Ouganda,Jaffar Remo Amin:«Je demande pardon au nom d’Idi Amin Dada»
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Ouganda,Jaffar Remo Amin:«Je demande pardon au nom d’Idi Amin Dada» :: UGANDA

Idi Amin Dada : la seule évocation de ces six syllabes fait encore trembler de peur des générations d’Africains. Ancien chef d’Etat ougandais (1971-1979), Il a fait massacrer des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants pour des besoins de domination, le goût du pouvoir et des avoirs. La violence d’Idi Amin n’épargnait pas son foyer. Lorsqu’une épouse était soupçonnée d’infidélité, elle était passible de traitements inhumains au choix du maître des lieux.

Ancien champion de boxe, Idi-1,90 m pour 120 kgs-avait un courage hors bornes qui lui permit de mâter les révolutionnaires nationalistes Mau-Mau au Kenya, de chasser sans ménagement plus de cinquante mille commerçants pakistanais et indiens ou de tourner en dérision la reine d’Angleterre Elisabeth II à travers la célèbre phrase : "Ma chère Reine, j'aimerais que vous arrangiez pour moi une visite de l'Ecosse, de l'Irlande et du pays de Galles pour me permettre de rencontrer les chefs des mouvements révolutionnaires qui combattent votre oppression impérialiste."

Idi Amin n’était pas seulement un homme politique controverse ; quand cela était nécessaire, il savait montrer ses muscles de militaire aguerri comme lors d’une expédition punitive de l’armée ougandaise en Tanzanie en 1978, objectif : récupérer un terrain querellé. Peine perdue. Un an plus tard, l’armée

Tanzanienne riposte en envahissant l’Ouganda. Encerclé, Idi Amin quitte le pouvoir et s’exile en Arabie Saoudite où il meurt le 16 Aout 2003.

Malgré son passé à la fois tragique et comique, Idi Amin continue à marquer positivement certains de ses compatriotes. A la fin de mon séjour dans ce pays de plus de trente millions d’habitants, le taximan qui me conduit à l’Aéroport international d’Entebbe conclut notre discussion sur l’homme aux vingt-sept femmes et soixante enfants par... «Idi aimait ce pays».

C’est sur ce sentiment pro-Idi que le troisième fils d’Idi Amin, Jaffar Remo Amin, surfe pour s’excuser des atrocités de son père. Expert logisticien de profession, Jaffar, 48 ans, a fondé en 2009 «Al - Amire Foundation » (www.idiamindada.com) une organisation qui prêche la réconciliation avec les victimes d’Idi Amin Dada partout où elles se trouvent, en commençant par l’Ouganda. La tâche est immense. Jaffar avance avec prudence. Il doit, à chaque coup, affronter les mauvaises humeurs, les regards de haine, bref l’envie de vengeance. «Mon père était strict mais aimant», me souffle d’une voix rauque Jaffar, un homme de grande taille au teint noir.

Dans un entretien exclusif mené à Kampala, il  nous explique sa démarche, ses sources de financement, ses rapports avec l’actuel chef de l’Etat ougandais, non sans condamner le pouvoir absolu de certains dirigeants du continent noir.

Monsieur Jaffar Amin, où serez-vous en Janvier 2016 durant la prochaine élection présidentielle en Ouganda?

Par la grâce de Dieu, je serai vivant en Ouganda. Je suis heureux de m’être installé dans mon pays bien-aimé.

Est-ce que vous allez soutenir la candidature du président Museveni?

Non, je suis apolitique. Je fais le travail social. Ce que je retiens de tout ce qui se passe est que la paix et la stabilité prévalent. Je suis reconnaissant pour cela.

Est-il possible d’être neutre dans un tel environnement politique quand on est le fils d’Idi Amin Dada?

J’ai seulement quatre-vingt-dix kilos, mais je porte le nom d’une ville. Donc, je ne peux pas éviter la politique à cause de mon père. Partout où je vais, j’entends Amin fils, Amin fils, par des personnes qui cherchent une opinion mais le choix que j’ai fait d’œuvrer pour la réconciliation signifie que je peux me présenter à tout rassemblement.

Lorsqu’on vous interpelle dans la rue, pensez-vous qu’il s’agit d’un signe d’amour ou une façon de personnifier le mal que votre père a fait au peuple ?

Il y a un malentendu en Occident selon lequel Amin est impopulaire. Il est incroyablement populaire en Afrique. Voilà la chose surprenante que vous allez voir si vous vous déplacez en Ouganda. Heureusement ou malheureusement, les Africains louent des forces. Je veux dire si quelqu'un compte pour eux, c’est un signe d'honneur. C’est aussi cela qui m'a emmené à rechercher les mêmes personnes qui sont réellement victimes de l'homme. Nous avons fait des cérémonies de réconciliation avec des tribus particulières en particulier au Nord.

A propos, le problème d’Amin était dans le Nord. C’était des tueries entre les gens du Nord et de l'insécurité pendant son temps et après lui, des actes de vengeance contre lui ou son peuple. Voilà pourquoi je me concentre dans les régions du nord de mon pays d'où je viens et où les problèmes graves ont eu lieu.

Avant de parler de la réconciliation, nous commentons quelques faits. Idi Amin a attaqué la Tanzanie pour un lopin de terre. Plusieurs morts ont été enregistrés au terme de cette expédition punitive. Comment avez-vous apprécié cette sortie?

Ils ont répliqué en détruisant l'Ouganda. Il y avait donc un acte de vengeance. Ce qui est arrivé avec Amin était de la vengeance. Voilà tout le sens de la guerre de libération, mais cette guerre a maintenu le pays dans l'instabilité jusqu'en 1986 quand il a commencé à récupérer. En tant qu'individu, je ne peux que faire face à la réalité et rencontrer les victimes ; voilà la mission de réconciliation. En Afrique, elle est appelée réparation. Vos propos sur les mesures punitives sont très européens. Les Européens croient en la punition. La punition a été appliquée voilà pourquoi des actes de vengeance se produisent en Afrique. Vous voyez la même situation en Libye ou dans tout pays où il y a la guerre. L’acte de vengeance est la justice dont vous parlez. En Afrique, la mesure punitive est différente. Elle est un facteur de vengeance et de réparation. Voilà ce sur quoi nous allons travailler. Mais, tout commence par la vérité. C’est pourquoi sur soixante enfants, je suis le seul qui va de district en district pour réunir les victimes. Les faits sur le terrain montrent qu’il s’agit d’un incident réciproque. Des actes de vengeance se sont produits sur les personnes ou tribus particulières. Rappelez-vous, les problèmes africains sont tribaux et à base-ethnique.

Est-ce que vous vous dites parfois, mon père pouvait procéder autrement contre les Tanzaniens?

Je ne peux que me baser sur les faits que j’ai trouvés sur le terrain. La meilleure façon de résoudre ce problème est de rassembler les communautés. Vous les rencontrez et vous parlez du passé. Voilà ce que signifie dire la vérité. Pas ce que le blanc a écrit mais ce que les gens gardent de ce qui leur est arrivé. Vous obtenez la raison réelle de toute victimisation ou de tout incident. Et tous les deux, vous êtes désolés.

A propos des violations des Droits de l’Homme sous le règne de votre père, que reprochez-vous aux Occidentaux, qu’ils ont grossi les faits?

Je suis tout simplement en train de dire que vos faits sont basés sur ce que vous lisez sur les documents des gens et non ce qui est sur le terrain. Vous ne parlez pas à quelqu'un qui est sur la défensive, mais à quelqu'un qui va à la rencontre de trente mille personnes et quarante familles qui viennent et disent ton père a tué mon père. Nous discutons et nous nous réconcilions. Vous ne parlez pas à quelqu'un dans un palais de justice qui veut se défendre. Je ne suis pas ici pour défendre mon père. Des actes de vengeance ont été commis pour la libération. Seulement deux pour cent d’ougandais sont responsables du passé dont vous parlez.

Pensez-vous franchement que votre père était un patriote?

Il aimait ce pays et c’est cela ma définition d'un patriote mais c’était un homme militaire qui a résolu les problèmes militairement. Il a toujours été question de pouvoir par décret et le côté négatif a été le pouvoir absolu. C’était le premier problème de mon père. Que vous le vouliez ou non, votre président, Paul Biya, est un souverain absolu. Les dirigeants en Afrique gèrent le pouvoir absolu. Le règne absolu signifie que personne ne peut remettre en question vos décisions. Son second problème de mon père a été de diriger militairement.

En Ouganda, l’ «Aminisme» (style d’Amin, ndlr) est encore vivant parce que le seul critère pour être un matériau présidentiel est d'être un ancien soldat. Je peux blâmer mon père d’avoir introduit quelque chose de si facile. Malgré le fait que nous avons le parlement et le pouvoir judiciaire, nous sommes toujours gouvernés par décret.

Exilé en Arabie Saoudite, Idi Amin avait souhaité revenir en Ouganda pour y passer les derniers moments de sa vie, mais Museveni, l’actuel président, aurait refusé ...

Non, c’est une idée fausse. Comment pouvait-il parler dans le coma. C’était le désir de sa femme.

Que s’est-il réellement passé?

Il était dans le coma et la femme voulait que son mari rentre à la maison (Ouganda, Ndlr) comme toute femme. Elle alla se confier au président qui accepta mais dans la famille nous avons dit non, parce qu’Amin ne voulait pas rentrer en Ouganda.

De quoi la famille avait-t-elle peur en s’opposant à cette volonté?

Il n'y a pas eu de peur. Vous avez une idée fausse de qui nous sommes. Nous n’avons pas peur. Nous sommes responsables de ce que nous sommes. L'ancien président avait choisi de rester en Arabie Saoudite. Il a même demandé à ses enfants de devenir des citoyens saoudiens. Je suis en Ouganda par mon propre choix parce que je suis un Ougandais mais je peux facilement prendre une citoyenneté saoudienne. L’idée selon laquelle Museveni a refusé son retour est erronée. Il y avait la question du retour mais c’était le souhait d’une femme sur six.

Vous avez donc décidé de vous réconcilier avec les victimes de votre père. Concrètement, qu'avez-vous fait jusqu’ici?

Cela a commencé par le président Museveni qui, debout dans le stade principal en 2012, a demandé pardon au nom de tous les anciens dirigeants du pays. Il prenait sa responsabilité pour les méfaits des anciens dirigeants. Ensuite, nous allons à travers le pays, nous rencontrons les chefs et demandons pardon pour chaque incident tribal. Durant toute une journée, vous discutez sur les incidents. Actuellement, nous avons cent onze districts en l'Ouganda ; nous allons passer partout. Je me tiens toujours debout et je dis que je suis un fils d'Idi Amin. Pour quelque incident qui vous êtes arrivé, je demande pardon en son nom. C’est de la reconnaissance et vous affirmez qui vous êtes. Au lieu de se cacher, vous sortez et discutez avec les gens. Il y a quelques semaines, nous étions à un endroit appelé Karamoja puis à Douguere en présence de trente mille personnes et quarante familles qui ont été victimes. Vous lisez la colère sur les visages en larmes ; vous voyez quelqu'un avec de la haine et vous représentez la personne qui a tué sa famille. Ils viennent et acceptent votre demande de pardon. Vous vous dites mon Dieu, ce moment est très différent et unique. Parfois, vous voulez vous démarquer et défendre votre parent, mais quelque chose vous dit, dites simplement je suis désolé. Si tous les Africains pouvaient simplement dire je suis désolé, ce serait un endroit merveilleux. J’essaie de répandre ma foi sur tout le monde.

Comment avez-vous débuté cette opération de réconciliation?

J’ai commencé avec le document de réflexion en 2007. Je me suis dit, si les premiers fils de la première famille peuvent se réunir, parce qu'ils sont populaires dans leurs domaines, ils peuvent galvaniser la communauté et discuter de ces problèmes. Lorsque je l'ai fait, certains ont dit que Jaffar voulait devenir président. Puis je me suis joint au réseau des religieux. Ce réseau a été sanctionné par notre président en 2012 quand il se leva et dit désolé au nom des anciens dirigeants. Neuf dirigeants ont gouverné ce pays. Il y a un projet de loi sur la réconciliation nationale qui est encore au parlement. Ce serait une loi très importante qui pourrait aider ce projet. Je viens seulement au nom de l'organisation appelée Al Amire Foundation avec la réconciliation comme objectif principal. Ce que nous appelons la guérison nationale sans que quelqu'un dise que cet homme a des ambitions politiques comme c’était le cas quand j’ai rencontré les enfants de Nyerere et d’Obote.

Qui finance les activités de votre fondation?

Je n’ai pas eu de parrainage mais les organisations confessionnelles commencent à se mobiliser d’une belle manière. Museveni a également entrepris de pacifier les régions instables et de valoriser la réconciliation. Il m’a dit : vous allez rassembler trente mille personnes et le dernier jour je viendrai clôturer, alors je peux financer le rassemblement. Ce que nous avons initié fait partie de notre projet de loi sur la réconciliation nationale. De 2012 à ce jour, nous pouvons vous montrer des dossiers qui prouvent que nous avons fait un mile ou deux vers la réalisation de la réconciliation nationale. Après plus de trente ans à la tête de l’Ouganda, Yoweri Museveni, que ses détracteurs appellent dictateur, s’apprête à briguer un nouveau mandant. Quelle est votre opinion sur cette longévité?

Je l'appelle un roi philosophique. Il combine le militaire et le politique. C’est très fréquent en Afrique. Nous avions de l’affection pour le roi à venir. Lui-même a de l’affection et imite Mutesa, le premier président du pays. Chaque chef veut juste devenir un roi. Je dis toujours que nous devons abandonner la mentalité de la royauté pour devenir des leaders. Il dirige un pouvoir absolu tout comme mon père l'a fait, tout comme Obote et Mutesa l’ont fait. Il le faisait quand soudain il s’est senti mal à l'aise en réalisant qu'il y avait d'énormes richesses à venir en Ouganda et qu'il devrait être là pour les gérer. Il a trouvé beaucoup de pétrole. Il ne faut pas que ce pétrole enrichisse un individu particulier au pouvoir perpétuellement, mais qu’il aide à organiser le pays parce qu’il a promis de le faire. En passant, je lui accorde un bénéfice de doute et j’ai cessé d'être en colère contre l'homme.

Fraudes électorales, longévité au pouvoir, guerres …etc. l’Afrique a-t-elle, à votre avis, un problème avec la démocratie?

D'un côté, il faut savoir qui est le propriétaire de l'Afrique. Voilà où vous trouverez la question de la guerre. De l'autre, la personne placée au pouvoir commence normalement par un accord avec les grandes entreprises qui ont une grande puissance en Occident. Ces entreprises vous disent que pour maintenir les liens avec les ressources de votre pays, vous devez être stable. Mais, leur stabilité est basée sur la force. Est-ce que cet homme est fort ou y a-t-il un semblant de démocratie dans le pays. S’agit-il de leur démocratie ou la nôtre ? Vous arrivez au point où quelqu'un se retrouve avec sa famille propriétaire de tous les biens dans le pays, ce que nous appelons oligarchie. Les mêmes familles riches maintiennent une main forte sur le pouvoir. Cela explique la longévité. Elles positionnent des multinationales et des conglomérats sachant que leurs proches détiennent 20 à 30% des richesses dans un domaine. Donc, si vous répondez aux deux questions, vous pouvez résoudre le problème de l'Afrique: est-ce leur démocratie ou la nôtre et qui est propriétaire de l'Afrique.

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