapalm ou des plantations de la Socfin, ou encore à l’accaparement des terres au Sierra Leone ?

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