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© Lemonde.fr : Joan Tilouine
- 07 Apr 2016 22:00:16
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« Panama papers » : comment le pétrole congolais s’évapore dans les paradis fiscaux
Depuis les hôtels luxueux du bord de mer à Pointe-Noire, capitale économique du Congo-Brazzaville, le ballet pétrolier se livre à l’œil nu. Les torchères scintillent au-dessus des plates-formes d’où est extrait l’or noir en eau profonde. On distingue dans la brume les tankers qui glissent au large, chargés de pétrole brut ou raffiné qui assure 75 % des revenus d’un Etat parmi les plus corrompus d’Afrique.
Mais l’essentiel est ailleurs, opaque. Car la richesse de ce petit pays d’Afrique centrale, dirigé depuis trente-deux ans par Denis Sassou-Nguesso, 72 ans – et réélu le 20 mars pour au moins cinq ans supplémentaires – s’évapore dans des complexes circuits financiers offshore que seuls maîtrisent certains membres de la famille au pouvoir et une poignée de traders qui leur sont proches. En 2015, le Congo a produit 290 000 barils de pétrole par jour. Mais plus de la moitié des 4,4 millions d’habitants vit toujours sous le seuil de pauvreté.
Lucien Ebata, 47 ans, est l’un de ces intermédiaires liés à la famille Sassou-Nguesso. Domicilié de l’autre côté du fleuve Congo, à Kinshasa, cet homme d’affaires est à la tête d’Orion Group SA, au capital autorisé de 10 millions de dollars (8,8 millions d’euros). Cette holding établie en Suisse est immatriculée aux Seychelles depuis 2009 par la firme panaméenne Mossack Fonseca, via la société luxembourgeoise Figed, selon les documents consultés par Le Monde. L’activité principale du groupe, qui compte plusieurs filiales, est la commercialisation de produits pétroliers. Parmi ses clients, on trouve la major anglo-néerlandaise Shell, ainsi que la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), dont Denis Christel Sassou-Nguesso, le fils cadet du président congolais et ami personnel de Lucien Ebata, est directeur général adjoint.
Flamber dans les palaces
« Certains de mes clients pour l’Afrique me règlent cash, car les virements prennent du temps », avait expliqué M. Ebata aux enquêteurs français le 18 octobre 2012 après avoir été interpellé à Roissy-Charles-de-Gaulle avec 182 000 euros en espèces. A cette date, il enregistre un chiffre d’affaires d’un milliard de dollars, perçoit un salaire annuel d’un million de dollars, et dépense des centaines de milliers d’euros en quelques jours dans les palaces parisiens ou dans la location d’hélicoptères pour faire un saut à l’une de ses banques à Monaco. En novembre 2012, alors que le gouvernement des Seychelles durcit sa législation afin de lutter contre le blanchiment d’argent, Orion Group SA transfère sa comptabilité vers Chypre, territoire resté moins transparent. En parallèle, M. Ebata fonde le magazine Forbes Afrique, toujours élogieux pour le régime congolais. M. Ebata n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Son associé, un Français établi en Suisse, Philippe Chironi, 62 ans, cofondateur d’Orion et administrateur de la société Forbes Afrique Media Holding, est aujourd’hui dans le collimateur des autorités françaises. Il fait l’objet d’un réquisitoire supplétif du parquet national financier, daté du 17 décembre 2014. Coryphée d’une myriade de sociétés et de comptes bancaires établis à San Marin – où il a déjà été visé par une enquête – aux Seychelles, à l’île Maurice, et dans d’autres paradis fiscaux, il est soupçonné par la justice française « d’avoir participé à des opérations de blanchiment de détournement de fonds public au profit de la famille Sassou-Nguesso ». Les juges l’ont entendu en septembre 2015 dans le cadre de l’enquête dite des « biens mal acquis » qui vise aussi le président congolais et plusieurs membres de sa famille.
« Denis Sassou-Nguesso n’est pas intéressé par l’argent et méprise les activités pétrolières douteuses menées par son entourage », insiste un intime du président. Pourtant, ce sont ses proches qui ont créé les sociétés pétrolières comme la SNPC, lorsqu’il est revenu au pouvoir en 1998 au sortir de la guerre civile.
Parmi eux, Bruno Jean Richard Itoua, conseiller du président sur les dossiers pétroliers, et directeur général de la SNPC jusqu’en 2005. Durant ce mandat, M. Itoua a été mêlé à d’importants détournements de fonds via des sociétés fictives, selon une enquête de la Cour fédérale américaine. Ce qui ne l’a pas empêché de devenir ministre de l’énergie.
Les documents consultés par Le Monde dans le cadre du scandale des « Panama papers » révèlent qu’il est aussi « attorney » (fondé de pouvoir) depuis 2004 de deux sociétés, Denvest Capital Strategies et Grafin Associated SA, enregistrées par Mossack Fonseca au Panama et aux îles Vierges britanniques. Les titres de ces sociétés sont « au porteur », ce qui permet de dissimuler l’identité de son détenteur. M. Itoua, actuellement ministre de la recherche scientifique, n’a pas souhaité répondre aux questions du Monde.
« Je ne sais pas de quoi vous parlez quand vous dites “circuits financiers offshore” du pétrole congolais »
Selon plusieurs autres documents, le chef de l’Etat congolais a des relations régulières avec cette nouvelle génération de négociants en pétrole et consent à les laisser s’enrichir par les commissions perçues sur chaque transaction. Pourquoi ? « L’affaire des biens mal acquis a contraint la famille Sassou-Nguesso à prendre davantage de précautions en s’appuyant sur des personnes moins exposées politiquement », estime Marc Guéniat, de l’ONG Suisse La Déclaration de Berne.
Cette moindre exposition est toute relative. Car ces traders ont en commun une longue amitié avec le fils du président, Denis Christel Sassou-Nguesso, surnommé « Kiki le pétrolier ». Il est aussi député, membre du bureau politique du parti au pouvoir et administrateur général de l’unique raffinerie du pays, la Coraf. L’autre point commun entre ces négociants est d’être tous clients de Mossack Fonseca. Tout comme Denis Christel Sassou-Nguesso lui-même.
Le fils du président, qui a un temps espéré lui succéder, a mandaté Mossack Fonseca dans les années 1990 pour créer une société domiciliée aux îles Vierges britanniques, Phoenix Best Finance Ltd. Contacté à Brazzaville par Le Monde, Denis Christel Sassou-Nguesso nie en bloc : « Je ne connais ni Mossack Fonseca ni Phoenix, ni ces traders soi-disant proches de moi. Et je ne sais pas de quoi vous parlez quand vous dites “circuits financiers offshore” du pétrole congolais. »
Contrats avantageux
Pourtant, son nom figure à côté de celui du négociant de pétrole Jean-Philippe Amvame Ndong, sur un document à en-tête d’une société de conseil genevoise, JC Consulting Co. Sàrl, adressé le 12 décembre 2002 à Mossack Fonseca. Il s’agit alors de nommer Denis Christel Sassou-Nguesso « attorney » de Phoenix Best Finance Ltd.
M. Amvame Ndong, de nationalité gabonaise, s’entretient directement au téléphone avec le président congolais. Domicilié à Mougins, en France, et à Libreville, au Gabon, cet ancien économiste a fondé en 2013 la société de négoce Philia SA, établie rue du Rhône, une des adresses les plus huppées de Genève. Toutefois, selon un rapport de La Déclaration de Berne, Philia SA aurait bénéficié de contrats avantageux pour acheter aux sociétés publiques congolaises des produits pétroliers à des prix inférieurs à ceux du marché. Ce que dément au Monde l’avocat suisse de la société.
« Philia SA n’écoule que 2,5 % de la production congolaise de pétrole, avance-t-il. Philia SA n’a aucune activité cachée. » S’il n’y a rien à cacher, pourquoi recourir à tant de offshore ? Selon les « Panama papers », M. Amvame Ndong possède plusieurs filiales de Philia SA aux îles Vierges britanniques. Mais aussi des sociétés d’investissements comme Gayam Investment Corporation, qui déclarait un million de dollars d’avoirs en 2014, et une société de transport de produits pétroliers immatriculée elle aussi aux îles Vierges avec le concours de Mossack Fonseca et de l’avocat genevois Michel Bussard. Ce dernier n’a pas souhaité réagir.
De Pointe-Noire à Tortola (Iles Vierges), en passant par Panama City et Genève, ces montages offshore facilitent la confiscation d’une partie de la rente pétrolière congolaise. Et participent à l’évasion fiscale dont souffre le continent africain, estimée à 50 milliards de dollars par an, selon l’Union africaine.
Les « Panama papers » en trois points
- Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
- Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.
- Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.
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