Biens mal acquis : rivières de diamants et valise de cash à Neuilly
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CONGO :: Biens mal acquis : rivières de diamants et valise de cash à Neuilly

Les dernières découvertes de la police au domicile d’un neveu du président du Congo-Brazzaville sont étourdissantes. Une société offshore est au coeur du système, essentiellement alimentée par... le Trésor public congolais, affirment les enquêteurs. Au 76 bis du boulevard Bourdon, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), les policiers ont commencé leur perquisition par le cinquième étage. L’appartement, d’une superficie totale de 638 m, occupe également les deux niveaux supérieurs. Le plus élevé, le septième, se résume à une immense terrasse de 100 m.

Vue imprenable sur la tour Eiffel, les tours du quartier de la Défense et, par beau temps, sur la pointe de la basilique de Montmartre. En dessous, au sixième, l’ambiance respire le luxe, le marbre et les canapés en daim blanc. Mais c’est le dressing qui réservera, ce 3 octobre 2014, à 9 heures du matin, la plus saisissante des découvertes policières. Une valise en cuir marron est posée là, par terre. Elle est cadenassée. L’une des occupantes des lieux, présente au moment de la descente de police, remet la petite clé aux enquêteurs.  La valise était bourrée de cash. Les euros sont sous vide ou dans des enveloppes frappées du sigle du Georges V, l’un des plus beaux palaces parisiens. Les dollars, eux, ont été  glissés dans des enveloppes kraft. Il y en a pour plusieurs centaines de milliers d’euros.

Sur procès-verbal, les policiers sont tenus d’en faire le décompte fastidieux. Il y a, au total, vingt-quatre liasses de cent billets de 100 euros — soit 240 000 euros ; une liasse de cent billets de 200 euros, plus encore dix billets de 200 — soit 22 000 euros ; sept liasses de cent billets de 200 dollars et une liasse de dix billets de cent — soit 71 000 dollars ;  cent billets de 10 francs CFA et soixante-sept billets de 10 000 francs CFA — soit 1 670 000 francs CFA. Un peu plus loin, dans des sacs à main ou dans des boîtes du joaillier Chopard, à Genève, des bijoux : rivières de diamants, colliers et bagues de pierres précieuses en tout genre. Ailleurs, des dizaines de montres de luxe, elles aussi serties de diamants et d’or. Les policiers mettent également la main sur une dizaine de téléphones portables. Le butin d’un braquage ? En quelque sorte.

Ce jour-là, les enquêteurs de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) ont ajouté une nouvelle adresse sur leur carte, déjà bien garnie, des “Biens mal acquis”, du nom de cette enquête judiciaire qui fait trembler les chancelleries de trois pays africains : le Gabon, la Guinée-Équatoriale et le Congo-Brazzaville. Saisie par plusieurs ONG, la justice française piste depuis cinq ans les « détournement de fonds publics », « blanchiment » et « abus de biens sociaux et de confiance » susceptibles d’être aujourd’hui reprochés aux dignitaires de ces trois pays qui, à l’extrême inverse de leur population souvent miséreuse, vivent dans l’opulence à Paris et alentour.

Au 76 bis du boulevard Bourdon, à Neuilly, c’est du Congo qu’il est question et tout particulièrement de l’un des piliers du régime, Edgard Nguesso. Dans le grand “qui est qui ?” de l’affaire des Biens mal acquis, lui, c’est le neveu de Denis Sassou Nguesso, maître du Congo-Brazzaville, qu’il dirige sans discontinuer depuis 1997 d’une main de fer. Né le 29 septembre 1967 à Brazzaville, Edgard Nguesso n’a pas seulement un nom qui compte, il a aussi un titre qui en impose : directeur du Domaine présidentiel.

Dans cette affaire, la position du Congo consiste à affirmer que les investigations judiciaires françaises sont « illégales au regard du droit international », selon l'un des avocats du régime cité par l'Agence France-Presse, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi. Dans une précédente enquête sur le « shopping de la corruption » du clan Sassou à Paris, qui a réussi l’exploit de dépenser 7,7 millions d’euros dans les plus beaux magasins de la capitale en moins de quatre ans, Mediapart avait déjà montré qu’Edgard Nguesso savait tenir son rang. C’est lui qui a, par exemple, dilapidé 1,04 million d’euros (dont près de 200 000 en espèces) chez le joaillier Arije. Lui qui s’est offert chez Dubail, place Vendôme, en 2006, trois montres pour 94 484 €, dont l’une d’elles — une IWC “Tourbillon” en or rose — a coûté a elle seule près de 60 000 €. Lui encore qui a claqué chez Pape 443 452 € pour l’achat de 140 costumes.

En perquisitionnant son triplex de Neuilly, les policiers ont atteint l’une de ses plus onéreuses acquisitions. Le bien, vendu en février 2008, a coûté 2 328 000 euros. La transaction a été opérée par l’intermédiaire d’une société civile immobilière (SCI) baptisée M.IMMO, selon l’acte notarial. Edgard Nguesso a tout fait pour ne pas apparaître comme propriétaire du triplex. Dans le hall d'entrée de l’immeuble, les policiers n’ont d'ailleurs trouvé nulle part la trace du nom du neveu du président congolais. Les boîtes aux lettres supportaient cette seule inscription : « SCI M.IMMO », une société de droit congolais.

Les investigations menées auprès de l’opérateur Orange ont pourtant vite démontré que la ligne fixe du triplex avait été ouverte au nom d’une certaine “Claudie NGouelondele”. Soit le nom de jeune fille et le deuxième prénom de Michèle Nguesso, l’épouse d’Edgard... Mieux, les éléments fournis par le syndic de copropriété ont permis d’établir que les charges avaient été réglées par la même Mme Nguesso pour un montant total de 53 500 euros. Le tout en espèces. Au total, plus de 1,5 million d’euros de travaux (dont 90 000 euros d’enceintes Bang & Olufsen...) ont été effectués dans cet appartement après son acquisition. Les sommes ont été réglées par l’intermédiaire d’une société offshore, CIPCI International, comme l’AFP l’a déjà indiqué. C’est cette même société-taxi, domiciliée dans le paradis fiscal des îles Vierges britanniques, qui a réglé 200 000 des 290 000 euros d’honoraires de l’architecte qui a mis en musique le chantier. Le reste a été payé par des chèques établis au nom... d’Edgard Nguesso.

Dans un procès-verbal de synthèse du 9 octobre, les policiers écrivent : « L’étude du compte de la société CIPCI International nous a permis de démontrer que ce compte est essentiellement alimenté par des fonds provenant de la Direction générale du Trésor du Congo-Brazzaville ; qu’il sert essentiellement pour des dépenses personnelles comme des vêtements et bijoux de luxe, des véhicules de luxe, des séjours à la Réserve Paris (un palace parisien – ndlr) mais également pour payer les fournisseurs ayant effectué des travaux pour le bien situé 72 bis boulevard Bourdon à Neuilly-sur-Seine et dont notre enquête a démontré que les réels propriétaires des lieux sont Edgard et Michèle Nguesso. »

Au Congo-Brazzaville, qui fait partie des « pays pauvres très endettés » (PPTE) référencés par la Banque mondiale, près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. L’accès à l’eau potable ou à l’électricité demeure encore difficile. Le taux de chômage national dépasse les 30 %. Un quart des enfants de moins de 5 ans y souffre de malnutrition chronique.

© Médiapart : Fabrice ARFI

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