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© Le Jour : William Oyono
- 17 Jan 2016 06:07:20
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CAMEROUN :: Trajectoire : Alphonse Béni, roi du nanar malgré lui :: CAMEROON
Célèbre pour ses films d’action à la qualité plus que limitée, le cinéaste est pourtant une figure adulée de la communauté des fans de séries B et Z.
Octobre 2005. Le cinéma Théâtre Abbia, l’unique salle de cinéma de la ville de Yaoundé (qui fermera ses portes en 2009) après la disparition de ses consoeurs du Capitole, des Portiques, de la Mefou, du Rex et du Fébé transformées en magasins et entrepôts, draine une foule immense pour une avant-première évènementielle. Pourtant, la salle vétuste gérée par Siméon Fotso n’affiche pas une programmation hollywoodienne ce jour-là, mais plutôt une production locale. Mais qui donc a réussi l’exploit de sortir les Yaoundéens des cultes éthyliques chez le Dieu du vin Bacchus pour une plongée dans les salles obscures ?
Son nom béni, Alphonse Béni. Après 20 ans d’absence sur la scène nationale, il fait son come-back sur les écrans avec « La Déchirure », un drame familial africain saupoudré de comédie, d’érotisme, d’ésotérisme et de prises de karaté. Tout un programme. Portée par une distribution prestigieuse (Daniel Ndo, Koppo, Cyril Bojiko entre autres), le long métrage est produit, scénarisé et mis en boite par le même homme : Alphonse Béni, qui tient aussi le rôle de protagoniste principal ayant un nom multiculturel : Atangana Wamba Kotto Muller…
Nul n’est prophète chez soi
Succès commercial à sa sortie, « La Déchirure » a pourtant été sacrément éreintée par la critique qui l’a parfois qualifié de « filmé avec les pieds ». Les scènes se succèdent à un rythme effréné et heurtent le bon sens des cinéphiles frappés par de nombreuses incohérences. L’une des séquences les plus mémorables montre un domicile censé être celui du héros du film mais qui, curieusement, arbore fièrement un portrait d’un autre protagoniste qui n’est autre que l’amant de l’épouse du personnage campé par Alphonse Beni.
La raison d’un tel imbroglio fait sourire : c’est Siméon Fotso, le directeur de l’Abbia téléporté pour les besoins du film en « coépoux » de Beni, qui a généreusement mis à la disposition de la production sa villa. Lors du montage final, ce détail semble avoir échappé à Alphonse Béni, de même que beaucoup d’autres dont il n’est pas nécessaire de revenir afin de ne pas écorner d’avantage la stature du grand commandeur.
Des avis défavorables sur « La Déchirure » n’ayant pas empêché notre homme-orchestre de donner une suite à son oeuvre trois ans plus tard. « La Déchirure 2-Parfait amour », film sans ligne directrice, n’ayant pour seule certitude que de compter à son générique la silhouette hiératique d’un personnage à part dans le microcosme du 7ième art de notre pays : l’inébranlable Alphonse Béni. Nanarland est le site Internet des mauvais films sympathiques, des nanars, ces films involontairement mal joués, mal filmés et aux scénarios totalement incompréhensibles. Généralement, ce sont des films d’action stéréotypés mettant en avant un héros sans reproche, volant au secours de la veuve et de l’orphelin aux prises avec un « chef bandit » extrêmement méchant secondé par un bras droit redoutable.
Ces films hybrides sont rangés dans les catégories de Série B, une classification plutôt honorable qui a vu sortir des oeuvres comme « Delta Force » et « Portés Disparus » de l’invincible Chuck Norris et de la Série Z avec des productions indigestes mais volontairement ridicules comme le récent « Sharknado » aux effets spéciaux pitoyables fréquemment diffusé sur la chaine internationale Sy-Fy.
Pour le site de référence réunissant une large communauté de cinéphiles s’étendant à l’Europe, aux Amériques, à l’Afrique et l’Asie, les grosses pointures du genre sont des vedettes mondiales comme Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger, Jean-Claude Van Damme, Jim Kelley, Bolo Yeung, Michael Dudikoff et … Alphonse Béni. Le Camerounais réussit même l’exploit d’être le seul Africain à se retrouver dans ce hit-parade primant le meilleur du pire. Notre acteur infortuné que la critique a bien souvent vomi est une figure iconique à part dans la galaxie du nanar. Une biographie entière lui est consacrée sur le portail numérique narrant son odyssée dans le cinéma érotique français du début des années 1970 avec des films aux titres ne laissant que peu de doute sur la nature des dialogues comme « Les mecs, les flics et les putains » ou le porno soft « Black Love », encore connu sous le nom de « L’homme qui voulait violer le monde » signé de l’improbable José Bénazéraf qui est décrit comme « le pape du film cochon intellectuel ». Ses grands succès tournés sur la terre de ses ancêtres comme « Cameroon Connection » avec le regretté Massa Batré et l’homme de mode Paco Rabane sorti en 1985 sont aussi cités.
Filmographie sélective 1971- Fureur au poing. 1985- Cameroon Connection. 1972- Un enfant noir. 1985- African Fever. 1973- L’homme qui voulait violer le monde. 1986- Chasse à l’homme. 1974- Les mecs, les flics et les putains. 1987- Top mission. 1975- Les filles au soleil. 1991- Power Force. 1976- Hommes de joie pour femme vicieuses. 1991- Fire Operation. 1978- L’Etat sauvage 2005- La Déchirure. 1979- Dance my love. 2006- Emeraudes 1980- Anna Makossa. 2007- La Déchirure 2-Parfait Amour. 1980- Saint voyou. 2011- Les veuves volontaires. 1982- Coup dure. 2016- Ils ont mangé mon fils.
Dans le rôle de l’inspecteur Baiko, un personnage qu’il reprendra dans de nombreuses productions, il est un policier sans reproches qui croisera le chemin d’un certain Bruce Le, le sosie le plus célèbre de Bruce Lee pour des scènes de baston. Bien qu’Alton Beny, son nom américanisé quelquefois accolé sur des jaquettes de vidéoscassettes de ses films pour mimer la star internationale, n’a que des rudiments de la pratique des arts martiaux, il connaitra une riche carrière à Hong Kong avec des productions du célèbre Godfrey Ho comme « Chasse à l’homme » aux côtés du mythique acteur défunt de série B. Richard Harrison qui était, selon son fils : « très impressionné par la façon dont il (Alphonse Béni) rendait à l’écran bien que n’étant pas un très bon acteur ». De sa filmographie saccadée, citons encore « Black Ninja » où il se cache derrière le nom de Chris Kelly et la combinaison jaune canari d’un expert martial (Alphonse Beni est bien sûr doublé lors de toutes les scènes de combat), le musculeux « Top Mission » où il singe un Rambo de seconde zone et le comestible « L’Etat Sauvage », probablement son seul film « sérieux » où il a eu le privilège d’apparaitre furtivement aux côtés d’une crème d’acteurs français de renom comme Michel Piccoli, Claude Brasseur et Jacques Dutronc.
Un cinéaste iconoclaste
A bientôt 70 ans, Alphonse Béni tourne encore à ses heures perdues sous la caméra de son ami Isidore Modjo dans des films comme « Emeraudes » s’inscrivant dans le prolongement de sa légende : des oeuvres oubliables dans lesquelles il a excellé dans une carrière de quatre décennies. Le cinéma d’Alphonse Béni, loin des railleries parfois justifiées dont il fait l’objet, est pourtant unique dans le paysage camerounais. C’est une transposition à la sauce locale des intrigues des films d’action qui ont fait fureur dans les vidéos clubs d’antan. De plus, il est quasiment le seul cinéaste de chez nous à recourir à de la publicité camouflée dans ses longs métrages, une pratique rependue dans les grandes productions internationales.
Il a également toujours su s’entourer de partenaires hétéroclites pour ses projets. Gérard Essomba, l’acteur de renom, l’homme d’affaires Joseph Feutheu dont les talents d’acteurs sont limités et même le professeur Jacques Fame Ndongo, ont été associés à des productions de l’inspecteur Baiko. L’actuel ministre de l’Enseignement supérieur officie comme dialoguiste de luxe dans l’une des prochaines sorties d’Alphonse Béni « Ils ont mangé mon fils » qui est l’adaptation d’une pièce de théâtre du chancelier des ordres académiques. Si l’on a tendance, à instantanément citer Manu Dibango ou Roger Milla parmi les Camerounais les plus connus dans le monde, Alphonse Béni peut aussi revendiquer ce titre, lui qui a dominé les locations de cassettes vidéo dans des marchés lucratifs comme ceux des Philippines et de la Thaïlande. Une icône oubliée qui a aussi hissé haut, à sa manière, notre précieux vert-rouge-jaune. En attendant la prochaine cascade du « Black Ninja », c’est à la commission consultative des arts et des lettres qu’Alphonse Béni siège depuis le 29 octobre 2015 afin de « favoriser l’émergence culturelle du Cameroun à l’horizon 2035. » Quelle gageure pour notre inspecteur Baiko…
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