"Le Bachelor", sapeur sachant saper
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FRANCE :: "Le Bachelor", sapeur sachant saper

Au cœur de Château Rouge, à Paris, « Le Bachelor » habille les sapeurs néophytes et avertis depuis près de dix ans. Rencontre avec un phénomène.

« Je me présente comme étant le plus bel homme de Paris. Ca peut déplaire mais je m'en moque, c'est comme ça. » Dès le début de l'interview, Jocelyn Armel dit « Le Bachelor » donne le ton. Lorsque nous le rencontrons, il rentre tout juste d'un mariage. Il avait oublié notre rendez-vous mais malgré la fatigue il nous accueille avec bonne humeur dans sa petite boutique « rue de Panama, à Paname. Il y a des hasards heureux ! » Ici le créateur vend des costumes colorés, rayés, fleuris ou à pois et l'attirail de tout sapeur qui se respecte. Dans la vitrine, une photo dédicacée d'Alain Mabanckou et deux romans du célèbre écrivain franco-congolais, fervent défenseur de la sape (société des ambianceurs et personnes élégantes) et ami de Bachelor. Celui-ci n'est pas peu fier de l'avoir habillé pour sa leçon inaugurale au Collège de France, tout comme il habillait Papa Wemba, figure reconnue de la sape et célèbre chanteur de rumba décédé en avril dernier.

Un engouement au-delà de la communauté congolaise

« Lorsque j'ai ouvert ma boutique ici en 2005, on m'a dit : Tu es fou de t'installer là-bas, au milieu des vendeurs à la sauvette et d'un marché principalement alimentaire. Certains Africains qui avaient réussi n'assumaient pas la population de ce quartier. J'ai ouvert une boutique rue Caulaincourt mais l'enseigne m'a coûtée 5 000 € à elle toute seule ! J'ai dû fermer au bout de deux ans… » Aujourd'hui, Bachelor s'est fait un nom dans le milieu. Sa clientèle ne se cantonne plus aux sapeurs congolais avérés. Il estime que 60 % est occidentale. Des célébrités comme le présentateur Ariel Wizman ou l'acteur Vincent Pérez, qui passe justement le voir ce jour-là, ont contribué à asseoir sa réputation en venant acheter leurs costumes ici. « On a apporté une certaine visibilité à ce quartier », estime celui qui figure cette année parmi les 100 personnalités de Paris d'après le City Guide Louis Vuitton. « La sape apporte un peu de légèreté malgré les difficultés de la vie, c'est un état d'esprit. Mes créations rendent les gens heureux, c'est mieux que le doliprane », ajoute-t-il malicieusement.

Une réponse au métissage social en France

Bachelor arrive à Paris en tant qu'étudiant. Il fait ses classes dans la boutique du célèbre créateur de mode Daniel Hechter. « À l'époque je faisais souvent mon shopping là-bas, ils me connaissaient. Un jour une vendeuse est partie, ils cherchaient quelqu'un pour la remplacer et comme j'avais la « tchatche », ils m'ont proposé de prendre sa place. J'ai boosté leurs ventes ! » déclare-t-il fièrement. Au travail, il n'y a pas de dress code, lui porte des costumes colorés. « J'étais déjà dans la sape avant même d'être né. » Les clients apprécient son style. « Je faisais remonter l'information sans qu'elle ne soit jamais vraiment prise en compte. J'avais conscience qu'on allait vers un vrai métissage vu la composition sociologique de la France, mais l'offre vestimentaire à Paris ne le reflétait pas. » En 1998, il crée sa marque Connivences, mais à l'époque il vend ses créations à domicile. Lorsque sa mère lui cède son ancien restaurant à Château Rouge, il saute sur l'occasion et y ouvre sa boutique.

L'emblème d'une africanité assumée

Il assure y défendre une certaine vision de l'Afrique. « Au-delà du bling-bling, la sape joue un rôle important pour nous, c'est une quête identitaire qui ne dit pas son nom. Avant on subissait le système, on était obligés de se conformer à une norme vestimentaire. C'est un mouvement global, avant on n'aurait jamais vu personne avec des cheveux afro par exemple, aujourd'hui il y en a de plus en plus et ça participe de la renaissance d'une certaine Afrique. » Il souligne une volonté de s'assumer chez les jeunes qui sont nés ici mais dont les parents sont originaires du continent, « un sapeur n'aurait jamais osé porter un nœud papillon en wax avant, ils étaient eux-mêmes complexés quelque part. Les jeunes issus de l'immigration, eux, n'hésitent pas à exhiber des nœuds papillons et des cravates aux couleurs de chez nous », s'enthousiasme-t-il. Il a d'ailleurs lancé une ligne slim fit (des pantalons aux coupes plus près du corps) correspondant mieux à la demande de cette jeunesse métissée.

Une volonté de rayonnement africain

Mais Bachelor voit plus loin. « Mon rêve serait d'implanter mon siège social dans une capitale africaine. En tant que marque on a un rôle social à jouer, on se doit de participer à l'émancipation du continent. Je voudrais faire de Connivences une marque d'inspiration franco-congolaise, mais d'implication économique africaine. Si moi je n'y songe pas, ce n'est pas Armani qui le fera. L'Afrique, ce n'est pas son marché ! » Il déplore que Brazzaville, capitale internationale de la sape, ne voie pas les retombées économiques de ce phénomène. « La plupart des costumes portés à Brazzaville viennent de l'étranger. On me félicite en disant C'est bien, c'est un Congolais qui a percé, mais qu'est-ce que le Congo a fait pour moi ? C'est la France qui a fait Connivences. La sape ne profite pas aux Congolais », regrette-t-il amèrement. Lorsqu'on lui demande s'il a l'intention de s'implanter dans sa capitale natale, il s'emporte : « Je suis un panafricaniste convaincu, je ne suis pas marié au Congo ! J'irai là où il y aura des opportunités et pour l'instant il n'y en a pas à Brazzaville. » Le créateur a le regard rivé vers Dakar, Abidjan, Kigali ou Addis Abeba… « En Éthiopie ils fabriquent des chaussures destinées à l'exportation vers l'Europe, ça veut dire qu'on en est capables, il y a un savoir-faire incontestable ! »

Une volonté d'émancipation des mentalités

Sous ses airs de beau parleur, toujours prompt à la plaisanterie, Bachelor a une véritable vision pour le continent. Il mène un combat contre les mentalités, encore trop fermées d'après lui. Alors que le mouvement même de la sape est né d'une réappropriation émancipatrice des codes vestimentaires des anciens colons français, certains sapeurs se refusent aujourd'hui à porter des marques africaines, les jugeant moins prestigieuses que les marques européennes. Il s'étonne de voir Denis Sassou Nguesso, pourtant estampillé « président le mieux habillé d'Afrique », ne porter que des costumes européens. Bachelor ne comprend pas que le chef de l'État ne profite pas de sa fonction pour mettre les artisans locaux en lumière. « Moi si aujourd'hui je suis fréquenté, c'est parce que les médias français ont fait ma réputation. Nous sommes parfois les fossoyeurs de notre propre avenir. La sape ne pourra pas véritablement porter ses fruits tant qu'on n'aura pas nos propres marques. Certains sont encore réfractaires au « made in Africa », ils n'ont pas cette fierté-là, c'est un long processus de décolonisation mentale… »

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