Barrage de Memve’ele : un drame social sans nom
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Les délégués du personnel récemment élus licenciés, des ouvriers entassés dans les bantoustans interdits de visite et payés à 206 FCFA /heure pour 9 heures de travail par jour, la route d’accès aux oubliettes…ce que Dieudonné Bisso ne dit pas…

On se rappelle qu’il y a exactement un an, en mai 2015, les ouvriers du chantier de construction du barrage de Memve’elé observaient un mouvement de grève très médiatisé. Ils réclamaient l’application de la convention collective qui était censée entrer en vigueur 16 mois plus tôt. A l’occasion de cette semaine d’arrêt de travail, l’opinion découvrait les situations inadmissibles vécues par ces personnes soumises à l’esclavage et aux bantoustans.

A la suite de la médiation entreprise par des autorités, le travail avait repris sur la base des promesses faites par le directeur du projet et les dirigeants de la société chinoise SINOHYDRO Corporation. Une autre grève venait d’avoir lieu récemment du 15 au 20 mars 2016. Celle-ci a fait moins de bruits mais pourtant, elle était tout aussi importante. Elle a été déclenchée par un acte dictatorial du bien de Dieudonné Bisso, ci-devant Directeur du projet de construction de ce barrage.

Arrivé à Memve’ele le 14 mars 2016, Dieudonné Bisso a rendu public sa décision annulant la cérémonie d’installation des délégués du personnel nouvellement élus prévue pour le 15 mars 2016, donc le lendemain. Il a évoqué son antipathie pour ces élus appartenant à la CCT, une organisation syndicale susceptible d’éveiller des consciences ’’des esclaves’’ de Nyabizan. Ce qui a provoqué le courroux des ouvriers qui se sont souvenus de toutes leurs misères, des promesses non tenues des dirigeants et ont décidé de rester à la maison, pour ceux qui en ont et dans les cachots pour le  gros des effectifs, jusqu’à ce que le projet leur restitue pour un début, leur prime de ration signée dans le cahier de charge et jamais versée depuis 2012. Pour arrêter cette grève, Dieudonné Bisso a affiché une note demandant aux ouvriers de reprendre le travail en leur promettant de faire un rappel de ladite prime dans leurs salaires à verser à la fin du mois de mars 2016. Promesse fallacieuse, car, jusqu’à ce jour, ils n’ont reçu aucun copeck. En revanche, Dieudonné Bisso a engagé une chasse aux sorcières. Il a d’abord mis au chômage plus de 150 ouvriers considérés comme adhérents du  syndicat dont il ne veut pas entendre parler. Par la suite, il a décidé du renvoi des délégués du personnel récemment élus.

Les organisations de la société civile et des Droits Humains qui viennent de séjourner dans ce chantier ont été surprises de découvrir des individus  traités comme esclaves dans les champs de canne à sucre au 17ème siècle au Brésil. Parlant de la situation avec les syndicats, il faut dire que lorsque l’Etat a lancé le processus des élections des délégués du personnel, deux syndicats étaient en course à Memve’ele.

La CT et l’USLC. Contre toute attente, le 28 février 2016, sans se référer au délégué départemental de la Vallée du Ntem, le délégué régional du ministère u Travail, Firmin Bengala Mballa a annulé la liste des candidats de la CCT. Il a fallu une intervention du ministre en personne pour la revalidation de cette liste. Au bout du scrutin la CCT a obtenu 90,45% des votes contre 8,06 pour l’USLC. Ce qui a rendu fou de rage le directeur du projet qui a pris la résolution de fouler aux pieds les textes légaux pour faire la peau aux quatre délégués leaders que sont Thierry Molo Ndoko, Julien Devarieux Ndoumbé, Moungou Eloungou et Vivien Machia Ngon..

Comme à l’époque des travaux forcés

Nyabizan est une localité située à 340 kilomètres de Yaoundé. C’est un petit village de l’arrondissement de Ma’an dans le département de la Vallée du Ntem - Région du Sud en pleine forêt équatoriale. Cette localité a été choisie pour accueillir l’une des plus grands projets structurants en vue de conduire le Cameroun vers l’émergence à l’horizon 2035. Bien avant l’arrivée de ce projet, les populations villageoises disent que leurs parents avaient vu passer les allemands à la fin du 19ème siècle. Ceux-ci y ont laissé des vestiges encore visibles. Avec une population vivant essentiellement de l’agriculture, de la chasse et de la pêche, Nyabizan compte quelques des élites. L’on peut citer l’ancien ministre de la Défense Philippe Menye Me Mve, l’ancien capitaine des Lions Indomptables et haut cadre de la fonction publique Emmanuel Mve Elemva, l’avocat Me Pierre François Menye Ondo entre autres.

A un jet de pierre de la Guinée Equatoriale, ce bled perdu a connu le tournant historique de son existence, le vendredi 15 juin 2012 lors que le Chef de l’Etat, Paul Biya y a procédé à la pose de la première pierre de la construction du barrage hydroélectrique de Memve’elé, un édifice de plus de 440 milliards FCFA, dont la réalisation a été confiée à la société chinoise SINOHYDRO Corporation. Progressivement, le village qui comptait moins de 200 âmes a vu ses capacités d’accueil dépassées avec l’arrivée en un an et demi de plus de 2.500 personnes.

L’accueil de ce boum démographique n’ayant fait l’objet d’aucune préparation, les ouvriers de SINOHYDRO Corporation se sont retrouvés avec dans conditions exécrables. Pas d’eau potable, pas d’électricité (générateur), logements moyenâgeux, pas de moyen de locomotion, pas de télécommunications etc. Une situation très difficile pour la quasi-totalité des ouvriers qui sortaient des villes.

Un bantoustan

Rapidement, les chinois y ont construit deux camps d’une capacité d’accueil d’environ 1.000 ouvriers, le premier de 600 places et le second de 400. Comme dans la ‘’cinxalla du capitaine Domato’’, les ouvriers, entassés trois par chambre, sans droit aux visites, sans vie privée, donc pas d’intimité y ont retrouvé la fourniture électrique de 6h à 22h. Sur le plan professionnel, à Nyabizan, l’entreprise chinoise confondait pratiquement tous les ouvriers aux prisonniers Chinois venus purger leurs peines dans des chantiers en Afrique. Les recrutements s’effectuant selon les critères suivants : Première catégorie échelon A (206 francs par heure) pour 9 heures de travail par jour. Facile de trouver que cela n’est pas très éloigné du SMIC, sachant qu’il faut manger deux fois par jour à raison de 500 francs le repas.

Ceux-ci se retrouvent ainsi avec tout le salaire engloutie dans la restauration. Pour espérer faire des économies, il fallait supprimer l’usage du savon, de la brosse à dents, de la pâte dentifrice, en bref ne faire aucun achat. Pour ceux qui ont eu plus de chance, ils se sont fait recruter en quatrième catégorie échelon A. ce qui revient à 380 francs par heure. Le bureau camerounais mis sur pied par les Chinois pour les recrutements ne tenant pas compte ni le niveau académique, ni les connaissances techniques encore moins l’expérience professionnelle.

Comme du temps des travaux forcés de la construction manuelle du chemin de fer Douala-Yaoundé pendant la colonisation allemande, les manoeuvres de la première catégorie sont prioritairement recrutés. Dans le géniecivil, cette catégorie constitue 80% des effectifs. Parmi les chauffeurs et conducteurs d’engins, ceux des pickup sont à la catégorie 4-A, ceux des camions se trouvent en cinquième catégorie échelon C, soit 512FCFA l’heure. Les conducteurs d’engins seuls tirent plus ou moins leur épingle du jeu car en sixième catégorie échelon A avec 630 FCFA/ heure. Raison pour laquelle, ils règnent comme des empereurs dans ce coin perdu. Ces deux dernières catégories comptent environ 250 personnes.

Naturellement, tous ces abus et entorses à la loi du travail se font sous le nez et la barbe des autorités compétentes. Le Délégué départemental du Travail de la Valée du Ntem à Ambam comme le Délégué Régional du Sud à Ebolowa sont ‘’ami-ami’’ avec la Dr Dieudonné Bisso, le directeur du projet et SINOHYDRO Corporation.

Les contradictions de Dieudonné Bisso

Dans toute cette pagaille, le directeur du projet se comporte exactement comme un individu né de père et de mère inconnus. On le dit très occupé à calculer le diamètre des slips des filles. Voici à son sujet ce qu’ont écrit nos confrères du site Camer.be: ‘’…Mis à l’index, le directeur du projet Dieudonné Bisso et son chef comptable Martin Ndibi respectivement selon des confidences, ces deux responsables sont accusés d’avoir mis en place des stratégies criminelles sur les deniers publics à travers des opérations de surfacturation, des marchés fictifs, de détournements de véhicules et  autres manipulations sur les salaires.

Une gestion jugée calamiteuse et qui ne cesse d’inquiéter au sein de l’unité opérationnelle sise au quartier Bastos à Yaoundé’’. Nos confrères ajoutent : ‘’…Dans ce climat de tension permanente, soufflent des sources concordantes, Dieudonné Bisso sait compter sur les relations bien placées auprès du Gouverneur du Sud, des patrons de la gendarmerie et de la police. Plus loin on apprend que l’esclavagisme instauré par le patronat chinois vis-à-vis des ouvriers camerounais ne fait que bénéficier au directeur du projet qui officie comme arbitre ayant clairement choisi son camp. Les pots de vin aidant, l’homme réussi à tous les coups à étouffer dans l’oeuf toutes revendications liées aux licenciements abusifs’’.

Le très médiatisé directeur du projet qui se répand dans les magazines en l’occurrence ‘’Marchés Africains’’, ‘’Afrik’Actuelle’’ et autres, les prend comme des tribunes pour montrer le côté jardin de Memve’elé dont il a la charge, mais ne parle jamais de ce qui ne marche pas. Dans ces organes de presse où il fait son ‘’one man show’’, on y retrouve beaucoup de contradictions. Morceaux choisis : dans le numéro 05 d’Afri’Actuelle de la période juilletaoût 2014, il déclare: ‘’…Il faut également noter dans le même ordre d’idées, que plusieurs autres chantiers sont en cours d’exécution. C’est le cas du barrage hydroélectrique de Memve’ele dont les travaux de construction ont démarré depuis le 15 juin 2012. A la fin de ces travaux, la capacité de production du barrage sera de 201 MW.

Sa mise en service devrait être effective en 2016 et portera la production hydroélectrique du Cameroun à 1401 MW’’. Dans le même magazine, numéro 13 de la période mars-avril 2016, en deux ans, beaucoup d’eau a coulé sous le pont, le discours de Bisso a changé, il dit:’’…Le contrat qui lie l’Etat du Cameroun à l’entreprise chinoise SINOHYDRO stipule que la durée des travaux de construction de l’aménagement hydroélectrique de Memve’ele est de 54 mois. Par ailleurs, il vous souvient que lesdits travaux ont effectivement démarré en janvier 2013’’. Ce qui sonne faux. Il ne se souvient plus de ce qu’il avait dit deux ans plus tôt. Or, effectivement avant la pose de la première pierre, les travaux avaient déjà commencé. Des bulletins de paie des ouvriers qui ont commencé le travail avant Décembre 2012 l’attestent à suffisance. Même en prenant la date du 15 juin 2012 comme base du calcul de ces 54 mois, le contrat expirerait résolument en novembre 2016, donc dans six mois.   

Un chantier qui piétine

Les véritables causes du retard des travaux sont humaines. Il y a en premier lieu, le découragement des ouvriers qui se donnent corps et âme pour ne recevoir en retour que la pitance quotidienne au réfectoire du chantier,  juste de quoi survivre à Memve’ele. Ce qui a conduit aux mouvements de grève à répétition pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Les ouvriers constatent que la gestion du projet paye à prix d’or les publireportages dans les magazines, pour se venter sans se soucier de leurs préoccupations.

Avec toutes les informations qui circulent sur l’esclavagisme en cours à Nyabizan, le projet peine à trouver des remplaçants aux 150 ouvriers partis. Conséquence, le barrage ne peut pas être livré dans les délais. Paul Biya devra encore attendre pour concrétiser cette déclaration fait lors de la pose de la première pierre: ‘’Par ailleurs, les 211 MW d’énergie produits ici pourraient aussi alimenter certains pays voisins, limitrophes du Cameroun dans le cadre des interconnexions sous régionales’’.

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