Cameroun,Crise anglophone : le « mea culpa » des dinosaures
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Cameroun,Crise anglophone : le « mea culpa » des dinosaures :: CAMEROON

A l’occasion de la crise dite « anglophone », la presse écrite camerounaise, celle que nous avons lue, a affiché la lettre de démission de M. Solomon Tandeng Muna à la conférence constitutionnelle de 1994. L’un des journaux a titré à sa Une « Le testament de Tandeng Muna» tandis qu’un autre titrait « Document exclusif : Solomon Muna Tandeng en 1994 évoquait déjà le problème anglophone». Un autre titre est venu compléter cette évocation en écrivant : «Problème anglophone. Ainsi parlait John Ngu Foncha ». Ces deux dinosaures, qui ont pourtant contribué étroitement à façonner la réalité politique du Cameroun telle qu’elle se présente aujourd’hui dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, cherchent, par leurs lettres de démission, à se dédouaner à moindre coût ; à se donner une virginité politique en faisant endosser par d’autres les actes qu’ils ont pourtant posés[1]. Tous les deux sont avec Ahidjo lorsque naissent et sont gérés la République fédérale du Cameroun, le parti unique UNC, la République unie et même la République du Cameroun avec Paul Biya. Toutes choses qu’ils renient dans leurs lettres de démission. Celles-ci doivent-elles effacer qu’ils ont contribué à faire le Cameroun tel qu’il se présente aujourd’hui? Les historiens camerounais doivent-ils laisser prospérer une telle forfaiture ?

Il nous semble que la réponse à cette question doit être négative car l’histoire du Cameroun, si elle veut former des citoyens et des gouvernants lucides, doit retenir que Foncha et Muna sont parmi les acteurs actifs et même décisifs des problèmes que génère le Cameroun actuel; ils doivent assumer leur part de responsabilité historique comme il sied à tous les Camerounais qui acceptent d’assumer des responsabilités dans la gestion de notre pays de le faire. Notre intention n’est pas de défendre certains et de condamner d’autres mais de rétablir une vérité historique afin que la maxime « l’histoire jugera » devienne une réalité et amène les Camerounais à se rappeler qu’ils passeront nécessairement devant le tribunal de l’histoire et qu’ils gagneraient de ce fait à plus se préoccuper de l’intérêt général que de leurs intérêts particuliers dans la construction de notre cher et beau pays.

I/ Avec Ahmadou Ahidjo, Foncha et Muna ont contribué à façonner l’histoire actuelle du Cameroun

Il est vraiment difficile, à moins d’être de parti pris ou de malhonnêteté intellectuelle, de dissocier Dr. John Ngu Foncha et Solomon Tandeng Muna de Ahmadou Ahidjo en ce qui concerne la gestion du Cameroun depuis le plébiscite de février 1961 jusqu’à leurs démissions respectives en 1982, 1990, et 1994. Bien avant le plébiscite, Ahidjo et Foncha se connaissent et se rencontrent pour accorder leurs violons quant à l’avenir des deux Cameroun. D’ailleurs, Ahidjo participe au plébiscite de février 1961 puisqu’il envoie son fidèle Moussa Yaya, militant de première heure de l’Union Camerounaise (UC), superviser ces élections au Northern Cameroons qu’il souhaite voir rattaché à la République du Cameroun. Nous savons combien il proteste et manifeste sa déception face aux résultats obtenus dans cette partie du Cameroun britannique. Après le plébiscite et jusqu’à la conférence de Foumban, les rencontres Ahidjo-Foncha sont quasi mensuelles tantôt à Yaoundé, tantôt à Victoria ou à Buea.

Structure fédérale

A la conférence de Foumban qui définit la structure fédérale à adopter, les trois dinosaures sont présents : Ahidjo et Foncha dirigent chacun l’une des deux délégations tandis que Muna est membre de la délégation de Foncha. Ils sont, de ce fait, tous les trois comptables des acquis et des insuffisances de cette conférence et aucun ne doit se défiler sous aucun prétexte. D’ailleurs c’est eux qui sont mis à contribution pour l’implémentation des décisions prises à Foumban en occupant les fonctions de président de la République fédérale pour Ahidjo, de vice-président de la République fédérale et Premier ministre du Cameroun occidental pour Foncha et membre du gouvernement fédéral et plus tard Vice-président de la République fédérale et président de l’Assemblée Nationale pour Muna.

Multipartisme

Lorsque Ahmadou Ahidjo décide de mettre un terme au multipartisme en vigueur pour un parti unifié ou unique, Foncha et Muna sont les premiers hommes politiques camerounais à lui apporter leurs concours et à lui donner ainsi les armes nécessaires pour la naissance de l’Union Nationale Camerounaise (UNC) le 1er septembre 1966. Les seuls à s’être opposés à cette initiative sont André Marie Mbida, Théodore Mayi Matip, Charles René Guy Okala et Marcel Bebey Eyidi. Ils ont connu quelques années de prison pour avoir osé s’y opposer. A contrario, en reconnaissance de leur important soutien, Ahidjo fait de Foncha son second immédiat en lui confiant la vice-présidence de l’UNC tandis que Muna est désigné membre du comité central de ce parti politique. Or, pour Ahidjo et ses affidés, la naissance de l’UNC est le passage obligé pour sortir de la fédération. Foncha et Muna veulent-ils nous faire croire qu’ils n’en étaient pas conscients ? C’est difficile de le penser puisqu’on les trouve en bonne place lorsqu’ils accompagnent Ahidjo dans sa campagne pour la République unie du Cameroun, un Etat qu’il veut « unitaire, bilingue et pluriculturel ».

C’est en effet sans surprise que l’on trouve Foncha, Muna ainsi que d’autres élites politiques du Cameroun occidental à côté de Ahidjo lorsqu’il appelle les Camerounais à se prononcer par référendum contre la fédération en vigueur pour la République unie du Cameroun le 20 mai 1972. En effet, après avoir battu campagne pour la réélection de Ahmadou Ahidjo aux élections présidentielles du 28 mars 1970 dont il est candidat unique avec Muna pour vice-président, ce dernier, qui se réclame pourtant ténor de la fédération dans sa lettre de démission, conduit la délégation du secteur nord du Cameroun occidental comprenant entreautres John Ngu Foncha, Bernard Fonlon et Nzo Ekhah Nghaky en vue de convaincre les populations de ce secteur à voter OUI pour le passage de la République fédérale à la République unie.

Dans le secteur sud du Cameroun occidental c’est Henry N. Elangwe qui conduit la délégation comprenant entre autres Emmanuel Egbe Tabi, Emmanuel L. Endeley et Augustine Ngom Jua ; ils invitent eux aussi les populations de leur secteur à voter OUI pour le passage de la République fédérale à la République unie. Les résultats du référendum sont suffisamment éloquents car le comptage se fait Etat fédéré par Etat fédéré et, dans les deux territoires du Cameroun occidental et du Cameroun oriental, le OUI l’emporte avec un pourcentage de 99.99%. Ahidjo, Foncha et Muna, les trois dinosaures de la politique camerounaise ont réussi ensemble à mettre un terme à la fédération pour « un Etat unitaire, bilingue et pluriculturel ». D’où vient-il donc que lorsqu’ils ne sont plus aux affaires pour de bonnes ou de mauvaises raisons, Foncha et Muna, deux des trois dinosaures, se prononcent pour le retour à la fédération qu’ils ont si brillamment contribué à éliminer ?

Pourquoi appellent-ils une partie de la génération de jeunes Camerounais à se révolter et à déconstruire ce qu’ils ont contribué à bâtir toute leur vie durant ? Les lettres de démission qu’ils écrivent, ces « mea culpa » qui ne disent pas leurs noms, sont-elles suffisantes pour les dédouaner ? Ne sont-ils pas les véritables chefs d’orchestre du problème dit « anglophone » qui plombe la vie quotidienne des Camerounais ? Il est bon qu’ils assument leurs responsabilités devant l’histoire.

II/ Ahidjo, Foncha et Muna doivent assumer leurs responsabilités devant le tribunal de l’Histoire

Si nous associons Ahidjo à cette analyse, c’est parce que le bicéphalisme qu’il impose au Cameroun après sa démission, pourtant positivement accueillie par les Camerounais, crée une faille dans laquelle Foncha et Muna s’engouffrent pour leur retro pédalage. Il est en effet aisé de constater que c’est parce qu’ils savent le nouveau président fragilisé par la crise qui l’oppose à son prédécesseur que les deux dinosaures commencent à devenir exigeants, à lui demander de renoncer à ce qui a toujours fait la force du Cameroun à savoir son unité. C’est la lettre de démission de Foncha qui exprime le mieux cette volonté des dinosaures d’imposer une vision qui leur est propre au nouveau président : « Lorsque le pouvoir a changé de mains au Cameroun – dit-il – et votre Excellence devenu président de la République et éventuellement leader de l’UNC, j’ai rassuré votre Excellence que j’étais disposé à vous faire bénéficier de ma large expérience et de vous donner tout conseil dont vous aurez besoin concernant les problèmes nationaux…Si, en ma qualité de vice-président du RDPC, personne ne désire m’écouter en dépit du fait que c’est le RDPC qui dirige le gouvernement, je me sens complètement perdu quand je constate ce qu’est devenu ce parti … »[2].

Face à cette attitude qu’il juge peu constructive, Biya préfère se défaire de leur influence directe en choisissant, dans leur sphère d’influence, de nouveaux interlocuteurs avec qui continuer son œuvre de construction nationale. Cette mise à l’écart, bien que partielle, donne à Foncha et Muna le prétexte recherché pour susciter dans la jeunesse des mouvements de revendication d’une identité « anglophone » qu’ils créent de toute pièce et qu’ils n’ont pas fait prospérer pendant qu’ils étaient aux affaires. Le décès de Ahmadou Ahidjo en exil à Dakar, le 30 novembre 1999, libère totalement nos deux dinosaures qui, n’ayant plus en face d’eux le seul interlocuteur pouvant leur apporter une contradiction crédible et efficace, agissent désormais à visage découvert pour déconstruire tout ce qu’ils ont construit avec Ahidjo. Ils se rendent aux Nations Unies et à Londres pour réclamer le retour à la fédération dans le but d’engager par là un processus devant aboutir à leur réhabilitation politique auprès des Camerounais qu’ils n’ont cessé de duper depuis le plébiscite de 1961, et ceci pour leurs seuls intérêts égoïstes. La manœuvre de ces dinosaures réussit à merveille car, au retour de leur tournée américaine et londonienne, ils sont accueillis par le fon de Bafut qui leur attribue la dignité de Lords en reconnaissance de leur rôle dans l’évolution historique du Cameroun. Ils sont adulés, pourtant ils viennent de tricher une fois de plus avec l’histoire. Bien avant cet appel à l’ONU et au Royaume Uni, ces deux dinosaures encouragent, s’ils ne créent pas eux-mêmes, des regroupements et des rencontres à connotation identitaire d’une « anglophonie » imaginée, sous le regard bienveillant, tolérant, naïf ou complice du gouvernement camerounais : All Anglophone Conference (AAC), Cameroon Anglophpne Movemrnt (CAM), Buea Peace Conference (BPC), All Confernce Standing Committee (ACSC), Southern Cameroon National Council (SCNC) etc.

La lettre de démission de Solomon Tandeng Muna, si « généreusement » mise à notre disposition comme « mea culpa » de ces dinosaures, témoigne à suffisance de leur duplicité, de leur duperie à l’endroit de l’histoire du Cameroun. Nous ne retiendrons ici que quatre faits qui nous semblent suffisamment éloquents pour démontrer que les difficultés que le Cameroun connaît aujourd’hui, dans cette crise dite « anglophone », ont été cultivées de longue date par la duperie de ces deux dinosaures.

1 – Dès l’entame de sa lettre de démission, Solomon Tandeng Muna témoigne qu’à Foumban ils se sont prononcés pour un Cameroun fédéral, un bilinguisme anglais-français  à parts égales alors qu’ils n’y croyaient pas car, confesse-t-il « … Je suis assis dans cette assemblée espérant que le rêve que nous anglophones du Cameroun avons eu, se réaliserait de mon vivant. Le rêve d’un Cameroun, une partie parlant français, et l’autre parlant anglais… ». En d’autres termes, ils se sont prononcés pour une fédération alors qu’ils voulaient une confédération et pour un bilinguisme qu’ils souhaitaient à la camerounaise c’est-à-dire un Cameroun bilingue et des Camerounais monolingues Il est ainsi aisé de comprendre d’où vient la volonté de certains Camerounais de vouloir s’approprier la langue de Shakespeare à l’exclusion de tous les autres au point de se reconnaître « anglophones » et non Camerounais. Ceci nous permet également de comprendre pourquoi, à la « Fondation Muna » à Yaoundé, tous les textes des écriteaux affichés au mur sont en anglais sans aucune traduction française. C’est en tous cas ce que nous avons constaté quand nous y sommes passés en janvier dernier. Il est ainsi aisé de conclure qu’à Foumban, il y a eu tromperie sur la marchandise. On doit à la vérité de dire que ce point de vue n’est pas partagé par tous les Camerounais d’expression anglaise car, comme le reconnaît V.E. Mukete, l’association des étudiants camerounais de Grande Bretagne et d’Irlande suggérait déjà en 1951, l’enseignement extensif du français dans les établissements secondaires d’expression anglaise et de l’anglais dans les établissements secondaires d’expression française. Dans le même sens, Bernard Fonlon, un des meilleurs universitaires camerounais d’expression anglaise et talentueux traducteur de notre hymne national disait à ce propos : « Le but à atteindre n’est pas simplement un bilinguisme d’Etat, mais un bilinguisme individuel de telle sorte que chaque enfant qui passe par notre système éducatif soit capable de parler et d’écrire l’anglais et le français. Par l’enseignement de l’anglais aux francophones (et le français aux anglophones) dans nos écoles et collèges, l’idée à faire valoir serait de produire des citoyens capables de maîtriser magistralement les deux langues et capables de réaliser à leur guise, en anglais et en français des œuvres d’art et de science de très grand niveau »[3]. Tel est le vrai sens du bilinguisme camerounais et il faut espérer que ceux qui seront appelés à le promouvoir dans le cadre du décret récemment pris par le président Biya auront à prendre en compte ces réflexions d’unautre temps mais qui sont d’une brûlante actualité.

2 – « Trente- quatre ans durant, les Camerounais anglophones ont fait preuve de la même confiance et de la même assurance pour voir leur style de vie s’éroder continuellement, leur système du maintien de la loi et de l’ordre changer, leur système juridique changer, leur système administratif changer, leur système de développement changer, leur système éducatif menacé et seulement sauvé par l’office du GCE, après des années de lutte sous la primature du Président de ce comité… » En d’autres termes, pendant les trente-quatre ans où ils ont été aux affaires, ils ont ardemment contribué au passage du multipartisme au parti unique, battu campagne avec dextérité et brio pour le passage de la fédération à la République unie, un « Etat unitaire, bilingue et pluriculturel » alors qu’ils voulaient que rien ne change, que ce qu’ils avaient hérité de la colonisation reste en l’état comme si le colonisateur était toujours là alors que c’est eux qui avaient réclamé son départ. Une fois de plus, il y a tromperie sur la marchandise.

3 – « Il y a environ deux ans, les Camerounais anglophones se sont organisés au sein de la All Anglophone Conference, aujourd’hui devenue Southern Cameroon National Council, pour exiger un retour au style de vie qu’ils avaient connu … Le projet de constitution telle que présentée… produira-t-il la paix ? J’en doute. Elle produira plus de conflits sociaux, en particulier au Cameroun anglophone qui se sentira plus frustré, et pourrait recourir à la violence… » Deux vérités sont à retenir ici. La première c’est que les deux dinosaures sont bel et bien à l’origine des regroupements identitaires dont le SCNC qui revendique aujourd’hui la sécession. C’est en qualité de membres de la SCNC qu’ils se sont rendus aux Nations Unies et à Londres. La deuxième vérité c’est que la violence qu’ils n’avaient pas connue du fait d’une identité dite « anglophone » pendant les trente-ans qu’ils jouaient les premiers rôles au Cameroun, ils la souhaitent et l’encouragent même, au cas où leur manière de voir ne l’emporte pas sur celle des autres. La manœuvre ici est fort subtile car dans un cas comme dans un autre, leur réhabilitation politique est assurée auprès des Camerounais qu’ils appellent « anglophones » D’ailleurs pour ce qui est de la violence annoncée dans cette lettre, ils n’ont rien fait pour l’empêcher. La question qui peut se poser est celle de savoir pourquoi ils veulent leur réhabilitation seulement auprès d’une partie des Camerounais alors que c’est tous les Camerounais qui ont été trompés par eux ?

4 – « … Je lance plutôt un vibrant appel patriotique au président de la République, Son Excellence Paul Biya « pourvoir le danger qui se profile, pour passer en revue toute cette situation et convoquer une Conférence Constitutionnelle appropriée et démocratiquement constituée, afin qu’un véritable et authentique consensus soit obtenu » ». En d’autres termes, ce qu’ils ont construit en trente-quatre ans de gestion ininterrompue du Cameroun, c’est à Biya de le déconstruire. Ils oublient certainement que pendant les trente-quatre d’exercice du pouvoir qu’ils signalent et, bien que n’étant pas comme eux aux avant-postes, Paul Biya était avec eux. Déconstruire ce qu’il a contribué à construire serait, pour lui, devenir parjure. Il refuse de l’être comme ces deux dinosaures ont refusé de l’être eux-aussi quand ils étaient aux affaires. En définitive, par leurs lettres de démission en guise de «mea culpa », pour se disculper, Foncha et Muna renient tout ce qu’ils ont construit avec Ahidjo particulièrement le rejet de la fédération en faveur d’un Etat unitaire. Mais comme le disait le père Paneloup à propos de Dieu et la mort du petit enfant dans La Peste de Albert Camus, « il faut tout croire ou tout nier. Mais qui oserait tout nier ? » Foncha et Muna oseraient-ils nier que leur commerce avec Ahidjo leur a apporté à titre personnel beaucoup de bienfaits qu’ils ont utilisés pour leur bien-être et celui de leurs progénitures ?

Au regard de toute l’analyse faite, une dernière question mérite d’être posée : Malgré le « mea culpa » de ces dinosaures, malgré les obsèques officielles dont le président Paul Biya les a déclarés dignes, ces deux dinosaures méritent-ils d’entrer au panthéon camerounais quand il sera construit ? That is the question !

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