Les migrants sont des « cafards » ! les mots, arrière-garde du viol de l’humanité
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« Ne vous trompez pas. Ces migrants sont comme des cafards », dixit Katie Hopkins, éditorialiste du Sun.Cafards! le mot est sorti de la plume de l’éditorialiste Katie Hopkins et s’est couché de toute sa haine et de tout son mépris sur les pages du Sun, journal de grande audience dans l’espace public occidental : il est le quotidien de langue anglaise le plus vendu au monde.

Cafards, un mot hyperchargé négativement pour l’Afrique. Cafard, « Inienzi » en Kinyarwanda, langue africaine, sent la mort et sonne génocide dans l’imaginaire collectif africain car il fut utilisé par la tristement célèbre radio des milles collines et les extrémistes Utu au Rwanda dans le but de chosifier et « d’insignifier » les Tutsi, leurs victimes expiatoires. Le viol de l’humanité commence toujours par des mots. Il est toujours mis en forme langagière et sémiotique par une nomination adaptée aux basses œuvres de l’esprit destiné à préparer le terrain aux actions macabres des basses polices. La chosification des hommes par les mots, des indices ou des matricules a toujours rendu plus facile l’explosion des pulsions de mort. Elle a rendu plus facile le coup de machette sur un Tustsi devenu « Inienzi », plus désinvolte la chambre à gaz pour le Juif devenu un matricule ou une vermine, normales les chaînes et le travail forcé pour le Noirs devenus marchandises et actuellement désinvolte le traitement inhumain du migrant devenu cafard !

L’œuvre macabre de déshumanisation par des désignations dégradantes et animales fait la route au déploiement sans vergogne de la Bête en nous. Elle s’est maintes fois construite dans l’histoire par une indentification méprisante de l’autre afin d’en faire un moins que rien nuisible à notre existence dont le nirvana dépend de son élimination de la surface de la terre. Tuer l’autre différent de nous, l’éradiquer ou désinsectiser la maison-Europe des « cafards » deviennent alors un devoir, un geste naturel, la condition de notre salut. Le migrant devenu un cafard renvoie à un parasite, quelque chose de nuisible, de malsain, de malpropre, porteuse de germes toxiques et dédaigneuse : c’est un cafard qu’on peut écraser avec dégoût et expulser de notre habitat, pas avec nos mains de peur de les salir, mais avec la semelle de nos chaussures. Si ce que dit l’éditorialiste du Sun est une injure à la misère du monde, il n’est pas superflu de mettre en évidence qu’elle parle surtout de migrants Noirs car elle a déjà par le passé montré ses inclinaisons racistes par rapports aux migrants africains de Calais qui veulent gagner l’Angleterre. Elle les traite, excusez du peu, de « peste d’humains sauvages ». D’où vient cet imaginaire occidental qui chosifie, déclasse et méprise les Noirs ? De quelle histoire est-il le fruit et comment se perpétue-t-il chez certains Occidentaux ?

* Le Noirs dans un certain imaginaire philosophique occidental

Dans la mesure où plusieurs personnes ne sont pas loin de partager les mêmes idées que l’éditorialiste du Sun, il semble nécessaire d’expliquer, en dehors du cas de cette éditorialiste, d’où viennent de telles postures par rapport aux Noirs. La conjecture de base est liée à la place subalterne et au statut de non humain qu’a occupé le Noir dans l’histoire globale de la modernisation économique et politique de l’Occident.

Le traitement méprisant et infériorisant du Noir dans une certaine pensée philosophique occidentale et le commerce triangulaire dont il a fait l’objet du XVème au XIXème siècle ont produit, non seulement une dépréciation identitaire du Noir dans l’imaginaire occidental, mais aussi une dépréciation de la valeur de sa vie. La vie d’un Noir n’aurait pas la même valeur que celle d’un Blanc car le Noir, lors de la période coloniale et suivant certains philosophes occidentaux, n’est pas tout à fait un homme. Par conséquent, la « Mission Civilisatrice » (MC) était censée en faire un homme digne de ce nom afin qu’il puisse bénéficier des Droits de l’Homme. Avant la « Mission Civilisatrice », point de droit aux Droits de l’Homme pour les Noirs. Par conséquent, la MC est devenue un processus visant à faire des Noirs des Hommes via une violence et une « désafricanisation » suite à laquelle leurs savoirs, habitudes, langues et pratiques socioéconomiques et politiques devaient être détruites et abandonnées : le Noirs ne pouvait devenir un homme qu’en se niant culturellement comme Noirs afin de devenir un Blanc culturellement si cela est impossible chromatiquement.

* Le paradis de Rousseau versus le néant de Hegel et Hobbes.

Basée sur les carnets de voyage d’aventuriers ou sur la pure imagination de romanciers fertiles, l’image hégélienne et hobbesienne d’une Afrique pré-européenne où on ne trouve ni art, ni culture, ni histoire, ni conception du temps, ni lettres mais uniquement violence et dangers de mort, forme le paradigme de l’Afrique du néant et de l’immobilité au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Ce paradigme a coexisté avec un autre non moins faux et non moins spéculatif : le paradigme rousseauiste d’une Afrique et des Africains incarnant un âge d’or de la liberté, d’égalité et de fraternité, une forme de seconde république française dont on reconnait-là la devise.

Un philosophe comme Hegel a largement contribué à façonner un imaginaire occidental du Noir dont les relents snobes, nauséabonds et condescendants sont encore prégnants de nos jours. Alors qu’il n’avait jamais mis ses pieds en Afrique, Hegel a peint le Noirs comme l’homme arrêté au stade de la conscience sensible d’où son incapacité à évoluer. Le Noir « manifeste physiquement une grande force débonnaire qui le rend apte au travail et témoigne d’un esprit débonnaire, mais, en même temps, d’une féroce insensibilité….. C’est l’homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation…. ».

De nos jours, il va sans dire que cette « bibliothèque coloniale » structure encore les idées de nombreux Occidentaux qui en sont aujourd’hui les contemporains. A titre d’exemple le discours de Sarkozy à Dakar en 2009 a été un copié collé des idées de Hegel et Hobbes par Henri Guaino sans aucune considération de tout le travail scientifique de déconstruction des idées coloniales fait depuis plus de cinquante ans par les sciences sociales par rapport à l’Afrique, aux Africains et à leur histoire. La colonisation somatique, mentale, psychique et matérielle ayant consisté à peindre l’Afrique comme la forme arriérée de l’Occident se concevant lui-même comme

centre et seule civilisation valable, « l’auto-érotisme » de l’imaginaire colonial dont parle Achille Mbembé n’a pas disparu chez certains Occidentaux. Il se manifeste encore sous forme d’une gnose autocentrée par production et reproduction auto-contemplatrice de soi par le déclassement, la haine, la chosification et le dédain de l’autre.

Si les Noirs africains ont été considérés hier par de grands esprits occidentaux comme sans histoire, sans notion du temps, sans art, barbares, violents, débonnaires, arriérées, sans civilisation, insensibles, sauvages et uniquement bons pour le travail manuel, il n’est pas surprenant qu’une Occidentale, éditorialiste du Sun écrive encore en 2015 : « Je n'en ai rien à faire, assène d'emblée la chronique. Montrez-moi les images de cercueils, montrez-moi les corps flottants dans l'eau, jouez du violon et montrez des personnes affamées et tristes. Je n'en ai toujours rien à faire." Dans la même veine, le texte assimile les migrants de Calais, qui essayent de grimper dans des camions pour l’Angleterre, à "une peste d'humains sauvages", en route pour des villes anglaises dont certaines sont devenues "des plaies putrides où des nuées de migrants et de demandeurs d'asile empochent les allocs comme si c'était de l'argent du Monopoly". Autre comparaison nauséabonde : "Ne vous trompez pas, ces immigrants sont comme des cafards. Ils ont peut-être un petit air de l'Éthiopie de Bob Geldof vers 1984, mais ils sont construits pour survivre à une bombe nucléaire. Ce sont des survivants... faire quelques trous au fond de tout ce qui peut ressembler à un bateau serait également une bonne idée…. »

Heureusement que des Occidentaux moins ignorants, plus malins et mieux informés semblent majoritaires au 21ème siècle. Sans cela, ce que Castoriadis appelle l’imaginaire, c’est-à-dire une force créatrice à l’œuvre dans la société et l’histoire, serait assez pauvre et mal partie en Occident au moment où la brutalité du néolibéralisme pose un défi au monde, celui d’inventer les conditions de possibilités de la solidarité humaine.

© Correspondance : Thierry AMOUGOU, UCL, CriDis & DVLP (ESPO), fondateur et animateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques

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