Jacques Foccart a exigé l’exécution d’Ernest Ouandié
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Bernard Ouandji raconte ce que lui a révélé Moussa Yaya sur la décision d’exécuter le dernier leader historique de l’Upc.

Août 1993. Il est 21heures ce soir là, le quatrième jour de mon séjour dans le ranch de Moussa Yaya dans l’Adamaoua. Sexagénaire accompli, retiré de la politique active depuis quelques années, Moussa Yaya s’est consacré à son ranch et m’a fait venir pour évaluer sa grande réalisation, et en faire un rapport en vue d’un financement de la Banque africaine de développement (Bad). C’est un investissement impressionnant qui comporte un centre vétérinaire, des puits d’eau aménagés et une villa moderne et éclairée par un puissant groupe électrogène. Chaque soir après le repas nous avons pris l’habitude de deviser, installés à la véranda ; pas de télé, pas de radio, nous causons car je tiens à plonger dans l’histoire de la politique camerounaise, racontée par cet  homme qui aura été le plus proche confident politique et amical d’Ahidjo : « j’ai déjeuné avec Ahidjo chaque jour depuis 1956 quand nous sommes dans la même ville », me lance t-il. Moussa Yaya est une mine d’informations confidentielles. Il parle longuement, avec beaucoup de détails, et ses propos sont parfois ponctués d’un silence que je n’ose interrompre car je m’aperçois que ce faisant il se « libère ». Ce soir là il engage la conversation sur l’épisode de la mort d’Ernest Ouandié.

« C’est Jacques Foccart qui était venu exiger l’exécution d’Ernest Ouandié ; en effet, aussitôt après leur condamnation à mort peu avant noël, Dongmo avait demandé la grâce présidentielle, mais Ouandié avait refusé de signer le recours en grâce ; presque chaque jour on lui apportait le dossier pour signer et il avait répondu à Ahidjo « Prenez vos responsabilités ; moi je prends les miennes devant l’Histoire ».

Ahidjo était vraiment perplexe et la terrible année 1970 est finie. En début d’année Ahidjo espérait maintenant que l’affaire allait s’enliser et qu’on n’en parle plus, comme ça ils allaient rester vivants. Beaucoup de gens sont condamnés et jamais exécutés. Brusquement Foccart est venu et a tout précipité. Foccart était arrivé par avion un matin vers le 11 ou 12 janvier je ne me souviens plus exactement; il s’est d’abord rendu à l’Ambassade de France ; puis à 11H le Président Ahidjo l’a reçu au Palais. Quand Foccart est parti, j’ai retrouvé Ahidjo pour déjeuner. Foccart a dit à Ahidjo que le cas Ouandié est l’objet de son aller et retour : « le Président Pompidou va entamer prochainement son tout premier voyage en Afrique et le Cameroun est l’une des étapes. Il faut que cette affaire soit réglée avant l’arrivée du Président Pompidou, qui est imminente. Je pars à Libreville attendre ». Et il s’en fut en début d’après-midi.

Après l’exécution il y a eu soulagement parce que il faut le dire, M. Ouandji « Votre père là était vraiment un dur, un méchant qui avait beaucoup tué ; il tuait même ses camarades qui avaient trahi ou mal suivi ses ordres ; dès son arrestation il s’est montré intransigeant jusqu’à sa fin. Ensuite j’ai observé que Ahidjo a longtemps regretté sa mort, jusqu’à quitter le pouvoir ça le dérangeait et il s’efforçait de ne plus y songer comme un cauchemar».

L’autre problème que j’ai vu dans cette exécution d’Ernest Ouandié  concerne le Président Pompidou ; il est effectivement venu en visite au Cameroun (le 2 février suivant) et il tenait à toucher du doigt le chemin de fer transcamerounais que la France finançait ; le transcamerounais était un symbole fort de la coopération française pour montrer qu’avec la Paix retrouvée le Cameroun allait se construire. Alors Pompidou a pris le train à la gare de Yaoundé nouvellement aménagée à Elig Essono, avec Ahidjo bien sûr et les délégations ; nous étions nombreux. L’autorail allait vraiment vite et tout le monde était ravi ; Obala et les autres gares traversées étaient décorées et inondées de foules en liesse.

Pompidou a tenu à séjourner à la villa présidentielle à Batshenga sur la rive de la Sanaga. On a offert un banquet et il s’est reposé. Mais ensuite il s’est plaint que quelque chose l’a piqué, peut-être un insecte et de temps à autre il portait la main à sa gorge pour gratter, car la piqure devait faire mal. Sûrement qu’il a passé la nuit à se gratter car au moment de monter dans son avion retour j’ai observé un large cercle rouge entre sa joue et le cou, rouge comme c’est un blanc. Quelques mois plus tard les nouvelles confidentielles venant de Paris chuchotaient que Pompidou avait régulièrement la grippe et des fièvres de nature indéterminée. Dès fin 1971 les Américains nous ont signalé que le président français était touché ; ils nous faisaient cette confidence pour gagner notre amitié et pousser leurs projets. Ensuite on ne pouvait plus voir Pompidou même si on voyageait en France et quand il est mort ses médecins disaient des avis divergents sur la cause de sa maladie ; n’importe comment la piqure d’insecte a joué un rôle dans sa maladie mortelle ».

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