Pourquoi les jeunes camerounais prennent les armes ?
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Pourquoi les jeunes camerounais prennent les armes ? :: CAMEROON

Si on savait que certains jeunes camerounais se faisaient déjà recruter par des gangs dans les grandes métropoles ou des bandes de «coupeurs de route», l’enrôlement dans des groupes de plus grande envergure comme Boko Haram semble un fait nouveau. 

Pour tenter de trouver une explication au phénomène, la Dynamique mondiale des jeunes (DMJ), en collaboration avec la fondation Friedrich Ebert Stiftung, vient de mettre à la disposition du public une palette d’éléments permettant la compréhension des facteurs qui sous‐tendent la vulnérabilité des jeunes face à l’enrôlement. Le document est rendu public le 30 novembre 2015 à Yaoundé

PERCEPTION ET CONNAISSANCE DES GROUPES ARMÉS

Soumises à la rigueur de l’analyse, les résultats de l’enquête révèlent que le terme « groupe armé » évoque pour les jeunes un groupe rebelle. 39% le pensent, surtout dans toutes les régions ciblées par l’étude, à l’exception du Centre. Le lien avec le terrorisme vient en seconde position (32%). Seuls 30% considèrent le groupe armé comme « groupe semant le désordre ». 

Par ailleurs, lit‐on dans le rapport, 01 sur 05 jeunes pense que les groupes armés sont des groupes qui utilisent des armes contre les populations civiles. Les résultats obtenus mettent aussi en évidence deux choix assez tranchés: Pour 51% de jeunes, les groupes armés sont dangereux et à éviter (65%). Le choix de les considérer comme des « bandits » et des «gens qui se battent pour une cause juste» raflent respectivement 9% et 11%. D’une manière générale, le document met en lumière une grande homogénéité dans la rubrique des confessions religieuses. Ici, pas d’écart significatif dans l’opinion des jeunes.

FAIBLES ACCOINTANCES

13% (soit plus d’un jeune sur dix) des enquêtés sur l’ensemble des 06 régions prétend avoir été en contact directement ou indirectement avec les membres des groupes armés. La majorité évoquant des amis, des camarades ou des frères.

Très peu disent avoir été approchés eux‐mêmes par des recruteurs.Selon Dupleix Kuenzop,«on observe qu’en milieu urbain et particulièrement à Yaoundé, les jeunes sont plus en contact avec les bandes criminelles, des gangs qu’avec des recruteurs des groupes rebelles à caractère politique par exemple». Dans la région de l’Est, où 14% des enquêtés ont affirmé avoir été en contact avec les groupes armés, le rapport souligne que la majorité raconte avoir été victimes d’agressions diverses. 

Dans l’Extrême‐nord, poursuit le document, les jeunes ont rapporté de nombreux témoignages sur le recrutement développé par Boko Haram. Ici encore, la différence entre jeunes musulmans et jeunes chrétiens n’est pas très marquée. Dans cette région, 12,5% de jeunes adeptes de l’Islam disent avoir été approchés par un groupe armé, contre 16% pour les chrétiens. «A priori donc, conclut Dupleix Kuenzop, ceux qui recrutent pour Boko Haram ne cibleraient pas davantage les musulmans».

CATÉGORIES SOCIO-PROFESSIONNELLES

Plus généralement, le rapport montre qu’il n’y a pas de métiers plus ciblés que d’autres. Les recruteurs ayant besoin d’une diversité de compétences et sachant adapter leur discours au type d’interlocuteur. Ici, on note que ce sont les moins de 25 ans qui sont les plus approchés. Pour les enfants de la rue et les «sans domicile fixe», le chiffre de 27% est avancé

PROCÉDÉS DE RECRUTEMENTS

Il ressort que les recruteurs usent de différents arguments suivant la personne qu’ils tentent d’enrôler. Cela signifie aussi que ce n’est pas un acte rapide. Certaines ONG actives dans ce domaine dénoncent les techniques très agressives de recrutement (films multimédias, intervention dans les écoles et démarchage téléphonique à domicile et sur téléphone portable). La personne est ciblée et le recruteur essaie de tisser des liens avec elle, d’établir une relation de confiance. «Le processus prend donc du temps», conclut Njifendji. 

Il s’agit beaucoup plus de comprendre le profil social ou psychologique du jeune, quels sont ses problèmes, ses besoins. Pour cette raison, si l’argument de l’argent est le plus partagé par les jeunes enquêtés comme moyen d’enrôlement, il est loin d’être le seul utilisé par les groupes armés. «L’argumentaire du recruteur est complexe», lit‐on dans le rapport. Il peut mêler les arguments politiques sur la situation du pays, le système de corruption, les inégalités, sur l’incapacité du gouvernement à gérer le pays et surtout à s’occuper des jeunes. Isolés, ces derniers aspirent à faire partie de quelques choses. Cʹest là quʹinterviennent les recruteurs. La plupart du temps, ils repèrent leurs futures recrues dans les marchés, les bars, les universités qui ont commis de petits actes de délinquance, voire ont fait des passages en prison… Leur stratégie générale: lʹécoute empathique, une promesse de solidarité et dʹémotions fortes, dʹune femme ou dʹun mari, mais aussi celle de «blesser cette société qui a mis ces jeunes à lʹécart». On retient également que de nombreux groupes armés misent sur «lʹeffet boule de neige», en envoyant auprès de ces jeunes en quête dʹappartenance un combattant déjà formé qui leur présente lʹorganisation sous les termes les plus élogieux. 

Au Nord et à l’Extrême‐nord, des jeunes ont expliqué aux enquêteurs que l’enrôlement n’est pas seulement pour aller se battre. «On peut aussi recevoir une moto en échange de services». Dans les zones de pastoralisme, ils disent qu’ils peuvent aussi recevoir des têtes de bétail si on participe au vol d’un troupeau. 

«TU IRAS AU PARADIS»

Mais quelles que soient les raisons qui poussent les jeunes et moins jeunes, hommes ou femmes, à rejoindre les rangs des groupes armés. «Ils nʹy vont pas dans le but de se faire exploser. Tous nʹen sont pas capables, mais surtout, la majorité nʹen a pas envie. En arriver là signifie quʹon a réussi à les convaincre dʹune vie meilleure dans lʹau‐delà», décrypte la sociologue. Que rien ne les attend ici. «Cet acte a une portée symbolique très forte». 

Devenir kamikaze pour défendre une cause, un honneur, un Dieu, n’est plus un fléau qui touche seulement les adultes. Beaucoup de jeunes parfois seulement âgés de dix ans, révèle le rapport, sont enrôlés et «formés» dans un but: mourir pour la cause. Dans les zones enquêtées, ils sont devenus en quelques mois la bombe intelligente et bon marché du terrorisme de nouvelle génération.

«TERRAIN FERTILE»

L’enquête de DMJ précise que «le kamikaze est le produit d’une idéologie et d’une technique de préparation facilement transposable et exportable». Les paysages sont différents mais les techniques sont souvent les mêmes parmi les différents pays: enrôlement forcé ou volontaire, entraînement basique au maniement des armes, lavage de cerveau, torture, etc. Tous les moyens sont bons pour faire des petites recrues de véritables bombes. Une chose est sûre: les jeunes ignorent souvent leur rôle dans les opérations meurtrières qui leur sont imposées.

D’un point de vue économique, les jeunes (les moins de 15 ans surtout) coûtent moins chers que leurs aînés.

Sur le plan physique, les premiers sont plus agiles et mobiles. Pas besoin de les payer, encore moins de dépenser beaucoup, pour les nourrir, les habiller, etc. L’aspect psychologique: ils sont naïfs, facilement manipulables et influençables. Ils n’ont pas conscience du danger, et ne font pas la différence entre le bien et le mal. Ainsi, leur enlever tout sentiment de peur et de culpabilité est un jeu d’enfant. Ils sont fidèles et obéissants. Il y a donc très peu de risques qu’ils s’échappent ou se retournent contre lui. Les filles sont recrutées pour assouvir les besoins des adultes.

La norme dans les groupes armés, c’est une fille par soldat minimum. Les enfants des rues sont les plus sujets à ce phénomène car personne ne vient les réclamer. Les rafles au cours d’irruptions dans les villages ou dans les camps de réfugiés sont monnaie courante.

Lorsqu’un groupe armé s’empare d’un village,tous les jeunes sont parfois réunis ‐filles et garçons‐ et poussés à s’enrôler par la force. La menace et la contrainte constituent aussi des moyens d’enrôlement. Enrôlement volontaire.

Le terme «volontaire» mérite d’être expliqué. Il est très important de nuancer car très peu d’enfants s’engagent parce qu’ils en ont vraiment envie. Le manque d’information et d’éducation mêlé à la pauvreté extrême met ces enfants au pied du mur. Ils n’ont aucune idée de ce qu’est la vie dans un groupe armé, et ne pensent qu’à se sortir de la situation dramatique dans laquelle ils vivent.

Cependant, la réalité est souvent très différente de ce qu’ils avaient imaginé.

MOTIVATIONS

Le cadre socio‐économique y est pour beaucoup. Beaucoup voient l’armée comme une solution pour remédier à leurs problèmes (65%). Ils pensent que l’armée mettra fin à la pauvreté dans laquelle ils vivent, et qu’ils auront éven‐ tuellement accès à l’éducation. L’armée devient alors l’unique moyen de survie car ils pensent qu’ils recevront un salaire comme les adultes. Beaucoup de recrues sont issues des campagnes et des endroits reculés, loin de la ville synonyme de travail et de richesse. 

Le statut social que confèrent l’armée et le prestige de l’uniforme pousse les parents à envoyer leurs enfants. C’est l’assurance d’un avenir meilleur pour eux et leur progéniture. En entrant dans un groupe
armé, les enfants accèdent directement au statut d’adulte et obtiennent par la même occasion une place importante dans la communauté.

L’appartenance à un groupe ethnique représenté par un groupe armé, pousse les enfants par solidarité à rejoindre ces groupes.D’autres décident aussi de s’engager pour une cause politique ou religieuse (13%).
Quand un village est mis sens dessus dessous par un groupe rebelle, que des milliers de personnes sont assassinées, violées, une des premières réactions des rescapés est de se venger. Parmi eux, il y des centaines de jeunes, victimes de cette violence quotidienne, qui décident de prendre les armes pour tuer leurs ennemis. En effet, l’impunité est souvent la règle, alors ils s’engagent pour faire la justice eux‐mêmes. Aussi l’engagement par vengeance (10,5%) est à prendre en compte. De même que d’autres frustrations (échecs aux concours, maltraitance des parents, di‐ vorces des parents) évaluées à 7%.

SOLUTIONS

Selon Dupleix Kuenzop, il est donc in‐ dispensable de travailler en amont des recrutements, en «restaurant la république dans les espaces marginalisés. Cʹest un travail de longue haleine, mais il faut écouter, respecter, soutenir et réintroduire sur le marché du travail ces jeunes». Car «mener des actions dans les mosquées ou les différentes institutions religieuses, ne suffit pas».

© Hebdo Intégration : Synthèse de Jean‐René Meva’a Amougou

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