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© Lepoint.fr : Propos Recueillis Par Agnès Faivre
- 24 Apr 2017 09:21:25
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FRANCE :: PRÉSIDENTIELLE FRANÇAISE - Louis Aliot : "Les Africains ne sont plus dans le schéma colonisation-décolonisation"
À échéance exceptionnelle, confidences exceptionnelles. Le vice-président du Front national se livre comme rarement sur l'Afrique.
L'eurodéputé Louis Aliot a adhéré au Front national en 1990. Vingt-deux ans après, il en devient le vice-président. Spécialiste des questions africaines au sein du parti d'extrême droite, ce compagnon de la candidate à la présidentielle Marine Le Pen s'est confié au Point Afrique.
Quelle est votre relation à l'Afrique ?
J'y ai des amis que j'ai connus à l'université pour la plupart, à Toulouse, quand je faisais mes études de droit… Et puis ma mère est née sur ce continent. C'était en Afrique du Nord, mais cela reste l'Afrique. Donc, je m'y intéresse depuis longtemps. Je suis déjà allé au Bénin, en Afrique du Sud, en Côte d'Ivoire, et plus récemment au Tchad… Je pense que c'est un continent qui a été sacrifié et qui a pourtant une élite prête à relever la tête, à s'investir, et qui souhaite ne pas être tributaire de ces influences, que, malheureusement, les gouvernements français ont exercées dans certains pays africains.
Vous parlez d'un « continent sacrifié ». Vous faites allusion à la relation entre la France et l'Afrique ?
Je fais allusion à la décolonisation, qui aurait eu lieu inévitablement, c'était dans la logique des choses. Mais elle s'est déroulée d'une drôle de manière, car la France est partie de nombreux pays de façon soudaine, en maintenant des systèmes en place qui étaient plus ou moins opaques, voire mafieux. Ceux-ci ont provoqué des coups d'État, tout en utilisant certaines richesses. Et aujourd'hui, le résultat de cette absurde politique, ce sont des populations en grande difficulté, alors que beaucoup d'argent a été distribué dans ces pays. Beaucoup d'argent a été gagné aussi par de grandes sociétés mondiales, sous pavillon français, et on voit un système de corruption endémique qui bloque tout développement dans de nombreux pays. Il faut donc sortir de tout cela, mais il n'y a qu'un choc pour en sortir.
Qu'entendez-vous par « choc » ?
Un choc démocratique. Il faut un président français qui mette vraiment fin à ça, et c'est ce qu'on propose. Il faut aboutir au respect des scrutins électoraux, là où certaines élections sont plus ou moins, disons « truquées ». L'exemple, c'est le Congo-Brazzaville. Le président de la République, François Hollande, est capable de dire dans son discours de Dakar en 2014 qu'il faut respecter la Constitution, les résultats des urnes… Un an après, au Congo-Brazzaville, on modifie la Constitution pour permettre à un chef d'État de s'y maintenir alors qu'il est au pouvoir depuis trente ans. Il y a une magouille totale des élections, un emprisonnement des opposants politiques, la persécution de régions entières opposées au président, et la France se tait, la France cautionne. Ce n'est pas possible.
Quand, justement, en octobre 2015, le président congolais Denis Sassou-Nguesso organise un référendum pour modifier la Constitution et pouvoir briguer un troisième mandat, vous organisez une conférence sur le Congo-Brazzaville, et vous écrivez une lettre à François Hollande…
Oui, et il a changé d'opinion à ce moment-là.
Que lui disiez-vous ?
Je lui disais qu'il fallait qu'il respecte les termes de son discours de Dakar sur le respect de la légalité, des constitutions, car, à la première occasion venue, il a soutenu un chef d'État qui s'emploie à modifier la Constitution. Donc, je lui ai signifié que ce n'était pas normal, et à ce moment-là, il a rédigé un communiqué expliquant qu'il critiquait la manière de faire… Bon, tout cela s'est fait de façon assez légère pour, in fine, continuer aujourd'hui à entretenir des relations avec M. Sassou-Nguesso, qui est d'ailleurs très proche de Manuel Valls, très proche de Mme Hidalgo, de M. Fillon, et voilà on continue comme en 40…
Il est très proche de Manuel Valls, d'Anne Hidalgo, de François Fillon ?
Anne Hidalgo était il y a quelques semaines à Brazzaville. Manuel Valls était très proche de l'entourage de Sassou-Nguesso…
On vous a vu, quant à vous, soutenir à ce moment-là un ancien membre du gouvernement congolais passé dans l'opposition, Guy Brice Parfait Kolélas. C'est un proche, c'est quelqu'un que vous soutenez encore aujourd'hui ?
Non, c'est quelqu'un que j'ai connu avant la présidentielle de 2002 dans le cadre des mes activités universitaires, et qui a travaillé avec nous pour organiser le voyage de Jean-Marie Le Pen en Afrique du Sud, pour aller voir Nelson Mandela. Et puis je l'avais perdu de vue. Et quand il s'est présenté contre Sassou-Nguesso lors de la présidentielle de 2016, le connaissant, je lui ai apporté effectivement mon soutien. Il a été emprisonné, assigné à résidence, et j'ai fait des courriers à Hollande, encore une fois, pour lui demander de faire pression sur Sassou afin que Kolélas soit libéré… Et voilà, il n'y a pas eu non plus de relation quotidienne, et aujourd'hui je n'ai plus de relation avec lui, car je crois qu'il s'est rangé derrière Sassou-Nguesso, de façon peut-être forcée d'ailleurs, d'autres candidats d'opposition étant toujours emprisonnés, parmi lesquels le général Mokoko ou Okombi Salissa.
Si Marine Le Pen était élue présidente de la République, quel type de relation entendriez-vous nouer avec les chefs d'État qui ne respectent pas les processus électoraux ?
Il faut peser de tout notre poids pour que les scrutins soient respectés, avec les observateurs, etc. Et ensuite il y a l'aspect droits humains. Quand des régimes sont capables d'aller dans des régions comme le Pool pour tuer des dizaines, des centaines de personnes, pour mater la contestation dans le sang, là, je pense que la France doit faire œuvre d'autorité avec ces pays-là, et signifier qu'elle couperait les relations avec ces chefs d'État au cas où ils ne respecteraient pas les droits humains. Et ça, ce n'est pas fait, car, jusqu'à présent, vous avez des réseaux de corruption qui sont toujours en place.
Est-ce que les chefs d'État ne composent pas parfois aussi avec le lobby des affaires et les intérêts économiques ?
Il vaut mieux jouer franc jeu et défendre la démocratie et les droits de l'homme, et il n'y a pas de raison que cela nuise à nos intérêts économiques. Car je pense que si demain l'opposition arrive au pouvoir, il y aura une volonté d'écarter la France, qui n'aura pas été très claire avec ces gens-là. Il faut un discours plus ferme et plus honnête. Il ne faut pas prendre les Africains pour des imbéciles. Ils ont des élites bien formées et une classe moyenne qui commence à émerger. Il faut arrêter de jouer au colonisateur économique.
Vous adoptez le discours de militants anti-Françafrique, ou de la gauche radicale…
L'extrême gauche a aussi cautionné ce qui se passait, tout dépendait du dictateur en place, s'il était d'obédience marxiste-léniniste ou trotskiste. Il s'agit d'une faute collective de l'ensemble des forces politiques françaises, et il est l'heure de sortir de ce schéma-là, car je pense que l'Afrique sera le continent du développement de demain. Elle a un rôle majeur dans le contrôle des flux migratoires pour l'avenir.
Avez-vous des liens avec d'autres opposants ou responsables politiques africains ? On a entendu parler de votre proximité avec des partis d'opposition ivoiriens ou gabonais ?
On est en contact avec beaucoup d'autres pays que ceux-ci, avec des gens qui nous rencontrent et veulent discuter avec nous, et pas seulement des opposants. J'ai été reçu il y a trois semaines par l'ambassadeur d'Afrique du Sud. On veut dialoguer avec tout le monde. Ils sont sensibles à nos idées de partenariat d'égal à égal, et à notre pari sur le développement du continent africain. Ils ont des problèmes, nous pouvons les aider, et eux peuvent nous aider à résoudre les nôtres.
Comment envisagez-vous les relations économiques entre la France et l'Afrique ?
La France a beaucoup perdu au niveau économique. Elle doit arrêter de nouer des partenariats privilégiés, dans les pays pétroliers, ou dans les ports, où certains font fortune, comme M. Bolloré. Ces gens-là ont besoin de formation, d'agriculture, de santé, d'éducation, de formation… Sur tout cela, la France s'est évaporée, alors qu'elle pouvait apporter son savoir-faire et contribuer au développement pour faire en sorte que les populations puissent vivre dans leurs cultures d'origine, dans leur pays, plutôt que de partir à l'aventure dans une immigration incontrôlée.
Quels types de partenariats économiques souhaitez-vous mettre en œuvre ?
Il y a de grands projets de voies ferrées, de barrages. Je pense qu'il faut partir sur de grands projets aujourd'hui. Il y a aussi l'agriculture, non pas pour venir concurrencer nos produits agricoles, mais pour nourrir l'Afrique, ce qui n'est pas fait. Il faut une stratégie à long terme de partenariat, et non de dominé à dominant. La France n'est pas présente aujourd'hui là où les Chinois, les Américains, et même, on l'a vu au Tchad, les Espagnols et les Italiens, sont en train de prendre des parts de marché au détriment de la France.
Vous parlez de voie ferrée, mais c'est un projet où nombre de compagnies, quelle que soit leur nationalité, se sont cassé les dents... Comment la France peut-elle s'imposer sur ces marchés réputés difficiles ?
Il faut qu'il y ait une véritable stratégie de planification de transport. Il s'agit de désenclaver des territoires. Il ne faut pas faire des voies ferrées pour faire des voies ferrées.
Si des entreprises refusent de s'y engager aujourd'hui – à l'exception des entreprises chinoises – pourquoi iraient-elles demain ?
Si l'entreprise est sûre d'être payée, de ne pas tomber dans des réseaux mafieux de corruption, si elle est sûre qu'il y a un avenir… Le problème est là : beaucoup investissent sans savoir comment le vent va tourner dans les années qui viennent, ce qui ne sécurise pas les investissements dans l'avenir.
Envisagez-vous d'orienter davantage les partenariats économiques vers les pays « utiles », où le climat des affaires est meilleur ?
Il y a des pays qui aiment la France sur ce continent, qui regrettent que les Français ne soient pas plus présents, dans le domaine de l'entreprise ; et pourtant on voit qu'il y a une espèce de méfiance, de mauvaise conscience. Or, les Africains ne sont plus dans le schéma colonisation-décolonisation. Ils ont tourné la page. Ils veulent vivre et se développer. Et on n'a pas à avoir mauvaise conscience à vouloir réinvestir sur le continent africain, non pas dans une volonté de domination, mais dans une volonté de partenariat.
Ces partenariats, vous les imaginez donc avec tous les pays africains ?
Il faut faire du « tous azimuts », mais avoir à l'esprit que la francophonie est un avantage significatif.
Vous parliez également d'agriculture, quels types de partenariats souhaitez-vous mettre en place dans ce secteur ?
D'abord, il faut faire de l'agriculture pour les Africains, pas pour importer des produits chez nous. On a été témoins d'investissements colossaux au Tchad, dans des projets qui ont été abandonnés, car il n'y a pas de stratégie à long terme.
Vous faites référence à des investissements dans le cadre de projets français ?
Des projets français, de la FAO (Agence de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture), de l'Europe, ou des choses comme ça. Il y a quelquefois des projets qui sortent de terre, pendant cinq ans, ça marche, et puis après, ça s'arrête. Plus personne ne sait pourquoi. Les gens n'ont pas été formés, il n'y a plus d'investissement, plus d'argent, tout le monde abandonne, et on se retrouve sur des terrains qui étaient encore cultivés il y a une dizaine d'années, et qui ne le sont plus, car il n'y a pas de stratégie.
Vous pensez que l'Agence française de développement n'a pas de stratégie claire, par exemple ?
Je pense que ça manque de clarté et aussi de stabilité en Afrique. Tant qu'il y a des guerres civiles et la confiscation du pouvoir par des castes, eh bien, les investissements à long terme ne se feront pas.
Êtes-vous favorable à une augmentation de l'aide au développement afin de respecter l'objectif d'y consacrer 0,7 % du revenu national brut (RNB) ?
Oui, nous y sommes favorables. Je vois ce que fait l'Europe, et je préférerais que la France ait une véritable politique de développement, de partenariats, plutôt qu'un saupoudrage généralisé à des associations, des entreprises et parfois des municipalités et des régions qui ne sont pas efficaces.
Comment rendre l'aide plus efficace ?
Il faut la centraliser au niveau des États et en contrôlant qu'elle arrive bien à destination. Si vous financez un pont, il faut financer un pont, et ne pas arroser dix intermédiaires. Tout cela demande un contrôle rigoureux et un partenariat avec les pouvoirs en place. Malheureusement, on en a perdu l'habitude, car les circuits qui existent entre la France et l'Afrique sont véreux.
Vous pensez que les acteurs du développement ne se préoccupent pas aussi de ces circuits ?
Si, parfois. Mais il faudrait vraiment un organisme de contrôle. Je suis à la commission du Développement à la Commission européenne, et sur certains projets, ils ne savent pas où est passé le financement. Il y a une évaporation de l'argent donné qui est scandaleuse.
Êtes-vous favorable à un retrait du franc CFA ?
On en a parlé avec le président Déby, au Tchad. Évidemment, cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, mais cela fait partie de la souveraineté de l'Afrique. Même si c'est utile aujourd'hui dans les échanges avec certains pays, je pense que le CFA est voué à être abandonné pour une autre monnaie plus africaine et moins dépendante de la France.
Vous vous engagez donc à accompagner le retrait de cette monnaie ouest-africaine si les chefs d'État de la région l'exigent, et si Marine Le Pen arrive au pouvoir ?
Oui, on accompagnera d'une manière progressive, et par paliers, la restructuration, du franc CFA vers une monnaie régionale, ou autre, selon ce que décideront les chefs d'État.
Vous avez salué l'intervention militaire française au Mali... Que pensez-vous de l'opération Barkhane aujourd'hui ?
Heureusement que Barkhane est là, et heureusement que le Tchad joue le jeu. Tout cela reste fragile, et la déstabilisation de la Libye est un facteur d'inquiétude pour l'avenir de l'ensemble de la région. La présence française est encore indispensable, et il faut à présent former les armées, jouer le jeu des armées des pays d'origine, et ne pas avoir l'intention d'y rester cinquante ans... Il ne faut pas que ce soit du provisoire qui dure.
Quelle est votre position sur la présence militaire française en Afrique ?
Nous souhaitons la renforcer, mais rien ne peut se faire sans la volonté des États où les soldats français sont basés. Et je préfère que la France s'investisse dans des bases militaires africaines qui sont aussi des points économiques importants plutôt que d'aller s'engager à Abu Dhabi ou je ne sais où.
En matière d'immigration, vous faites du codéveloppement un instrument de lutte, mais, jusqu'à présent, cela n'a pas vraiment freiné l'émigration, que comptez-vous mettre en place ?
Le codéveloppement ne produit pas de résultats, car la corruption a tout miné et que l'argent qui est destiné au fonctionnement des écoles, des hôpitaux, n'arrive pratiquement jamais à destination. Il faut dire les choses telles qu'elles sont. On sait qu'il y a aussi une évaporation des fonds des partenariats entre certaines écoles de formation de l'administration et la France, et ça ne vient pas que de l'Afrique.
Sur quelles données vous basez-vous pour affirmer cela ?
Je me base sur des récits de gens qui vivent là-bas, sur le fait qu'il faudrait faire un audit à un moment donné, ou sur ce que je vois, moi, à la Commission européenne où vous avez des sommes versées sur des projets qui n'arrivent jamais à destination. L'argent est décaissé de l'Europe et encaissé sur place, et il n'y a pas de bilan, il n'y a pas d'école, pas d'équipement…
En rendant le codéveloppement plus efficace, vous allez juguler l'immigration ?
Non, cela ne suffit pas. Le problème de l'immigration est un problème de développement. Nous devons faire notre possible pour que l'Afrique se développe, pour que, par un phénomène naturel, les flux migratoires s'inversent. S'il y a du travail, la paix, la sécurité, il n'y a aucune raison que les Africains soient poussés à venir en Europe, qui est économiquement exsangue.
En matière de lutte contre l'immigration, vous entendez privilégier des programmes de retour et de réinstallation des migrants dans leur pays d'origine. Comment cela peut-il fonctionner ?
Pour l'instant, c'est une question très difficile, car on ne parle pas de la même chose entre Européens et Africains. On ne se comprend pas sur la définition de « réinstallation ». Les Africains disent : « On a besoin de certains cerveaux partis en Europe » et ils veulent qu'on les aide à rapatrier des compétences ; et nous, on veut aider à ce que certains migrants reviennent dans leur pays d'origine. Ce n'est pas clair. Et puis, il y a aussi des pays qui font de la résistance, comme le Mali.
Au Mali, l'aide envoyée par les Maliens de France constitue une manne financière non négligeable pour le développement du pays…
Mais tout ça, ça se gère, et la France doit peser de tout son poids sur le gouvernement malien pour se développer, se former. Sans l'intervention militaire de la France, le Mali n'existerait plus. Il faut qu'ils en aient conscience.
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