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© Correspondance : Thierry AMOUGOU
- 24 Jun 2017 12:39:40
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Cameroun : diaspora speculum, diaspora patriotique et l’espoir d’un autre Cameroun :: CAMEROON
Après trente-quatre années de Renouveau National, n’importe quel esprit objectif peut faire une distinction claire entre les résultats tangibles du pouvoir et ce qui relève du pur affichage politique, des projets en cours et des effets d’annonces. Parlant de l’affichage politique, la rigueur dans la gestion et la moralisation des comportements n’ont jamais été que cela depuis toujours comme le révèle la gabegie en place depuis 1982. Il en aurait été autrement que l’opération Epervier n’aurait jamais existé. Les projets infrastructurels en cours dans le cadre de ce que l’élite camerounaise appelle « l’émergence » ne peuvent faire le poids et ne peuvent avoir du sens, ni devant une population qui n’a pas accès à l’eau potable, base élémentaire d’une vie décente, ni devant le chômage de masse qui frappe une jeunesse sacrifiée alors qu’elle fût propulsée fer de lance de la nation dès 1982.
Laissons de côté les effets d’annonces qui n’engagent que ceux qui y croient. Réglons plutôt la focale sur les résultats sociétaux concrets du régime en place en 2017. Sans céder à la facilité de la raison statistique qui revient très souvent à dédouaner le régime en disant que Paul Biya aura construit X lycées et Y universités sans savoir que le chiffre ne signifie absolument rien sans la structure et la qualité dans ces domaines, il nous semble plus porteur pour le pays de mettre en exergue les dynamiques sociétales qui sont celles du Cameroun actuel. Ce sont elles qui révèlent concrètement ce qui a été fait du pays depuis 1982. C’est une façon de procéder qui vise à ne parler que des faits vérifiables par quiconque fait preuve d’un minimum d’objectivité.
En 2017, les tendances lourdes qui font la société camerounaise sont, sans prétendre à l’exhaustivité celles-ci :
· Un enrichissement illicite et insolent de l’élite au pouvoir consacré en normalité camerounaise ;
· Un appauvrissement massif des couches populaires ;
· Des prisons pleines de hauts dignitaires de l’Etat, preuves du vol subi par le peuple camerounais depuis trente-quatre ans ;
· Une unité nationale et une intégrité territoriale profondément fissurées par la question anglophone et la secte terroriste Boko Haram ;
· Un pays mis sous ajustement structurel en 1987 et de nouveau sous ajustement structurel en 2017 ;
· Un processus démocratique tronqué et peu crédible car orphelin d’une commission électorale indépendante, d’une opposition véritable et cadenassé par une élection présidentielle à un seul tour ;
· Une opposition politique nationale devenue l’autre face du régime en place ;
· Un régime en bout de course qui sclérose le pays parce que sans idées autres pour le Cameroun que celle du pouvoir à vie ;
· Une diaspora camerounaise partitionnée en deux camps : une diaspora camerounaise patriotique, militante, libre et critique puis une diaspora camerounaise speculum inféodée aux désidératas du Renouveau National…
Quelles sont les caractéristiques de la diaspora speculum ? Quelle est l’identité remarquable de la diaspora camerounaise militante, patriotique, libre et critique ? Laquelle peut maintenir et matérialiser l’espoir d’un Cameroun juste, démocratique et prospère ?
· La dynamique duale de la diaspora camerounaise, structure d’une stratégie de division pour mieux régner
Ce qui éclate aux yeux de quiconque veut bien les ouvrir et regarder l’évolution du Cameroun est sa structure duale comme structure de fond construite au sein de la société camerounaise par le Renouveau National qui la place dans une dynamique de forces contradictoires où les contraires se battent entre eux et se neutralisent pour finalement laisser la route libre au Renouveau National. Les très très riches du régime côtoient les très très pauvres du peuple camerounais, de mauvais gestionnaires en prison côtoient de mauvais gestionnaires en liberté, des cousins relevés de leurs fonctions côtoient d’autres cousins promus à de hautes fonctions d’Etat, les anglophones ont été transformés en antithèses des francophones, « le pays organisateur » implique automatiquement un pays non-organisateur et notre Constitution assure le sacre d’une citoyenneté camerounaise duale en allochtones et autochtones au point de faire voler en éclat le principe un territoire, un peuple, une citoyenneté et une nation.
Ce sont-là des faits irréfutables. Ils entérinent l’identité politique du Renouveau National au sens de structuralisme politique duale à la fois comme conséquence de sa gouvernance et comme mode de division pour mieux régner. C’est cette stratégie que le régime de Yaoundé a étendue dans la diaspora camerounaise via la cooptation de certains de ses membres, non seulement dans le but de l’affaiblir dans son action politique et militante, mais pour en faire un instrument objectif dans la préservation du pouvoir. C’est cette diaspora camerounaise de système et stratégique pour la préservation du pouvoir en place qui sera, comme chaque année, reçue les 27 et 28 juin prochains par le régime de Yaoundé dans le cadre de son forum annuel.
· L’espoir d’un autre Cameroun et la diaspora camerounaise patriotique
Ce que tout esprit cohérent avec lui-même peut mettre en évidence est que la diaspora camerounaise, comme toutes les diasporas du monde, est une composante sociodémographique de la nation camerounaise issue du phénomène de dispersion de la population camerounaise à travers le monde. En n’a donc pas besoin, pour exister en tant que telle, d’une mise en forme structurale par le pouvoir camerounais. La diaspora camerounaise, malgré sa structure composite par nature, existe en tant que chose historique et sociodémographique en elle-même sans avoir besoin de la reconnaissance de l’Etat camerounais. Elle peut dès lors se construire comme un acteur politique en toute indépendance sans aucune sollicitation du soutien du pouvoir en place pour exister, avoir des idées, dire ce qu’elle pense ou parler du Cameroun. Située dans cette veine, la diaspora camerounaise patriotique,
militante et libre a toujours été indocile chaque fois que l’espoir d’un Cameroun libre, démocratique et prospère était à entretenir. Elle a participé avec force à la lutte de libération nationale via l’UPC dont la composante diasporique était non négligeable dans les années de lutte contre l’Etat-colonial au Cameroun et de mise en route institutionnelle du panafricanisme. Elle a combattu Ahmadou Ahidjo et sa dictature via la figure archétypale de Mongo Beti. Elle continue ce travail de critique, d’éveil et de propositions alternatives pour autre Cameroun depuis que le Renouveau National n’est plus l’espoir du Cameroun mais l’incarnation de son désespoir.
Autrement dit, la diaspora patriotique, militante et libre n’est pas et n’a jamais été une pâte à modeler du régime de Yaoundé. Elle n’est pas une structure sociodémographique coite, sans parole autonome, sans principes et sans énergie au point de suivre la direction du vent politique insufflé par le Renouveau National. Elle n’est pas un ensemble d’hommes et de femmes qui prétend agir sans responsabilité et encore moins connaître sans comprendre et sans mesurer les enjeux de son action. C’est parce qu’elle sait que la seule amélioration de son sort via l’acquisition de la double nationalité ne fera rien de grand pour la masse de Camerounais plongée au purgatoire de la misère qu’elle ne peut limiter son combat à recevoir de l’argent du régime pour financer ses projets ou à revendiquer une double nationalité qui, tôt ou tard, lui reviendra de droit dans un Cameroun où le régime actuel n’est qu’une simple parenthèse de l’histoire de notre pays vers la modernité.
C’est parce que cette diaspora camerounaise pense collectif qu’elle ne peut soutenir le régime actuel. Le faire reviendrait à dire que ne pas avoir de l’eau potable, subir le rationnement quotidien de l’électricité, vivre le chômage de masse, distinguer Camerounais allochtones et Camerounais autochtones, s’enrichir de façon insolente par détournement de biens publics, la liquidation de l’unité nationale, l’absence d’alternance au pouvoir, les brutalités des armées camerounaises sur d’autres Camerounais… sont des choses positives pour le Cameroun. C’est parce que cette diaspora ne cautionne pas ces dynamiques, c’est parce qu’elle les critique et en désigne les responsables qu’elle est devenue « la mauvaise diaspora camerounais » d’après le Renouveau National.
L’acmé de ses actes de malveillances envers cette diaspora a été atteinte ces derniers temps par l’interdiction de son forum au Burkina Faso et en Côte-d’Ivoire par les autorités camerounaises. C’est le seul moment où cette diaspora a vu les remuements d’un gouvernement camerounais qui est intervenu au Burkina et en Côte-d’Ivoire avec une force et une assiduité qu’il n’a jamais déployées pour encourager l’Union Africaine depuis 34 ans de pouvoir. On nous invite ainsi à obéir, à ne pas penser, à être des consommateurs de la soupe populaire du Renouveau National depuis 1982. Nous avons pourtant le devoir de réconcilier le peuple camerounais avec l’esprit civique, la chose publique, l’exigence de justice et la gestion patriotique de la cité.
· La diaspora camerounaise speculum et l’espoir d’un autre Cameroun
Nul besoin ici non plus d’anathémiser ou d’être malhonnête étant donné la réalité des choses. Nous vous invitons une fois de plus à l’objectivité. Par conséquent, à la question de savoir si une frange de la diaspora camerounaise a le droit d’être solidaire du régime camerounais en place, notre réponse est que cela est son droit le plus absolu. Droit d’autant plus absolu que la diaspora patriotique dénonce et rejette tout esprit de caporalisme et de mise sous-tutelle. Si vous êtes d’accord avec nous à ce niveau, continuons donc dans l’objectivité et posons-nous la question de savoir si copiner avec le régime camerounais actuel est problématique sur sa crédibilité à incarner l’espoir d’un Cameroun juste, démocratique et prospère. Nous répondrons en chœur oui et en toute objectivité. Mais pourquoi cela ?
Notre réponse positive à cette deuxième question est le résultat tant d’une logique d’esprit que d’une recherche de congruence absolue entre nos actes, nos attitudes et les objectifs recherchés. Nous pensons que cela est peu crédible parce qu’on ne peut espérer un Cameroun nouveau sans rationaliser nos actes, c’est-à-dire sans les poser en fonction des conséquences attendues de nos actions. Or nous avons affaire ici à une diaspora de système, non seulement parce qu’elle cautionne la gouvernance du régime en place, mais aussi parce qu’elle en constitue une des émanations politiques dans une stratégie de division de la force politique diasporique.
Comment incarner une rupture d’avec les vielles pratiques qui plombent le développement du Cameroun si on se fait offrir le gîte et le couvert chaque année par ceux qui perpétuent la descente aux enfers du berceau de nos ancêtres ? Comment, après avoir reçu un financement pour son projet, après avoir bu et mangé avec le pouvoir, dire à celui-ci qu’il fait fausse route en faisant miroiter une émergence économique à des populations sans une chose élémentaire comme avoir de l’eau potable ? Comment peut-on à la fois applaudir le Renouveau National et incarner une parole crédible pour revendiquer la décentralisation réelle du pouvoir politique ? Comment, sans indépendance face au pouvoir, exiger fermement la décolonisation des provinces et des régions camerounaises via un pouvoir exécutif moins jacobin et moins concentré afin de diffuser le pouvoir politique au sein de la population camerounaise ? Comment penser que le régime actuel puisse le faire parce qu’il vous rencontre dans un forum alors qu’il empêche à la diaspora patriotique de tenir son forum pour justement ne pas parler des sujets qui fâchent ? Comment revendiquer le droit du peuple camerounais à l’alternance quand le régime qui vous finance en constitue l’antithèse incarnée ? Quelle est cette diaspora qui ne sort du bois que lors de sa rencontre avec le gouvernement camerounais sans se préoccuper pendant toute l’année des problèmes des Camerounais ?
L’absence de cohérence et donc de crédibilité est le constat que ces multiples questions visent à vous faire constater. Absence de cohérence et de crédibilité qui fonde l’impossibilité congénitale de la diaspora de système à incarner l’espoir d’un Cameroun juste, démocratique et prospère. La preuve que cette diaspora-là roule uniquement pour son ventre est que les éditions de ses rencontres avec Paul Biya et son régime se multiplient depuis plusieurs années sans que cela ne change d’un iota le sort des Camerounais et du Cameroun. Elle est donc prête à prendre sa part du « gâteau national » pour que rien ne change dans le système là où le pays ne peut respirer à nouveau et déployer un nouvel espoir pour le Camerounais que si une rupture morale, éthique et politique profonde remplace la défaite morale et éthique du Renouveau National.
Nous avons en effet affaire à une diaspora spéculative. Dans spéculatif il y a speculum qui veut dire miroir. La diaspora de système est une diaspora speculum parce qu’elle ne s’occupe pas du réel difficile que vive les Camerounais. Elle ne s’occupe pas du sort des autres Camerounais et du Pays mais uniquement de son image dans le miroir dans une forme de boucle sur elle-même. C’est une diaspora camerounaise qui renonce à sa fonction tribunitienne et dont le rayon d’action et les centres d’intérêts vont d’elle-même à elle-même. Elle se contente de l’amélioration de son sort parce qu’elle jouit des dividendes d’être « une créature » que « le créateur » Paul Biya reçoit une fois l’an pour tisser les prochains plans d’exploitation du peuple camerounais. Une diaspora à la recherche du langage et des arguments financiers salvifiques d’un rite politique national depuis 1982, celui de la reproduction du système en place.
La diaspora camerounaise patriotique, militante et libre pense que l’espoir d’un Cameroun juste, démocratique et prospère ne peut devenir réalité que si ceux qui le caressent sont clairs et conséquents dans les actes qu’ils posent.
Le problème anglophone est si criant et si important pour l’avenir du pays qu’il ne peut se dissoudre dans un bricolage politique qui vise le colmatage de quelques brèches dans la maison-Cameroun alors que son toit fuit de tout côté. La pauvreté est un mal si profond au Cameroun que la politique du ventre de la diaspora speculum est l’incarnation d’un abandon du peuple camerounais. Sortir de la spirale des ajustements structurels qui font la politique économique du Renouveau National, exige un abandon des pratiques économiques exsangues depuis 1982. Sortir de ce chemin est irresponsable. C’est assurer la victoire du Renouveau National qui fait à la diaspora camerounaise ce qu’il a fait au peuple et au territoire camerounais en y semant le virus de la division et de l’autodestruction via sa dualisation en deux camps contradictoires. La volonté qui anime la diaspora libre, patriotique et militante est d’instaurer une révolution au Cameroun au sens que lui donne Hannah Arendt, c’est-à-dire un processus d’émancipation où un peuple se donne à lui-même des institutions, et désigne, en toute liberté, ceux qui les dirigent.
* Thierry Amougou, Macro économiste hétérodoxe du développement, Pr. Université catholique de Louvain, Fondateur et Animateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques. Membre du bureau organisateur du forum international de la diaspora camerounaise. patimayele@hotmail.com
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