Vivre avec le terrorisme dans l'Extrême-Nord du Cameroun
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Vivre avec le terrorisme dans l'Extrême-Nord du Cameroun :: CAMEROON

Le Cameroun est une cible privilégiée du groupe Boko Haram, qui se fait désormais appeler Etat islamique en Afrique de l'Ouest. Depuis plusieurs mois, l'Extrême-Nord du pays a connu près de 20 attentats-suicides. La population a dû s'habituer à vivre avec la menace permanente de nouvelles attaques.

« Depuis les terribles attentats de Paris, la peur est revenue. Pourtant nous sommes habitués, nous vivons avec... » Issa est un habitant de Maroua, la capitale régionale de l'Extrême-Nord du Cameroun. Il ne compte plus les attentats-suicides « des Boko Haram » dont sont victimes les populations. Entre pression sécuritaire, vie sociale transformée et couvre-feu « les gens ne vivent plus comme avant », dit Issa, avant d'ajouter « la prière est notre refuge ». Chassés de leurs fiefs du nord-est du Nigeria par une offensive des armées de la région, les insurgés de Boko Haram multiplient, depuis début 2015, attentats-suicides et incursions sanglantes au Cameroun voisin, dans la région de l'Extrême-Nord, où l'armée est déployée en masse le long de la frontière.

S'adapter...

Le 11 octobre, deux femmes kamikazes se faisaient exploser dans le village de Kangaleri, à une trentaine de kilomètres de Mora, dans cette province de l'Extrême-Nord. La première femme avait tué neuf personnes dans un petit restaurant, tandis que la seconde s'était fait exploser, elle, sans faire de morts. Le 9 novembre, trois civils et deux femmes kamikazes ont été tués au cours d'un attentat-suicide près d'une mosquée à Fotokol, ville frontalière du Nigeria. Les deux kamikazes visaient, semble-t-il, la mosquée.

« Face à ce type d'événement, nous sommes unis dans l'adversité, dans la guerre, explique Issa. La peur doit changer de camp, il ne faut pas céder à la panique. Les populations se sont adaptées à la présence importante des forces de l'ordre et de sécurité. »

« C'est vrai, commente un enseignant de l'université de Yaoundé 2, les populations sont passées de la méfiance à la collaboration. Elles savent où se trouve leur intérêt. Certes, poursuit-il, avec l'état d'urgence et le couvre-feu de 19h à 5h du matin, instaurés dans l'Extrême-Nord, les populations ont modifié certaines de leurs habitudes. Là encore, elles se sont adaptées. Elles se sont adaptées à la pression sécuritaire plus importante, il y a les patrouilles des forces de sécurité et de défense, les comités de vigilance... Et puis il y a cette psychose du passage de l'attaque, disons classique ,des Boko Haram aux attentats-suicide. Tout ça fait que les gens ne vivent plus comme avant. »

Justin, infirmier à Maroua, confirme : « Pour gagner la guerre contre les Boko Haram, il faut la mobilisation de la population, notamment en matière de renseignement. Tout Camerounais, tout être vivant, doit agir ainsi, collaborer. Cette guerre contre le terrorisme est l'affaire de tous et c'est tous ensemble, unis, que nous gagnerons. Cela peut bousculer nos comportements, nos façons de faire effectivement. »

S'adapter est le maître-mot. « Les femmes, par exemple, dit Justin, ne peuvent plus porter le niqâb ou le khimar, ce voile intégral qui couvre le visage et le corps, ne laissant apparaître que les yeux et une partie du menton. » La suspicion tombe sur toute femme voilée de la tête au pied. Il en est ainsi depuis que des attentats kamikazes sont le fait de femmes et de jeunes filles. « C'est une rupture avec nos traditions locales, explique Justin. Dans les sociétés traditionnelles ou musulmanes, quel que soit l'événement, il y avait toujours un respect pour la femme, la fille et l'enfant. L'islam combattant apporte là une évolution véritablement traumatique pour nos sociétés, un islam combattant qui fait feu de tout bois, qui envoie des enfants à la mort. »

Une économie au ralenti

Pour le responsable d'une ONG locale, « c'est toute l'économie de cette vaste zone qui est sinistrée, dans une région traditionnellement délaissée par le sud depuis des années. La fermeture des frontières avec le Nigeria a littéralement asphyxié l'économie déjà très faible, entraînant une hausse des prix des produits de base importés. Les marchés de la région ne fonctionnent plus, vers la frontière les paysans ne peuvent plus cultiver, leur bétail est pillé ou parfois même abandonné, des villages sont désertés, le chômage explose... » Le trafic routier sur l'axe Maroua-Ndjamena, cordon vital qui traverse le Cameroun du sud au nord jusqu'au Tchad, a beaucoup baissé. Et les échanges avec le Nigeria sont bien sûr au point mort.

« Depuis début 2015, il y a eu une intensification des attaques de Boko Haram qui a eu des conséquences catastrophiques pour toute la région », expliquait à l'AFP il y a quelques jours Najat Rochdi, coordonnateur humanitaire de l'ONU au Cameroun. « Les répercussions, dit-elle, sont immédiates sur le quotidien des paysans ». Et Najat Rochdi avertit : « C'est toute la cohésion sociale qui est mise à mal, ce qui crée un terreau fertile pour le recrutement de Boko Haram ».

Au Tchad, vivre sous l’état d’urgence

Autre Etat de la région à faire face à la menace terroriste   le Tchad. Le pays a essuyé plusieurs attaques terroristes depuis le mois de juin et a mis en place l’état d’urgence.

Dans un quartier populaire du 6e arrondissement de Ndjamena, un homme vient de franchir un check-point où les forces de sécurité ont fouillé sa voiture. Pour lui, les attentats de ces derniers mois ont changé les habitudes : « Personnellement, dès que je passe et qu’il y a un attroupement, je m’écarte toujours. Même en voiture, je me méfie toujours des attroupements ».

Plus loin, devant un hôtel, un vigile explique ce qui a changé dans sa manière de travailler : « Dans notre façon de travailler ça a changé du fait qu’on n’utilisait pas certaines choses, par exemple, le super scanner. Au Tchad, quand tu disais à une personne : je vais te fouiller, ce n’était pas facile, elle ne se laissait pas faire. Maintenant, même une grande personnalité, elle va venir devant toi pour être fouillée ».

Dans les maisons, on se passe désormais des consignes de sécurité : « Chaque matin dans la famille, toujours, on se donne des consignes. Même dans la grande famille, la vieille, elle connaît l’histoire de Boko Haram et des jihadistes ».

Malgré tout cela, la vie continue. Les lieux de culte par exemple, relativement désertés les premières semaines après les attentats, ont retrouvé leur affluence normale, mais toujours sous haute surveillance.

© RFI : Jean-Jacques Louarn

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