Les grandes figures de l’histoire du Cameroun : de 1945 à 1961, Enoh Meyomesse
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Les grandes figures de l’histoire du Cameroun : de 1945 à 1961, Enoh Meyomesse :: CAMEROON

Cet ouvrage retrace les seize années cruciales de l’histoire du Cameroun, à savoir celles qui partent de 1945 pour s’achever en 1961, qui l’ont conduit à l’indépendance et à la réunification. Il traite cette période à travers les principaux personnages qui y ont joué un rôle décisif.

Introduction

Lorsque s’achève le second conflit mondial en 1945, la France est ruinée et en partie dévastée. En plus, sa population est moralement et profondément traumatisée devant ce qui lui est arrivé. Sa classe politique n’a qu’une ambition, en refaire une grande puissance mondiale. Pour cela, elle compte sur le génie des Français, mais également énormément sur l’exploitation de ses colonies et territoires associés d’Afrique.

Mais dans le même temps, cependant, d’une part les mentalités dans les colonies ont changé au point où la peur de l’homme blanc a considérablement régressé, et les peuples sont prêts à se battre de nouveau pour leur liberté perdue par l’invasion coloniale, d’autre part, les Etats-Unis d’Amérique exercent des pressions sur le gouvernement français afin qu’il fasse évoluer le régime colonial, voire carrément qu’il l’abolisse.

Devant cet état de choses, la France entame des réformes non pas pour octroyer l’indépendance aux peuples qu’elle colonise, mais plutôt pour les maintenir sous sa domination. Elle entreprend ainsi « d’humaniser » le régime colonial, en décidant de plus ou moins associer les peuples colonisés à la décision politique, dans l’espoir de leur faire perdre tout désir d’indépendance.

Mais, peine perdue, les réformes qu’elle entreprend vont plutôt produire un effet totalement contraire. Les colonisés vont s’en servir pour l’acculer et finalement lui arracher la proclamation de leur indépendance.

La Grande-Bretagne connaîtra exactement le même sort face à ses colonies.

Au Cameroun, plusieurs personnes se sont jeté dans la bataille pour la liberté, et en ont subi les dramatiques conséquences : emprisonnements, assassinats, et exil. L’indépendance du Cameroun a été ainsi la plus sanglante de toutes les colonies et territoires associés de la France en Afrique noire, parce que les Camerounais ont affronté la France coloniale alors que celle-ci venait de connaître une humiliation en Indochine à travers la retentissante défaite de son armée à Dien-Bien-Phu, et qu’elle était de nouveau en guerre en Algérie, ces deux événements s’étant produits en 1954.

Dans les pages qui suivent, les noms de quelques-uns des protagonistes de cette lutte héroïque pour la liberté sont évoqués, et leur action est succinctement présentée.

Ahmadou Ahidjo : premier Président du Cameroun.

Ahmadou Ahidjo est entré dans l’Histoire comme ayant été le second Premier ministre du Cameroun sous administration française et le premier Président de la République du Cameroun, au lendemain de la proclamation de l’indépendance, le 1er janvier 1960.

Le personnage.

Ahmadou Ahidjo est né à Garoua le 24 août 1924. Il connaît une enfance classique de jeunes de son époque dans la région du nord en zone musulmane. Ecole coranique d’abord, puis officielle ensuite. Quand il n’a pas classe, il se rend dans les pâturages avec ses camarades de jeu, pour faire paître les moutons. Quand ce ne sont pas les moutons, ce sont les bœufs. Il n’a pas vraiment connu son père et est plutôt élevé par sa mère de condition modeste. Il est ainsi élevé sans grand confort.

Mais, cette origine modeste deviendra finalement un grand atout pour lui. En effet, les notables rechignent à laisser leurs gosses fréquenter l’école occidentale, et y envoient plutôt ceux de leurs serviteurs. C’est de cette manière que le jeune Ahmadou Ahidjo se retrouve dans une école française après l’école coranique. Il y obtient son Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires, C.E. P.E., en 1939, pendant que la guerre se déclenche en Europe.

Ce diplôme en poche, il est quelque temps oisif à Garoua et finit par se faire recruter comme assistant vétérinaire par l’administration coloniale. Ce sera son tout premier emploi.

Mais en même temps, l’administration a déjà lancé une politique d’équilibre régional au Cameroun. Il lui faut promouvoir les jeunes de toutes les régions du pays. Ahmadou Ahidjo qui est déjà un fonctionnaire, se voit retenu parmi les élèves appelés à poursuivre leurs études dans une Ecole Primaire Supérieure (1). Il en existe une à Bongor au sud du Tchad, non loin de Garoua, et une autre très loin, à Yaoundé, au sud du pays. Ahmadou Ahidjo se voit affecté à l’Ecole Primaire Supérieure de Yaoundé. Il émigre ainsi dans cette ville. Nous sommes en 1940.

A l’époque, il ne connaît personne à Yaoundé. La communauté fulbé, dont il est originaire, y est quasi-inexistante à cause des restrictions de déplacements auxquels étaient soumis les « indigènes » par l’administration coloniale. En tout cas, elle y compte très peu de personnes. Par bonheur, les élèves de cette école sont tous à l’internat, et sont de ce fait nourris gratuitement, habillés et même disposent de blanchisseurs. Rien d’étonnant à cela, ils sont des privilégiés qui vont servir dans l’administration publique à la fin de leur formation. Leurs déplacements en période de vacances scolaires sont pris en charge par le budget de l’Etat.

Dans cette école, Ahmadou Ahidjo se lie d’amitié avec un de ses camarades dont les parents habitent Yaoundé : Onana Awana Charles. Ce dernier le présente à sa famille, et il y est aussitôt adopté. La maman d’Onana Awana devient ainsi la seconde mère d’Ahmadou Ahidjo. (2) Elle se met à veiller sur lui comme sur son propre fils. Onana Awana Charles et lui deviennent ainsi des quasi-jumeaux auprès de cette dame. Grâce à son séjour à Yaoundé, Ahidjo se met à parler couramment la langue éwondo en plus du fufuldé.

A la fin de sa scolarité à l’Ecole Primaire Supérieure, il est intégré dans la fonction publique coloniale en qualité de fonctionnaire des Postes et Télécommunications, PTT, en 1944. Il a vingt ans. Il est aussitôt affecté au bureau de poste de la ville de Bertoua. Il y loge au quartier « indigène », Mokolo.

L’entrée en politique.

Lorsque s’achève la guerre en Europe, le gouvernement français se retrouve contraint de faire évoluer le régime colonial, de peur de voir naître des mouvements insurrectionnels dans ses différents territoires qu’elle occupe. Il entreprend des réformes qui aboutissent à l’octroi du droit de vote aux « indigènes », et à la création d’Assemblée territoriales où ces derniers sont autorisés à siéger. Au Cameroun, il est créé l’Assemblée Représentative du Cameroun, ARCAM.

Cette assemblée présente les caractéristiques suivantes :

1/- elle doit comporter des représentants de toutes les régions du Cameroun ;

2/- elle doit également comporter des élus blancs ;

3/- elle est divisée en deux « collèges », selon les races, un 1er « collège » pour les Blancs, et un 2nd pour les Noirs ;

4/- tous ses membres ne sont pas élus, une partie est nommée par le haut-commissaire de la république française au Cameroun ;

5/- enfin, c’est une assemblée « représentative » comme son nom l’indique, c’est-à-dire, dénuée du pouvoir législatif. Elle ne vote pas de lois.

En sa qualité « d’évolué » (3) du nord travaillant déjà au sud, Ahmadou Ahidjo y effectue son entrée sur désignation par le haut-commissaire de la France au Cameroun. Ce dernier est ainsi son géniteur politique. (…)

La défaite électorale de 1951.

1951. L’Assemblée Nationale Française doit être renouvelée. Un scrutin est organisé dans les territoires coloniaux français d’Afrique, ainsi que dans les deux territoires associés que sont le Cameroun et le Togo. Les « indigènes » peuvent se porter candidats. Le Cameroun y dispose de trois sièges. Le scrutin est divisé en trois circonscriptions électorales, une pour le nord, une pour le centre, une pour le sud. Ahmadou Ahidjo choisit de se porter candidat dans la circonscription électorale du nord, d’autant qu’il est déjà Délégué de la Bénoué à l’ARCAM.

Toutefois, la tâche ne lui est pas facile.

D’abord, il n’est pas encore suffisamment accepté par les féodaux de la région, qui lui préfèrent encore Ahmadou Mahondé. En conséquence, ceux-ci ne donnent pas de consignes de vote favorable à sa candidature. Pis encore, ils le combattent quasi-ouvertement.

Ensuite, dans la circonscription électorale, il y a le Guadeloupéen Jules Ninine, qui est également candidat et est particulièrement influent. Il est d’autant plus avantagé que d’une part il est candidat à sa propre succession, d’autre part il est de nationalité française, à la différence d'Ahidjo. Enfin, il est en bonne entente avec l’administration coloniale, pour ne pas dire qu’il bénéficie de son soutien.

Enfin, une campagne électorale nécessite de gros moyens, et Ahidjo n’en dispose pas encore, à la différence de Ninine.

Malgré tout, la campagne s’ouvre. Ahmadou Ahidjo entreprend tant bien que mal d’attirer à lui le vote déterminant des lamido avec leurs sujets : en vain.

Ceux-ci disposent en effet de par leur statut, d’une voix qui peut faire élire ou battre n’importe quel candidat, selon le mot d’ordre qu’ils donnent. Leurs milliers de sujets s’exécutent docilement. A l’issue du scrutin, Ahmadou Ahidjo est battu, tout simplement, par Jules Ninine. (…)

Endeley Emmanuel : l’intégration du Southern Cameroon au Nigéria.

Le rôle déterminant d’Endeley Mbella Liffaffa Emmanuel dans l’histoire du Cameroun est peu connu des Camerounais, tellement son image a été obscurcie par ses prises de position anti-réunification de dernière minute. Et pourtant, il a joué un rôle majeur dans la conscientisation des populations de la « zone anglaise » en vue de la reconstitution de la patrie dans ses frontières d’avant le partage colonialiste de 1916. Bien mieux, il a été le tout premier Camerounais qui a exercé les fonctions de Premier ministre au Southern Cameroons.

Le personnage.

Endeley Mbella Liffaffa Emmanuel est né le 10 avril 1916 à Buéa, soit juste un mois après la division colonialiste du 04 mars 1916. Il est ainsi le cadet de trois ans de Ruben Um Nyobè, né en 1913, a le même âge que John Ngu Foncha, né également en 1916, et l’aîné de huit ans d’Ahmadou Ahidjo, né en 1924. Il fréquente l’école de la Mission Catholique Romaine de Bojongo en « zone anglaise », et l’Ecole Indigène de la ville de Buea. Puis, en 1931, il part pour le Nigeria où il s’inscrit au Yaba High College d’Umuahia. Cette ville située entre Port Harcourt et Enugu, qui se trouve en pays Igbo, est actuellement la capitale de l’Etat d’Abia, au sud-est du Nigeria.

Tout gosse, il est le témoin des brimades coloniales et, tout particulièrement, de la ségrégation raciale que pratiquaient sans vergogne les Anglais dans les actuelles régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. En effet, de nombreuses échoppes et lieux publics sont interdits aux Noirs un peu partout, en « zone anglaise ». Il y règne une sorte d’Apartheid qui ne dit pas son nom. (4)

Arrivé à Umuahia, il retrouve la même ségrégation raciale et les mêmes brimades à l’endroit des Noirs. Cela le marque profondément. Pis encore, il y découvre quelque chose d’encore plus grave : le statut de sous-homme, face aux Nigerians, qui est celui réservé aux Camerounais de la « zone anglaise » vivant au Nigeria. Ils sont des sujets de l’empire britannique, au même titre que les Nigerians, mais en plus, en quelque sorte des « sujets » du Nigeria lui-même. Cela le révolte énormément.

Ces brimades et cette double discrimination que subissent tous les Camerounais vivant au Nigeria sont telles que ceux-ci décident de créer, le 27 mars 1940, une association qu’ils dénomment Cameroon Youth League. Endeley y est élu Secrétaire Général. Elle vise à regrouper les étudiants camerounais inscrits dans des établissements scolaires au Nigeria, en vue de défendre leurs intérêts communs face aux autorités anglo-nigérianes. Elle se présente en même temps comme un embryon de mouvement nationaliste, qui exalte la grandeur du pays natal dans cette terre d’exil nigériane. Enfin, elle est un mouvement de solidarité et d’entre ‘aide d’étudiants camerounais, voire des Camerounais tout court résidant au Nigeria.

Ses études secondaires achevées, il change de ville. Il se rend à Yaba, et s’inscrit à la Nigerian School of Medicine of Yaba. Il en sort diplômé avec pour spécialité, la chirurgie en 1943. Il est alors affecté à l’hôpital de Port Harcourt, d’abord, puis à Lagos.

Mais, l’exil lui pèse beaucoup, et il a une grande nostalgie du pays. Bien mieux, il estime que celui-ci à davantage besoin de lui que le Nigeria où, après tout, il n’est qu’un étranger. En 1945 finalement, il se fait nommer médecin chef à Buea. C’est le retour au pays, après plusieurs années passées au Nigeria. (…)

Ministre au Nigeria.

Sur la base de cette double élection, et en sa qualité de leader politique incontesté de la région de l’extrême-est du Nigeria, à savoir le Southern Cameroon, il est désigné, la même année, au gouvernement fédéral à Lagos, au poste de Ministre du Travail. A Enugu, dans le gouvernement de la région de l’est du Nigeria, Tandeng Muna est également nommé au même poste, à savoir Ministre du Travail.

La « Constitution Macperson », du point de vue des Camerounais de la « zone anglaise » satisfait à moitié leurs attentes. Elle crée une administration autonome de la région de l’est du Nigeria, et y rattache le Southern Cameroon. Ils désirent la transformation totale de leur territoire en une région à part entière et également autonome, autrement dit, différente de la région de l’est du Nigeria. Dès l’année 1953, les élus du Southern Cameroon au Nigeria, critiquent ouvertement la mainmise et la condescendance des Nigérians à leurs égards. Le 30 Juillet 1953, à travers une motion, ils réclament officiellement leur propre Etat séparé. Le 22 Août 1953, les autorités coloniales acceptent le principe de l'autonomie de la province. Finalement, en 1954, le Southern Cameroon obtient sa propre administration avec pour capitale Buea. Il devient effectivement et enfin autonome de la région de l’est du Nigeria. C’est la matérialisation des dispositions de l’accord de tutelle du 13 décembre 1946. Celui-ci en fait un territoire sous tutelle des Nations Unies et à l’administration confiée uniquement à la Grande-Bretagne, et non conjointement au Nigeria. C’est une évolution décisive.

Moumié échappe à l’arrestation.

Le 26 mai 1955, le Dr Félix Moumié se rend le matin à son bureau de l’hôpital Laquintinie. A peine avait-il entamé la tournée de ses malades, que le médecin-chef de l’hôpital, un médecin militaire français du nom de Merle, reçoit successivement deux appels téléphoniques. Le premier demande si le Dr Moumié est bien à son bureau. « Oui, il est là », répond le Français. Le deuxième appel l’informe que la police est en route pour procéder à l’arrestation de son collègue « indigène ».

Par solidarité de corps, le Dr Merle informe Moumié qu’il doit rapidement quitter l’hôpital avant l’arrivée de la police. Moumié ne demande plus son reste. Il se sauve à toute vitesse de l’hôpital par le portail arrière de celui-ci aujourd’hui fermé, pendant que la police y effectue son entrée par le portail avant. Il échappe ainsi de justesse à l’arrestation. Pendant cinq longs jours, une battue de la police est organisée à travers la ville de Douala pour le retrouver. Seule solution pour échapper aux forces coloniales : l’exil.

Départ pour l’exil.

Lundi le 30 mai 1955, il part pour la ville de Kumba, en zone d’occupation anglaise, déguisé en femme, pour échapper à la police. Il s’est fait épiler les sourcils et couper les cheveux. Il porte un foulard à la tête et des sandales de femmes aux pieds. Son beau-frère Otye Gustave, le transporte derrière sa moto, une « Triumph ». Celui-ci le dépose à Kumba, en passant par Loum, car l’axe Douala-Tiko n’existait pas encore. Aux différents contrôles de police, personne ne soupçonne que la dame que transporte ce motocycliste est l’un des hommes les plus recherchés du Cameroun en ce temps-là.

Il rejoint à Kumba les très nombreux patriotes camerounais ayant échappé aux arrestations, aux tortures et aux assassinats de la police et de l’armée coloniales.

Expulsion de la « zone anglaise ».

Mais, là-bas, bien vite, au début de l’année 1957, sur pression de l’administration coloniale française, ces réfugiés politiques sont déclarés indésirables au Southern Cameroon par les colonialistes britanniques.

Le 13 juin 1957, à quatre heures du matin, la police anglaise fait irruption dans les différents domiciles des upécistes. Ils sont tous arrêtés et embarqués vers une destination inconnue, à bord de deux véhicules. Finalement, ils sont débarqués à Victoria (Limbe), puis enfermés dans leur « white house » (maison blanche) tout à côté du bureau de police. Au bout de plusieurs jours de cellule, Moumié finit par interpeller un jeune policier pour lui dire : (…)

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